Sélection petits éditeurs mai 2012

Petits éditeurs – Sélection Mai 2012

Retrouvez la sélection mai 2012 de la commission petits éditeurs de BiB92



C’est l’histoire de trois sœurs aux caractères bien différents. L’une, esseulée, rêve de restaurer la demeure familiale, l’autre s’adonne à une sexualité fièvreuse en quête d’une grossesse qui peine à se produire, et la dernière, la fragile « Ricotta » est si maladroite qu’objets et existence personnelle lui échappent sans cesse.
Toutefois, ces trois femmes ont en commun une vie imparfaite et frustrée : chacune est victime d’une forme de manque, de vide existentiel, mais trouvera pourtant en de menus détails du quotidien une forme de bonheur.
Milena Agus dévoile la complexité de la gent féminine à travers ces trois personnages, et plus profondément encore donne à ses « héroïnes » une consistance caractérielle qui nous émeut.
Notons tout de même que le rythme lent de ce court roman pourrait décevoir les lecteurs en quête d’action et de suspense, ou au contraire  satisfaire les amateurs d’ambiances subtiles et paisibles.
Agus, Milena. - La comtesse de Ricotta. - L. Lévi. - Traduit de l'italien. - 118 p. - 13,50 €

Depuis son divorce, Frida élève seule son fils Tofayl, partage sa vie avec son compagnon Zaydûn (en union libre) et s’occupe en même temps de sa mère. Au moment où celle-ci abandonne le voile porté depuis son adolescence, elle ressent comme un souffle de liberté : « elle est l’égale d’un homme ». D’après Frida, pouvoir aller à l’école, travailler, réussir dans des domaines plutôt masculins, est une bonne chose pour une femme tunisienne. Libre dans sa tête, elle n’arrive pas à accepter que son fils auquel elle croyait avoir transmis toutes ses valeurs, tombe amoureux de Chokrane, une jeune fille voilée. Elle trouve que le voile est une « religion de l’extérieur », une étiquette, qu’on le porte uniquement pour échapper aux obscénités des hommes.
Ce roman est une découverte intéressante du point de vue sociologique : dans la société actuelle, il y a ceux pour qui la liberté signifie le refus des traditions ancestrales (tenue vestimentaire, mariage arrangé, même entre cousins…), et d’autres que la tradition rassure (pour éviter les insultes, mieux vaut porter le voile).
Bel Haj Yahia, Emna. - Jeux de rubans. - Elyzad. - 210 p. - 13,50 €

Deux adolescents se retrouvent orphelins, leurs parents étant décédés subitement dans un accident de la route. Bianca, la narratrice, nous décrit un huis clos sur leurs réactions et leur vie après ce traumatisme. Petit à petit, le frère et la sœur abandonnent leurs études pour faire des petits boulots qui leur permettent de survivre. Mais là aussi, les choses se délitent, et le garçon perd son travail. Il ramène à la maison deux personnes qui s’incrustent. Une espèce de lourdeur s’installe.
Seule Bianca fait preuve d’un instinct de survie qui lui permet de traverser cet « après » avec une pureté qui semble inaltérable.
Le style est fluide et concis. On sort bousculé de cette lecture.
Ce roman est le dernier publié du vivant de l’auteur.
Bolano, Roberto. - Un petit roman lumpen. - Bourgois. - Traduit de l'espagnol (Chili). - 4 p. - 12 €

Dans un pays en guerre, Leo cherche son frère disparu ; Federico, poète arrêté par les fascistes. Est-il mort ? Ou vivant ? Leo pense que son frère a survécu…
Cela ressemble à l’Espagne franquiste, mais erreur ! Ce pourrait être le récit des derniers moments de la vie du poète Federico Garcia Lorca fusillé par les franquistes. Citations, éléments biographiques, définition du Duende… émaillent le récit.
L’histoire se déroule dans un pays indéterminé (Amérique latine ? Europe ?) à une époque peu précise et mêle bien des éléments, piqués çà et là dans les tragédies qui ont marqué le XXe siècle : dictatures, guerres fratricides, populations prises en otage de combats qui les dépassent…
Bref, tout ceci n’a pas l’air appétissant, d’autant que la couverture de cet éditeur est d’un triste !
Or, si on se fie aux apparences, on risque de passer à côté d’un livre passionnant, qui déroute au départ, certes ! Mais le héros, avocat sans envergure et sans ambition, reste un narrateur convaincant qui nous introduit dans ce monde impitoyable, toujours entre deux combats, entre deux régimes totalitaires, où il ne fait pas bon penser à un avenir quelconque.
Les personnages présentent un subtil mélange des noirceurs de l’âme humaine (secrets, trahisons) et des petites lâchetés quotidiennes : faut-il résister ? Faut-il s’engager ? Pour quoi ?
De multiples réflexions semblent ainsi livrées au lecteur qui devient actif, participant au récit en s’interrogeant, comme il interroge ces héros désabusés…
Un excellent livre à découvrir !
Bon, Gérard. - Ci-gît mon frère = Aqui yace mi hermano. - La Manufacture de livres. - 137 p. - 17 €

Il y a 100 ans, le 10 avril, Titanic, le plus grand et le plus luxueux des paquebots jamais construit, commençait son voyage inaugural.
Un voyage devenu une des plus grandes catastrophes maritimes et un des plus grands mythes modernes.
Avec ce livre, on pourrait croire à une énième parution éditée à l'occasion du centenaire. On s'attend à des redites, plutôt qu'à de l'inédit. Mais grande surprise, l'auteur, spécialiste du fait, nous livre un documentaire fouillé et très intéressant. Loin de s'attacher à l'histoire du paquebot, son étude examine la vie des passagers de 1ère classe (documents et témoignages des survivants) ; et ces biographies illustrent les questions sociétales de ce XXe siècle débutant.
Ainsi, avec Frank Millet, l'auteur aborde la question de l'homosexualité ; avec Archie Butt, c'est la politique américaine avec deux de ses présidents qu'il analyse ; enfin avec Helen Candee, il expose la place des femmes dans la société et le début des mouvements d'émancipation.
Intéressant aussi, le fait que le livre ne se termine pas à l'arrivée du Carparthia sur la zone du naufrage. L'auteur s'astreint également à présenter comment cette catastrophe fut annoncée et vécue à New-York, en Angleterre et au Canada, et enchaîne sur les deux commissions d'enquête.
Un ouvrage qui apporte un regard original et percutant.
Brewster, Hugh. - Titanic, des vies dorées : le destin des passagers de première classe. - J. -C. Gawsewitch. - Traduit de l'anglais (Canada). - 447 p. - 24,50 €

Il s’agit d’un recueil d’histoires ou de contes à lire le soir autour du feu de camp. Des histoires complètement déjantées, cocasses. L’origine de l’histoire peut être complètement anodine, et l’on bascule dans l’épopée.
On retrouve le ton de Sepulveda ou de Coloane et de bien d’autres conteurs que l’on aime lire, même si l’auteur ne se renouvelle pas beaucoup.
Cook, Kenneth. - L’ivresse du kangourou. - Autrement, Collection Littératures. - Traduit de l'anglais (Australie). - 215 p. - 17 €

Biarritz : Marc Descombes est serveur dans un hôtel de luxe, où il rencontre Anna Guzman, riche cliente. Intéressée par l’ « innocence » du jeune homme, elle lui demande de l’accompagner à un rendez-vous durant lequel il se contentera d’écouter la conversation. C’est ainsi que Marc apprend le vol des tableaux de la famille Weinberg, dont le portrait de Sarah Weinberg par Gustav Klimt. Mais lorsqu’Anna est assassinée quelque temps plus tard, l’on perd simultanément la trace du Français. Dix-huit ans après, la vente d’un des Klimt volés redore le blason du peintre grâce à une estimation exorbitante. La valeur du portrait de Sarah Weinberg, disparu mais non perdu, attise chez certains le besoin de retrouver Marc, et peut-être avec lui les tableaux.
Parallèlement en Allemagne, Kaspar fait un documentaire sur cette fameuse spoliation Weinberg. Il rencontrera deux étudiants français en architecture, qui malgré eux, seront les rouages d’une machination complexe. Voilà un roman policier ambitieux, qui saura plaire aux amateurs de récits denses mêlant suspense, art, Histoire et amours contrariées.
La richesse d’informations et la complexité de l’intrigue, scindée en deux récits concomitants, nécessitent une lecture attentive et régulière. Sans cela, le lecteur risquerait de se sentir un peu perdu dans un texte foisonnant, et ne saurait profiter entièrement de l’écriture soignée de Philippe Cougrand.
Cougrand, Philippe. - Le portrait de Sarah Weinberg. - Pierregord. - 492 p. - 22 €

Pascal Robert est professeur d'histoire. Il se demande pourquoi son père ne dit rien sur la guerre d'Algérie qu'il a faite alors qu'il était jeune appelé. Et ce silence devient de plus en plus pesant dans la tête de Pascal Robert car, ne sachant rien, il craint d'imaginer le pire. Qu'a fait son père en Algérie ?
Le lecteur comprend aisément pourquoi Pascal Robert est un professeur spécialisé dans le Moyen-Age, comme si lui-même recherchait les prémices de son histoire personnelle. Il parle beaucoup de son grand-père ayant combattu à la Grande Guerre, deux générations et « chacun sa guerre », alors que son grand-père raconte sa guerre, son père garde le silence. Et le fils veut comprendre et connaître la vérité sur ce père et l'Algérie.
Jacques Duquesne décortique le processus d'un homme qui devient peu à peu un tortionnaire ayant toujours une raison valable pour faire du mal à l'ennemi. L'homme est noyé dans l'engrenage de la guerre et incapable de discernement.
Histoire de filiation de père en fils, de guerre, d'hommes et d'humanité, mais surtout histoire sur le devoir de mémoire. L'auteur s'intéresse à décrire avec précision le processus particulier, qui plonge un homme dans sa propre violence. Roman puissant et profond sur un sujet encore tabou.
Duquesne, Jacques. - Le mal d’Algérie. - Plon. - 206 p. - 18 €

Un père écrit une longue lettre intime à son fils atteint d'autisme et de TDAH (trouble déficit d'attention/ hyperactivité). Cet homme dit ses difficultés à être père avec son enfant, mais dit aussi les joies que Gabriel lui procure par son attitude si surprenante parfois. Ce père raconte des anecdotes drôles ou tristes. Il évoque les moments passés en mer ensemble, ces instants furtifs où il observe l'enfant dans ses pensées, parti dans un ailleurs que le père ne parvient pas à atteindre. Il sourit quand son fils lui demande « où est Dieu », ou quand il vomit sur une star de la mode dans un avion en première classe, et s'angoisse quand il est agité, terrifié par un élément nouveau qui vient perturber sa logique interne Ce père tente de s'approcher au plus près de Gabriel comme pour mieux essayer de le comprendre et de le rassurer à tout prix. Il révèle ses failles et ses sentiments les plus intimes pour son fils, qui lui permet de saisir le monde autrement.
Il ressort de ce témoignage, un amour infini et une connivence profonde d'un père pour son fils. Ce texte magnifique permet de mieux comprendre ce que peut être l'autisme, avec le besoin si crucial de sécurité, l'absence ou le manque de perception de limites psychiques, le besoin d'habitudes, l'angoisse de la confusion qui pousse à la violence et aux cris... Texte enrichissant, qui vient toucher le cœur du lecteur.
Sur le même sujet, relation père/fils handicapé : Où on va papa, JL Fournier.
Freihow, Halfdan W. - Cher Gabriel. - Gaïa. - Traduit du norvégien. - 165 p. - 16 €

Brice, dessinateur de livres pour enfants, quitte Lyon et emménage à la campagne, dans la grande maison achetée avec sa femme Emma. Il déballe ses cartons seul, perdu dans ses pensées, au bord de la déprime. Il commence à réaliser qu'il ne reverra plus jamais Emma qu'il aimait par-dessus, tout car elle est morte dans un attentat en Egypte.
Dans le village, on a l'impression de le connaître... Blanche, une habitante excentrique semble très intéressée par sa personne, et ils commencent à se voir de plus en plus régulièrement. Brice ignore que Blanche cache un secret de famille...
Ce roman posthume de Pascal Garnier, comme les autres livres de cet auteur, se lit d'une traite. La solitude due à la mort qu'on n'accepte pas car trop rapide, est très touchante.
Un régal pour ceux qui aiment le noir !
Garnier, Pascal. - Cartons. - Zulma. - 182 p. - 17,50 €

Jeff est un écrivain habitué aux tirages modestes et à une vie ratée. Incapable de se fixer, il n’a pas vu grandir son fils qui, à 20 ans, deale à l’occasion. Mais voilà que l’auteur rencontre l’amour et reçoit un prix littéraire. Comment va-t-il gérer cet excès de bonheur ?
Un petit livre bien ficelé qui se lit d’une traite. C’est drôle, délirant et difficile à résumer.
L’auteur et son héros narrateur en profitent pour brocarder à loisir le petit monde bobo-parisien gravitant autour de la culture : médias, éditeurs, critiques et lecteurs snobs… Pour un peu, on pourrait mettre des noms sur certains portraits. Personne n’échappe au regard acéré et au cynisme de Jeff, quinquagénaire blasé, habitué aux échecs. Et c’est jubilatoire ! L’être transparent qu’il était devient soudain le génie excentrique dont on ne peut se passer. La nouvelle célébrité garde néanmoins les pieds sur terre, craque un moment et plaque tout. Est-ce pour mieux retrouver les voies de la sagesse ? Jeff reste philosophe, quoi qu’il advienne !
Nous voilà donc prévenus : « nul n’est à l’abri du succès »…En abuser serait-il dangereux pour la santé ? Que nenni ! Voici enfin une bonne petite lecture souriante et sympathique à consommer quand on veut, sans aucune modération !
Garnier, Pascal. - Nul n’est à l’abri du succès. - Zulma. - 144 p.

Noëlle a 29 ans, bientôt 30, un amoureux, des amis prêts à tout pour elle, et un travail de bloggeuse people pour un site internet. Bref, une vie idéale.
Vraiment ? Du jour au lendemain, elle est virée pour cause de licenciement économique. Sans emploi, sans but dans la vie, elle se prépare au cap de la trentaine avec inquiétude et décide de vivre cette dernière année de pré-trentenaire à fond, en trouvant des défis à relever pour "l'année de ses peurs" : nager au milieu des requins, faire du trapèze, sauter en chute libre... Son entourage cherche à la soutenir, même si cela veut dire participer à ses défis. Ses parents sont sceptiques...
L'héroïne est l'auteur du roman. Elle aurait véritablement relevé ces défis cette année, puis en aurait fait un texte.
Se lit facilement, plutôt pour public de jeunes adultes.
Hancock, Noëlle. - L’année de mes peurs. - P. Rey. - Traduit de l’américain. - 347 p. - 21 €

Une fois de plus, l’auteur met en scène le shérif Walt Longmire dans une enquête fourmillante, dans sa région du Wyoming.
Une jeune Asiatique est tuée au bord de l’autoroute. Le suspect est vite désigné : un Indien vagabond qui, plus est, armoire à glace, vivant aux bords dans un tunnel, retrouvé avec le sac de la victime. Mais sa culpabilité va vite être remise en cause… Notamment quand on retrouve dans la doublure du sac, une photo de Walt Longmire 40 ans avec une jeune femme. Une photo en noir et blanc à Saigon, du temps où il était encore inspecteur pour l’armée, en pleine guerre du Vietnam…
Le roman suit deux trames narratives : cette enquête et une autre enquête que le jeune Walt a menée sur une affaire de trafic de drogue qui va s’avérer meurtrière.
Ce roman est encore très réussi. Les rebondissements, comme dans tout bon page-turner, sont présents, mais on est surtout marqué par la manière dont l’auteur sait camper des personnages épais, originaux, parfois ambivalents… Il met le doigt où ça fait mal : comportement des militaires américains au Vietnam, relations entre les communautés, accueil des immigrés… L’humour pince sans-rire est encore là, même si l’on rit moins que dans Little bird par exemple. Ce livre est encore plus noir et l’écriture très aboutie, parfois exigeante. Son caractère brut peut désarçonner.
Dans la tradition nature writing de Gallmeister, les amateurs de paysages grandioses, de villes fantômes, de réserves indiennes en auront pour leur argent.
Johnson, Craig. - Enfants de poussière. - Gallmeister. - Traduit de l'américain. - 322 p. - 24 €

Deux personnages, en chapitre alterné, courent après leur identité dans Jérusalem. L’avocat, arabe-israélien, veut devenir plus israélien que les Juifs eux-mêmes. Amir, étudiant arabe, passionné de photographie, paie ses études en étant auxiliaire de vie pour Yonatan en état végétatif à la suite d’un accident ; lui aussi était passionné de photographie et reconnu. Le lien entre les deux hommes est un bout de lettre amoureux que l’Avocat trouve dans un livre d’occasion et écrit de la main de sa femme, en fait bien avant qu’ils ne se rencontrent. Il s’imagine être trompé, dérape complètement et part à la recherche de son soi-disant rival.
Entre temps, Yonatan est mort et Amir s’est glissé avec la complicité de la mère du défunt dans son identité, au point de donner sa propre identité au mort. Amir est devenu un juif ashkénaze et photographe reconnu.
La course poursuite de l’avocat est pleine de rebondissements, car celui-ci court après une personne qui ne veut plus exister et qui a complètement oublié cet épisode de jeunesse ! Sa femme le croit devenu fou et ses amis essaient de l’aider sans rien comprendre.
Finalement, la rencontre a lieu, et l’avocat est confronté à un Amir-Yonatan qui lui explique tout dans un état de panique total.
Ce jeu de glissement d’identité est passionnant, de même que le récit de la vie quotidienne des arabes israéliens, de leur difficultés et de l’humour de certaines situations comme celle d’Amir qui, devenu juif, ne veut surtout pas être « l’Arabe  de l’exception positive » dans son école de photographie !
Roman au rythme soutenu, bien écrit et plein d’humour, parfois corrosif, qui aborde le problème des communautés en Israël : population juive, arabes des territoires occupés, immigrés de l’intérieur, habitants d’origine de Jérusalem….
Kashua, Sayed. - La deuxième personne. - L’olivier. - Traduit de l'hébreu. - 355 p. - 23 €

L’auteur se lance dans une épopée dans laquelle une rencontre improbable entre deux individus se fond dans la grande histoire de la conscription en URSS. Le vecteur en est un trajet en train, voyage mythique entre Moscou et Vladivostok, représentant le passage du temps, et la longueur du trajet symbolisant à la fois le brouillage de la notion de temps et la perte des repères. S’y ajoute l’“incommunication” entre les deux personnages, qui ne parlent pas la même langue et n’ont rien en commun, sinon d’être là où ils ne veulent pas être.
Le conscrit veut fuir l’armée et la jeune femme fuit son ex-compagnon, un oligarche russe, devenu arriviste et invivable. Elle ne sait pas vraiment où elle fuit…
La Française aide le russe à échapper à la traque avec le secours d’une babouchka qui surveille le samovar au bout du couloir, ce qui vaut une scène admirable de lavage de toilette, avec le fugitif caché derrière la porte !
Le sujet est mince, la rencontre sans lendemain. On ne sait ce qui adviendra à l’un et à l’autre de ces antihéros. Mais ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est l’écriture précise, rapide, moderne qui nous emporte dans un univers que l’on sait restreint, mais on fonce avec ce train jusqu’au terminus.
Ce texte a été écrit dans le cadre d’un voyage dans le transsibérien, réunissant une douzaine d’écrivains français.
Kerangal, Maylis de. - Tangente vers l’est. - Verticales, Collection Minimales. - 127 p. - 11,50 €

Ludivine dite « Ludi » décide de quitter Marc, son amant du moment.
En même temps, sa cousine Laure traverse une mauvaise passe et pense que son mari la trompe. Lui, c’est Julien, et effectivement il est volage, marié, 5 enfants. Plus jeune, il a été amoureux de Ludivine lorsqu’elle avait 13 ans. Elle aussi se souvient. Mais ennuyée par les problèmes sentimentaux, elle monte un stratagème pour éviter le pire et remettre de l’ordre dans cette famille qu’elle adore.
Ludivine, infirmière, travaille dans un hôpital, et avec la complicité du Dr Lambert, prend le temps régulièrement d’écouter la vieille dame raconter des souvenirs de jeunesse.
Il y a aussi les lettres de Vanessa à sa copine Mélanie exilée au Japon.
Amour, trahison, infidélité, tous les détails sont rassemblés pour décrire la vie d’une famille de tous les jours. Très fleur bleue ce roman se lit facilement, est accessible à tous. Tout y est concis clair, limpide.
A garder pour public aimant la lecture légère.
Kertz, Alba. - Masmara. - Presses du Midi. - 195 p. - 17 €

1ER AVIS : POUR
Luc, un généticien s'intéressait à un village perdu des Abruzzes, pour étudier l’ADN des habitants, descendants d'Albanais réfugiés en Italie cent ans plus tôt, partageant le même groupe sanguin. Il est mort il y a dix ans, laissant Laure veuve. Pour faire son deuil, celle-ci doit rencontrer ceux avec qui Luc passait tant de temps loin d'elle, ces habitants de Malaterra. Tous ses travaux sont restés sur place, inexploités.
Cette femme, égarée dans sa solitude, son deuil et son amour perdu, ressemble beaucoup à l’auteur. Elle essaie de prolonger les travaux de son mari, et redécouvre un homme à travers la vision qu’en ont ces villageois. Le facteur fait le lien entre elle, l’intruse, et les habitants qu’il connaissait.
Vénus Khoury-Ghata nous avait déjà séduit avec Sept pierres pour une femme adultère. Ce nouveau roman sauvage et âpre, rappelle Le facteur de Pirakerfa de Salvatore Niffoi, qui met lui aussi en scène un facteur solitaire, mais se déroule en Sardaigne, dans une atmosphère comparable à ce roman.
2EME AVIS : CONTRE
Luc, généticien est mort à Malaterra, village des Abruzzes (Italie), habité par des Albanais qu’il étudiait. Dix ans après, Laure part s’y installer, afin de rencontrer les habitants : le facteur qui lui remet une lettre de Luc qu’il n’a jamais envoyée, le libraire kosovar et donc suspect, Helena, qui veut venger sa fille, morte après un viol.
Laure va, par sa présence, faire émerger une parole, mais pour quoi faire ? Pour qui le faire ? Et surtout, pour quelles réponses à ses questions ?
L’écriture peut paraître intéressante, le sujet original, sauf que si l’on connait mieux les habitants de Malaterra, la quête de Laure reste un mystère… J’ai l’impression que Laure n’est qu’un prétexte pour narrer la vie d’un village, alors que la lectrice que je suis, attendait aussi les réponses à l’histoire dramatique de Luc. Pour ces raisons, ce texte semble rater sa cible et en devient peu convaincant…
Khoury-Ghata, Vénus. - Le facteur des Abruzzes. - Mercure de France. - 145 p. - 15€

C’est un livre qui aborde le sujet de la pédophilie et de l’inceste dans… la maison d’à côté, sans que les voisins de cette banlieue « normale » n’aient rien vu venir. Une voisine, par un hasard de circonstance, découvre le petit voisin qui essayait de s’enfuir et cette fuite met à jour ces actes. Il n’y a pas de voyeurisme, et aucune scène choquante n’est d’écrite.
Le récit est mené à plusieurs voix :
Celle de la mère, veuve, grande amie de la mère de l’enfant, très culpabilisée de n’avoir rien vu. Elle accueille Jordan chez elle à sa sortie de l’hôpital, alors que sa mère est arrêtée et son père en fuite.
Nate, 17 ans, son fils aîné, était troublé par la mère de Jordan qui lui faisait des avances.
On a aussi la voix de Jordan, qui, à la fois voudrait protéger sa mère et est totalement écorché vif et perturbé dans son comportement. Répulsion et amour de sa mère.
Les différents personnages ont de l’épaisseur psychologique, et leurs réactions semblent réalistes. L’enfant est bien campé, partagé dans ses sentiments, ayant à la fois de la répulsion et le désir de protéger sa mère, coupable elle aussi.
On apprend, en outre, que Danny, le plus jeune fils de Sarah, était sur la liste des futures victimes et Jordan l’avait rayé à grands fracas de ses amis pour le protéger.
La vie de tous est bouleversée. Chacun a une certaine épaisseur romanesque. Il se greffe autour des événements de la vie quotidienne, les amours adolescentes de Nate, l’attirance de Sarah pour un policier.
Kittle, R. - Le garçon d’à côté. - Phébus. - Traduit de l'américain. - 449 p. - 24 €

A 85 ans, Julienne, pourtant bon pied bon œil, décide de quitter son appartement pour une maison de retraite qu’elle a choisi avec soin, car elle en a les moyens financiers. Elle déchante rapidement : dîner à 18 h, cuisine très moyenne, personnel peu sympathique… Julienne va fédérer un petit groupe de pensionnaires qui revendique de meilleures conditions de vie.
Un portrait sans concession des maisons de retraites, et au-delà de la façon souvent peu respectueuse dont sont considérées les personnes âgées. Ce sujet sérieux est traité avec de bonnes pincées d’humour. S’y entremêlent les souvenirs de Julienne enfant, puis femme, et son regard sur sa propre grand-mère.
Un beau double-récit, assez fluide, qui bouscule les clichés sur la vieillesse avec le portrait d’une femme toujours vive, critique et pleine de vie.
Laureau-Daull, Elizabeth. - Le syndrome de glissement. - Arléa. - 184 p. - 18,50 €

Emie, 17 ans, a disparu en pleine nuit de chez elle. Isabelle, sa mère, est affolée ! Elle appelle son frère et un ami médecin qui s’occupe d’Emie, car la jeune fille est atteinte d’un mal mystérieux…
C’est aussi une cavalière émérite et son cheval Mazeppa a également disparu de son box.
Un premier roman qui raconte la fusion entre une enfant de 10 ans qui a rencontré un étalon. Tous deux sont tombés amoureux l’un de l’autre au premier regard ! Ils deviennent inséparables et ne forment plus qu’« un seul corps ».
Une jolie histoire qui finit mal.
Le Bail, Stéphanie. - Un seul corps. - Rocher. - 126 p. - 15 €

Ce livre nous entraîne dans le Japon du XIXe siècle. A Yoshiwara, le quartier fermé d’Edo, ce que tout le monde appelle « l’affaire » a fait grand bruit. Un homme, invisible mais omniprésent, nous ouvre les portes de ce quartier sulfureux. Il déambule, pose des questions et fait parler les humbles, qui finalement permettent de faire tourner ce domaine des plaisirs où les codes sont importants.
Nous découvrons un nombre incroyable de petits métiers comme le faiseur de lit, la coupeuse de doigt, le batelier… indispensables à la bonne tenue des maisons closes. Chez les prostituées, la hiérarchie est, elle aussi, très importante. Dame Katsuragi, la courtisane sur rendez-vous (le top du top !) de la maison de l’Oiseau blanc semble être au cœur de « l’affaire ». Au fil des confidences de tous ces personnages, le secret se lève et l’on comprend ce qui s’est passé, et surtout pourquoi.
La construction de ce roman est très travaillée, bien que semblant d’une simplicité étonnante, et Kesako Matsui nous entraîne dans un tourbillon d’anecdotes qui dépeignent parfaitement un certain Japon.
Très agréable à lire.
Matsui, Kesako. - Les mystères de Yoshiwara. - Picquier. - Traduit du japonais. - 297 p. - 22 €

Référence à L’Adieu de Guillaume Apollinaire, Et souviens-toi que je t’attends donne immédiatement au lecteur le ton du roman : « Est-il plus difficile d’aimer à quarante ans qu’à vingt ans ? Est-ce si différent ? Un homme et une femme se recontrent à l’âge dit du milieu de la vie. Il aime et se dérobe ; elle l’attend et le lui dit. Rendre à l’intimité sa noblesse, son secret, sa fragilité : comment faire lorsque la vie quotidienne, l’opinion de l’Autre sont à ce point dominantes . »
Belle réussite pour ce premier roman qui dévoile la sincérité des sentiments amoureux : difficulté à comprendre la fuite de l’être aimé, l’espoir et le besoin de le retrouver. Marine Meyer dit les choses simplement, mais avec un tact et une vérité tels, que la voix de la narratrice devient celle de l’universel. Toute femme en âge d’aimer pourrait se reconnaître dans ce personnage de papier. C’est ce qui fait la force de ce récit conduit avec justesse et sensibilité.
Meyer, Marine. - Et souviens-toi que je t’attends. - L’aube. - 136 p. - 14 €

Antoine, père de deux fillettes, est fraîchement divorcé et ne s’en remet pas, épiant la vie de son ex sur Facebook. Il a pourtant rencontré Laurence, une femme lumineuse et aimante, nantie de trois garçons de trois pères différents, avec lesquels elle entretient des relations de tribu. Elle voudrait faire de sa vie quelque chose de pleinement humain et généreux.
Il y a Mounia, la grand-mère d’Antoine, veuve et pensionnaire en maison de retraite. Une nouvelle relation se tisse entre les deux, se faisant chacun de son côté un pilier pour leur nouvelle vie. A ce moment, démarre le vrai sujet du roman : la vieillesse.
Antoine, sur sa demande, emmène sa grand-mère au bord de la mer, pèlerinage dans les souvenirs d’enfance, sans prévenir personne. Une échappée heureuse pour les deux, dans laquelle chacun aidera l’autre à apprivoiser son angoisse, Antoine celle de vivre pour pouvoir enfin regarder vers l’avant ; Mounia celle de quitter la vie en gardant la tête haute. Ils rentrent au bercail, rattrapés par la réalité, la maison de retraite, la famille et le Normal !
A travers la relation de Mounia et de son petit-fils, tout se dit, de l’intérieur, et du plus profond de l’être, sans grands mots, ni pathos. Quel que soit son âge, l’être reste soi-même, un être de désir, d’envies, de regrets, de réminiscences d’amour à donner et à recevoir, quel que soit l’habillage extérieur et la profondeur des rides.
Le récit se termine par une grande réunion de la tribu recomposée, hétéroclite à laquelle on ne peut croire, mais on se fait plaisir. Mounia est morte peu de temps après son retour à la maison de retraite et Antoine se tourne vers l’avenir. On est un peu au Pays des Bisounours, mais un peu, cela fait rêver…
Le ton du récit est simple, direct, parfois un peu cynique, tendre aussi. Un hymne à la tendresse.
Moulins, Xavier de. - Ce parfait ciel bleu. - Au diable vauvert. - 203 p. - 17,50 €

Dans ce recueil de nouvelles, Edna O’Brien évoque de nouveau l’Irlande, son pays natal. Des personnages comme l’on pourrait en rencontrer tous les jours, mais souvent avec un passé difficile, voire violent. Les souffrances de chacun sont transmises avec une grande sensibilité, l’émotion est forte dans chacune de ces histoires. La terre et la culture irlandaises, le quotidien des Irlandais imprégné d’Histoire… tout autant de thèmes chers à Edna O’Brien, et qu’elle nous fait partager ici encore. Son écriture poétique et violente saisit le lecteur qui ne peut y être insensible.
O’Brien, Edna. - Saints et pécheurs. - S. Wespieser. - Traduit de l’anglais (Irlande). - 228 p. - 21,30 €

Le journal d'Eva Braun a fait l'objet d'un long travail de documentation historique : l’auteur a “cherché à rendre une Eva dans toutes ses ambiguïtés, de son humanité la plus touchante à son indifférence la plus révoltante” (p. 13).
Le récit débute en 1929, à la rencontre d’un client de son patron, photographe du Parti national-socialiste. Eva Braun a 17 ans et tombe amoureuse d'Adolf Hitler, 40 ans. Hitler est selon elle, beau, bon, poli, simple et cordial. Eva est une jeune fille réservée, n’ayant aucune conscience politique. Leur relation se fait en cachette de ses parents et du public. Elle est persuadée d’être aimée ; trois ans plus tard, elle devient sa maîtresse. Elle est sa “petite sirène”, mais rêve que leur relation éclate au grand jour et obtenir le mariage. Elle vit très isolée, dans le mensonge, l’oisiveté et l’attente de minutes volées au grand homme, et fera plusieurs tentatives de suicide. Elle joue la maîtresse de maison au Berghof, organise les mariages des autres.
Eva est fière de son héros : “le Führer nous est envoyé par le ciel” (p. 95). Pourtant, en 1936, il est déjà qualifié de “monstre”, mais cela n’entame pas sa confiance. Elle filme les premiers événements dramatiques, et la caméra lui sert de mur entre elle et la réalité… Jusqu’à quel point, même si Hitler la tient hors de tout ce qui se passe ?
A. Régus s’est glissé dans la peau de cette jeune fille que rien ne destinait à un tel sort. Il témoigne de sa solitude, de sa jalousie, de ses interrogations, et de son amour indestructible.
Régus, Alain. - Le journal d’Eva Braun. - Pierregord, Collection Troubadours. - 398 p. - 20 €

Les parents de Thomas Heller demandent à Clovis, son vieil ami de le retrouver. Cette recherche conduira Clovis, de l’Indochine où ils ont connu la guerre à la maison de retraite où survivent des témoins de certaines exactions faites dans un village au milieu de la jungle indochinoise, en passant par l’assassinat du voisin de Thomas.
Clovis risque d’être à la fois le dernier témoin d’une tragédie et une victime comme tous les témoins encore vivants, tant ce qui a été dit sur cette tragédie est à l’opposé de ce qui a été vécu.
Livre agréable si l’on apprécie le genre, une forme de thriller, bien mené avec quelques rebondissements, un fond historique, les drames de la guerre, ce que l’on en dit, ce qui a été.
Renoncay, Philippe. - Le défaut du ciel. - Phébus. - 134 p. - 15 €

Annabelle et Clément sont très jeunes, quand naît leur fille Adèle. Nourrisson d’abord anorexique, elle devient petit à petit une enfant ronde, une jeune femme enveloppée et enfin une femme si grosse qu’elle ne pourra plus bouger, ni même sortir de son appartement !
Tout d’abord, c’est l’histoire des parents d’Adèle qui est prépondérante, puis peu à peu, les parents s’effacent, laissant à Adèle et à son compagnon, Antoine, toute la place dans le récit.
Difficile de donner l’intensité et la puissance de ce roman sensuel, généreux et enveloppant. Pourtant, il est aisé de se laisser porter par des personnages attachants, une histoire d’amour pleine et entière, et une forte impression de plénitude. Ce livre se lit avec une certaine gourmandise, comme Adèle et Antoine quand ils s’épanouissent dans leur amour.
Rivoal, Isabelle. - Grosse. - Le dilettante. - 255 p. - 19 €

14 « témoignages » - rencontres avec le cinéma, chacun unique, intime et profond : l’image découverte déclenche chez le spectateur la peur, le rêve, le doute, le plaisir ou des souvenirs.
Chaque personne interviewée évoque avec nostalgie le film qui a transformé sa vie et les circonstances dans lesquelles elle l’avait visionné. Parmi ceux-ci, il y a des grands classiques : Vertigo de Hitchcock, Le Dernier tango à Paris de Bertolucci…
Olivia Rosenthal ajoute son propre « témoignage » en évoquant les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy qui fait naître chez elle des sanglots incontrôlables.
Les récits sont poétiques et émouvants. Les amoureux du cinéma vont se régaler !
Un scénario parfait pour un court métrage ?…
Rosenthal, Olivia. - Ils ne sont pour rien dans mes larmes. - Verticales. - 115 p. - 11,50 €

En 1958, le grand braquage de la Banque d'Italie milanaise fixera le destin de deux jeunes garçons : Roberto Vandelli choisit le camp des criminels, Antonio Santi, celui des policiers.
Dans ce polar historico-social, l'auteur, en se fondant sur des événements réels (mouvements des étudiants et des ouvriers en 1968, les attentats anarchistes, les premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune en 1969...), suit les deux personnages parallèlement.
Roberto, devenu bandit, organise régulièrement des braquages et y participe, s'échappe plusieurs fois de prison et finit par former sa propre bande. Antonio, au début un simple flic, est nommé commissaire à la tête de la brigade mobile et traque les malfrats.
Le roman retrace l'histoire de la pègre milanaise des années 60 qui dépouille les riches. Les habitants de la ville ainsi que les médias, impressionnés par les "criminels gentlemen" condamnent l'impuissance de la police mais, suite aux affrontements "musclés", leur attitude évolue.
Un polar typiquement italien.
Roversi, Paolo. - La ville rouge. - Les Escales. - Traduit de l'italien. - 429 p. - 23 €

Ce roman retrace la vie de Coco mariée à Lorenzo. Ils ont deux enfants, Jules et Jim. La vie s’écoule paisiblement. Ils habitent dans une superbe villa. Mme Paramonti tient son rôle et son rang dans cette microsociété de notables de la ville. Elle a beaucoup d’amies qui, comme elles, ont de l’argent, la télé couleur. une maison sur la Costa Brava pour les vacances d’été, etc. Nous sommes dans les « années 60 ».
Mais Suzanna, la sœur jumelle de Lorenzo, émigrée à Los Angeles, revient dans la maison familiale et au cours d’une séance photo, Coco en tombe amoureuse ! La belle Suzanna doit repartir en Amérique, et sur le chemin de l’aéroport Lorenzo et sa sœur réchappent d’un terrible accident de voiture qui les conduit dans le coma.
C’est alors que Coco se remémore la prophétie de sa grand-mère : « un jour, toi seule pourras en sauver un des deux, et il te faudra choisir ». Coco se rend tous les jours à l’hôpital et remontent alors les souvenirs d’enfance. Sa grand-mère lui ayant transmis ses pouvoirs de sorcière, elle commence à croire à la prophétie. Mais tout serait plus simple si elle n’était pas amoureuse des deux.
Mélange de saga amoureuse et de thriller, le thème principal de ce roman est le triangle amoureux, bien décrit par l’auteur à travers l’histoire d’une sulfureuse passion qui allie suspense et surnaturel.
Saint-Bois, Danièle. - Villa bianca. - Julliard. - 229 p. - 18 €

La narratrice est une mère qui va voir son bébé à l’hôpital, en réanimation pédiatrique. Dès le troisième mois de grossesse, Thomas a eu une malformation. Mais ses parents veulent qu’il puisse mener une vie normale. Les visites à l’hôpital s’enchaînent et les examens se succèdent. L’avortement n’est pas retenu, mais le bébé devra être opéré à la naissance.
Les parents doivent observer le protocole du monde médical. Ils ont parfois du mal à comprendre les médecins ou à se faire écouter ; le personnel manque de temps. Le couple vit au jour le jour, tout en gardant espoir que leur enfant se rétablisse. Quand Thomas va mieux, l’hospitalisation à domicile est envisagée, après avoir passé ses trois premiers mois à l’hôpital… Le « regard de crocodile » désigne la façon que Thomas a de jeter des coups d'œil autour de lui.
Un style dépouillé, sans pathos, ni fioritures.
Dans le même “genre”: Les vies extraordinaires d’Eugène, I. Monnin.
Pour une version hilarante de l’hôpital : Bon rétablissement, MS Roger.
Sers, Caroline. - Le regard du crocodile. - Buchet-Chastel. - 160 p. - 14 €

Nous faire partager l’expérience du néant, l’univers inconsistant et épuré d’Ève, tel est l’objet de ce petit livre. L’homme aimé l’a trahie. Face à cela, un vide intérieur a pris place en elle, la fin du monde s’est produite. Pour tenter de se recréer, elle dispose de sept clés ouvrant les portes de ses souvenirs : tantôt agréables, tantôt amers, ils la conduiront jusqu’à l’origine de cet état chaotique, de ce blanc existentiel.
A l’instar de La Belle au bois dormant, Ève attend que l’homme aimé comprenne sa propre erreur et revienne vers elle pour pouvoir renaître.
Un récit à une voix qui pourrait tendre à une complainte égocentrique. Mais l’on finit par s’habituer à cette narration particulière et à apprécier la dimension poétique de cet hymne à la vie.
Sténuit, Marie-Eve. - Un éclat de vie. - Castor astral. - 83 p. - 12 €

Témoignage d’un jeune lycéen de 18 ans, écrit un an après le lancement de la bombe atomique sur Hiroshima. Adolescent, il ne comprend pas ce qu’il s’est vraiment passé, tout comme les autres habitants de la ville meurtrie. Avec son ami, il aide les médecins et les infirmiers à soigner des brûlés et des agonisants dans un hôpital de fortune.
La date du 6 août 1945 reste gravée dans l’esprit de Hisashi comme la rupture avec l’ancien Japon guidé par «l’âme Yamato» : accueillant, fier et courageux. La population atteinte moralement et physiquement doit réapprendre à vivre en gardant l’espoir.
La souffrance, la compassion du lycéen vis-à-vis des autres et l’impuissance envers l’ampleur de la tragédie rendent ce court récit émouvant.
Le texte a été retrouvé récemment, par hasard, après la mort de l’auteur et livré par sa femme.
Tohara, Hishashi. - Il y a un an Hiroshima. - Arléa, Collection Poche. - Traduit du japonais. - 55 p. - 5€

En 1967, Claire, jeune mariée américaine, rejoint son mari militaire à Bangkok. Claire passe la plupart de son temps seule, dans la chaleur humide d’un pays qui lui est totalement étranger. Les journées sont longues, et elle ne s’adapte pas tout à fait à son nouvel environnement, ni à sa vie de femme mariée.
L’un des premiers dîners auquel le couple est convié, a lieu chez Jim Thompson, riche entrepreneur qui a fait fortune dans le commerce de la soie. Or, quelques jours après ce dîner, Jim disparaît. Pour Claire, cette rencontre a été une véritable révélation. Tout de suite attirée par cet homme un peu mystérieux, sa disparition l’obsède au point qu’elle va mener l’enquête de son côté et ne plus penser qu’à lui.
Ce roman est intéressant d’abord d’un point de vue historique, car il se déroule dans un contexte bien particulier, au moment où les Etats-Unis s’installent progressivement en Thaïlande, d’où ils attaquent le Nord du Vietnam.
L’écriture de Lily Tuck, lente, sensible, rend tout à fait le sentiment de solitude et de détresse ressenti par l’héroïne. Quelques longueurs parfois, mais un roman qui donne le point de vue bien particulier d’une femme, à une époque et dans un lieu très spécifiques. Un moment de lecture différent de ce que l’on peut trouver habituellement !
Tuck, Lily. - Siam, ou la femme qui tua un homme. - J. Chambon. - Traduit de l’américain. - 222 p. - 21,30 €

Dans l’Extrême Orient russe, près de la frontière chinoise, est située la province Primorié, connue pour son climat rude, ses montagnes et ses épaisses forêts sauvages. C’est là où vit le tsar de la taïga -le tigre de Sibérie-, appelé aussi le tigre de l’Amour.
Dans les années 90, à cause du chômage et de la pauvreté, la population commence à chasser le tigre, très recherché, surtout en médecine chinoise, pour ses organes, sa peau, son sang et ses os. C’est pourquoi, en 1994, avec l’appui des Etats-Unis, le gouvernement russe forme une unité spéciale d’intervention en milieu forestier. Les inspecteurs nommés sont censés protéger l’animal mais également, faire de la prévention auprès des habitants en cas de danger.
Un jour, l’apiculteur braconnier Markov est massacré par le tigre, et l’inspecteur Trouch part sur les traces de l’animal blessé sans attendre l’aval de Moscou…
Ce récit magnifique est riche en informations : l’histoire de l’URSS est mélangée à la géographie de la Sibérie, la paléontologie à la sociologie. Les deux héros : l’homme et le tigre doivent apprendre à cohabiter dans la jungle boréale, où chacun doit trouver sa place.
Vaillant, John. - Le tigre. - Noir sur blanc. - Traduit de l’anglais. - 445 p. - 23 €

Lauren Mahdian est une jeune femme d'une trentaine d'années, qui traîne derrière elle une enfance meurtrie par l'assassinat de sa mère,et l'incarcération de son père... Elle est agent immobilier, en couple avec un homme sympathique, vit surtout une relation très fusionnelle avec son frère, dont le départ pour l'Irak la déstabilise totalement.
Ferme les yeux, c'est un peu Cold case : retrouver une vérité enfouie dans un passé qui continue de miner les vivants.
Ce sont aussi des personnages originaux, parfois un peu caricaturaux, qui sont à la recherche d'eux-mêmes, et auxquels on finit par s'intéresser.
C'est surtout une intrigue plutôt bien construite, avec des retours en arrière qui donnent des indices, tout en préservant un suspense presque jusqu'à la fin.
Un thriller qui permet de passer un bon moment de détente.
Ward, Amanda Eyre. - Ferme les yeux. - Buchet-Chastel. - Traduit de l'américain. - 228 p. - 20 €

Ce livre est une réédition du roman paru en 1892 et devenu un véritable best-seller à l’époque. Son auteur est un Anglais très célèbre et appelé le « Dickens de la littérature juive ». Il est également connu pour ses positions territorialistes en face du mouvement Sioniste, c’est-à-dire qu’il ne préconisait pas forcément un territoire en Palestine pour les Juifs. La décision de Balfour en 17 a mis fin à ce courant.
Dans ce gros roman, l’auteur met en scène la communauté juive des quartiers Est de Londres, émigrée d’Europe de l’Est. Le récit suit la famille de Moses Ansell, et foisonne de détails colorés, sur la vie quotidienne. On y croise des personnages plus ou moins stéréotypés : le marieur, le mendiant, la fille à marier…C’est plein de bonne humeur et d’humour. Les personnages sont très nombreux, grouillent dans tous les sens, sont actifs et bons-vivants, malgré l’acharnement du sort.
Dans la deuxième partie, l’auteur évoque la nouvelle génération qui veut s’ouvrir à l’avenir, ne plus cultiver le culte de shettel et trouver une nouvelle façon d’être juif dans le monde moderne de Londres. L’héritière de Moses est même tentée par le christianisme.
La langue est intéressante car, d’un sabir yiddish-anglais-allemand, on passe à un anglais châtié qui est la preuve de l’intégration.
Le roman se lit très facilement, même si l’on se perd un peu dans les personnages, mais cela n’a pas grande importance. Ce qui compte, c’est le foisonnement et la vie qui s’en dégagent. C’est aussi une tranche d’histoire du XXe siècle, qui n’est pas terminée et qui pose le problème de la survie et l’intégration des communautés.
Zangwill, Israël. - Enfants du ghetto : étude d’un peuple singulier. - Les Belles lettres. - Traduit de l'anglais. - 629 p. - 29 €