Selection petits éditeurs octobre 2011

Petits éditeurs – Sélection Octobre 2011

Retrouvez la sélection octobre 2011 de la commission petits éditeurs de BiB92

C’est un sombre roman qui plonge au cœur de la turpitude humaine et au cœur de lieux fascinants. Ceux-ci recèlent des pierres qui excitent la convoitise des hommes.
Bertrand Moreau invite une jeune et séduisante jeune femme dans sa somptueuse maison sur le Léman. Nadine est une journaliste sulfureuse et arriviste, dont les révélations récentes ont entraîné le suicide d’un ministre.
Bertrand lui raconte son expédition au Cambodge durant la guerre d’Indochine. Avec une poignée d’hommes, à la poursuite d’un aventurier à la recherche de rubis rares cachés dans des temples, il s’enfonce dans une jungle inextricable. Dans la démesure de cet environnement, sa vie prend une autre dimension. Il tue un brahmane, et obtient une partie d’un trésor en rubis caché durant la guerre d’indépendance.
Le but de sa rencontre avec Nadine est de faire tomber un grand nombre de personnages impliqués dans des affaires.
Le titre Mammon est le sujet du livre : Mammon est un personnage mythique de l’enfer : l’argent et, surtout, le désir de possession au sens fort du terme. C’est ce désir qui habite Moreau et Nadine, comme les autres héros des livres de Robert Alexis qui sont tous dans une quête d'absolu, quelqu’en soit l’objet.
L’écriture est mythique et fascinante, mais l’histoire est très difficile à suivre. Il faut se laisser porter par les images et leur magie. L’auteur crée un œuvre singulière et exigeante.
Alexis, Robert. - Mammon. - José Corti. - 278 p. - 17, 50 €

1915 : Raymond Bonnafous, le narrateur et grand-père de l'auteur part à la guerre, abandonnant ses études de médecine. Il débute comme brancardier, puis aidera les médecins et gagnera des galons au fil des années. Dès son arrivée, il devient l'ami de Declercq qui l'héberge lors de permissions dans sa famille très aisée. Celle-ci l'accueille à bras ouverts. Leur relation est indestructible et dure malgré les affectations qui peuvent les séparer durant ces trois ans. Les deux hommes rencontrent ensemble une jeune fille espiègle intrépide et rousse, surnommée Zouzou, qui refuse d'en favoriser l'un plus que l'autre et ne recherche que leur amitié.
Réunis tous les trois lors de leurs permissions et sorties, Bonnafous et Declercq tentent d'oublier le quotidien et s'amusent. La guerre n'est qu'une parenthèse, ce sont des "garçons d'avenir" tels que l'a voulu l'auteur. Ils se détendent, vont dans leur famille, s'offrent des soupers fins pour ne pas perdre l'espoir de s'en sortir. Ils comptent poursuivre leur amitié et reprendre leurs études dès la fin de la guerre.
Ainsi ce roman est magistral par ce point de vue adopté et l'amitié qui lie ces hommes. Le livre est ponctué de photos intéressantes prises par le grand-père. Emouvant, drôle et jamais désespéré.
Bauer, Nathalie. - Des garçons d'avenir. - P. Rey. - 440 p. - 20 €

Ce livre commence au moment où la narratrice apprend la mort de son mari Samuel Laugier, parti en déplacement à l'étranger. L'époux a trouvé la mort dans le taxi qui le conduisait à l'aéroport, un camion n'ayant pas respecté les feux de signalisation. Sa veuve est sous le choc, et appelle sa sœur Andréa qui "s'occupe de tout".
Comme la narratrice est aussi traductrice d'un manuel d'histologie ("Étude microscopique des tissus, permettant de comprendre leur fonctionnement et de connaître leur structure"), nous apprenons par moments quelques définitions sur le cortex cérébelleux, la moelle épinière, le cartilage hyalin, la glande lacrymale, qui elle, est plus en rapport avec le sujet. Bref, sa femme le fait incinérer après quelques hésitations. Les détails sont racontés avec précision. Ce Samuel a aussi des parents, une sœur …
La veuve se remémore ses derniers moments avec son mari, des souvenirs et des futurs qu'ils n'auront jamais. Ce n'est pas gai du tout. Il n'y a pas trop de tristesse, une vraie réalité qu'est ce dur moment. Ce n'est pas courant de traiter ce thème de cette manière.
Benincà, Lise. - Les oiseaux de paradis. - J. Losfeld. - 124 p. - 13,50 €

Une maison normande, vieille de 200 ans et quasiment abandonnée, est mise en vente par son propriétaire Paul Manin. Elle va "ressusciter" grâce au coup de cœur d'un metteur en scène, Hector, qui l'achète et s'y installe. L'acquéreur dirige une troupe d'acteurs qu'il va faire évoluer, après avoir transformé l'habitation en théâtre. Isis, venue passer un week-end campagnard avec Max, un des fils Manin, n'hésite pas un instant à tout quitter pour venir loger et travailler dans cette vieille bâtisse qui lui parle et la tranquillise.
Tous ces personnages un peu décalés, cassés par la vie sont très vivants, et malgré des parcours douloureux, une grande connivence règne à l'intérieur du groupe.
Trois narrateurs successifs nous parlent d'eux, et dévoilent la vie de chacun. Joseph, un des fils Manin, Isis et Hector, mais aussi et surtout, "personnage" essentiel du roman : "La maison". Camille Bordas lui a donné la parole, qu'elle se fait un plaisir d'accaparer tout au long du roman, sans oublier non plus, les lieux et les objets: la rivière, le cimetière, l'horloge, la tasse, le miroir et la porte ("et ça entre, et ça sort, sans égard pour mes pauvres gonds".)
Roman original plein de tendresse.
Bordas, Camille. - Partie commune. - J. Losfeld. - 213 p. - 16,50 €

Guernica, avril 1937, le jeune Basilio passe son temps dans les marais à la recherche de hérons cendrés qu'inlassablement il peint, attentif au moindre mouvement, à la moindre nuance de couleur. Dans quelques heures, Guernica sera bombardée.
En attendant, Basilio peint, loin des conflits, dans une irréelle atmosphère de douceur et de sérénité que viendra troubler un soldat traqué et blessé.
Mais le monde autour de Basilio s'écroule, Célestina est tuée ; le héron et la souffrance ne font plus qu'un.
Dans un style à la fois limpide, simple et lumineux, sensible et poétique, ce récit, fait d'allers et retours entre la ville en flammes et la vie du marais, dévoile, en même temps que l'horreur, la magie de la création.
Les dernières pages, « le héron du matin et le héron du soir », sont tout simplement magnifiques.
Et Picasso ? Basilio, son carton à dessin sous le bras, cherche à rencontrer le célèbre peintre, dont le tableau « Guernica » est exposé à Paris...
Choplin, Antoine. - Le héron de Guernica. - Rouergue. - 158 p. - 16 €

« Le monde est mort ». C’est ce qu’explique Silvestre Vitalício, à ses enfants. C’est pourquoi il a fondé lui-même sa communauté à Jérusalem, composée de ses deux enfants, de son domestique, et occasionnellement de son beau-frère. Mwanito, le plus jeune, et le narrateur, nous livre les détails et les sentiments de chaque membre de cette étrange famille.
Une histoire belle, émouvante, parfois violente, mais racontée avec réalisme et quelques notes d’humour.
Silvestre Vitalicio a en fait décidé de s’exiler du monde après le suicide de sa femme, le laissant seul avec ses deux enfants. Mwanito avait trois ans, il ne se souvient donc plus de sa vie d’« avant ». Son frère, Ntunzi, lui, s’en souvient très bien. Mwanito est hanté par le « non-souvenir » de sa mère. Il est également le spectateur de la souffrance de son frère qui déteste sa vie coupée du monde, mais qui ne peut s’en échapper. Lui n’a connu que ça …
Petit à petit, leur père se renferme sur lui-même. La famille doit alors retourner en ville. Mwanito découvre alors ce nouveau monde mais passe son temps à s’occuper de son père, parfois nostalgique de Jérusalem. Le livre se termine quand même sur une note d’espoir !
Couto, Mia. - L'accordeur de silence. - Métailié. - Traduit du portugais (Mozambique). - 237 p. - 19 €

Un vieil homme obèse vit seul, en ermite monstrueux. Il refuse toute aide extérieure, alors que les gestes de la vie quotidienne sont pour lui extrêmement compliqués. Il rejette même les essais de contact de ses voisins.
Tous les jours, il se rend en bus à l’hôpital au chevet sa femme, dans le coma à la suite d’un accident. Il reste simplement là, assis sur une chaise sans jamais dire un mot.
Sa femme est suivie par une jeune doctoresse, solitaire elle aussi, qui est la seule personne à supporter les rebuffades de Nestor et qui aura envie de gratter cette carapace de graisse qu’il s’est construit au fil du temps.
Comment finir une histoire comme celle-ci : l’auteur ne tranche pas et nous offre trois possibilités.
La rencontre improbable de ces deux êtres, que seule la solitude rapproche, est touchante, et l’auteur la rend plausible grâce à une écriture légère et précise.
Dupont-Monod, Clara. - Nestor rend les armes. - S. Wespieser. - 117 p. - 15 €

La narratrice a 56 ans. Pour son anniversaire, sa petite-fille lui offre un journal intime orné d'une rose. Elle commence alors à retracer sa vie.
"J'avais 7 ans quand j'ai décidé de tuer ma mère. Et 17 ans quand j'ai finalement mis mon projet à exécution." Le ton est donné dès la première phrase ! Sa mère n'a jamais fait preuve d'amour envers elle, et l'a toujours critiquée, rabaissée. Pourtant, Eva a toujours espéré avoir un peu de tendresse de sa part. Ses bonnes relations avec son père -peu présent- ne peuvent pas combler cette souffrance. Aussi, la petite fille décide du meurtre pour se préserver. Elle commence par tuer le chien qui la terrorisait.
Ses parents s'entendent de plus en plus mal, sa mère s'adonnant à des fêtes arrosées et à de nombreux amants. A 17 ans, Eva rencontre John, un marin. C'est le coup de foudre, et ils prévoient de vivre ensemble. Mais sans nouvelles, la jeune fille apprendra qu'il doit se marier ! Elle est enceinte et assumera seule l'enfant. Elle ne reverra jamais son seul amour, elle qui avait surmonté son dégoût des hommes. Elle passera sa vie dans la maison paternelle, au milieu de ses roses, et vivant avec Sten, celui qu'elle croyait être son père !
Un second roman absolument captivant, fascinant de profondeur et très puissant, bien construit entre passé et présent. A lire absolument.
Prix Page des libraires (Europe).
Ernestam, Maria. - Les oreilles de Buster. - Gaïa. - Traduit du suédois. - 409 p. - 24 €

Le contexte : depuis Nehru, les castes n’existent plus en Inde, officiellement, du moins. Les ex-intouchables s’appellent maintenant « dalit », et ils ont droit à l’éducation par le biais de quotas, système réprouvé par les autres castes, surtout les brahmanes. Dans les faits, les dalits sont pour la plupart relégués dans une vie difficile, et le fossé existant entre les castes demeure.
L’histoire : Ayyan est un dalit au QI impressionnant. Pourtant, il n’est que secrétaire du directeur d’un Institut de recherches en astronomie. C'est un joyeux filou qui connaît tout le monde et se tient au courant des faits et gestes de chacun au sein de l’Institut. Tous les soirs, il rentre dans son très modeste appartement. Bien que Oja, sa femme accepte son karma, Ayyan ne supporte pas le fait que son fils, par sa naissance, soit comme lui réduit à une vie médiocre. Alors germe dans sa tête une imposture. Il fera passer son fils pour un génie. Adi passera même le concours d’entrée à l’Institut.
Sur fond de revanche entre dalits et brahmanes, Manu Joseph nous livre une fable actuelle sur l’Inde.
Le style est très journalistique, sans aucune recherche. La lecture est facile, mais certaines parties sont un peu longues. Ce livre a reçu de nombreux prix littéraires anglo-saxons et se trouve sur certaines listes de prix français. Pourtant, il ne me laissera pas un grand souvenir.
Manu, Joseph. - Les savants. - P. Rey. - Traduit de l’anglais (Inde). - 408 p. - 21 €

Une femme sur un âne accompagnée d'un cavalier sur son cheval blanc traverse l'avenue de Chang'an, la plus grande artère de Beijing. Sa beauté hypnotise les hommes qui finissent tous par la suivre...; Wang, bientôt marié, rencontre une belle inconnue portant un bouquet de fleurs. Après un baiser échangé, l'homme ne parvient pas à se détacher de cette femme envoûtante et possessive... ; un enfant de 8 ans perd son père, et ne parvient pas à trouver l'argent pour soigner sa mère...un destin tragique l'attend dans sa condition paysanne...
Dans ce recueil de nouvelles, Mo Yan dénonce la condition paysanne vue à travers le regard d'un enfant, il évoque aussi comment la beauté des femmes fascine les hommes et à quel point elle les obsède. Le lecteur est transporté dans des contrées inconnues qui semblent surnaturelles, peuplées d'esprits vengeurs ou de fantômes du passé, rappelant une autre de ses nouvelles "Le maître a de plus en plus d'humour".
Les récits de Mo Yan sont empreints d'une beauté rare, dans un rythme lent et envoûtant avec une nature omniprésente. Les images y sont propices à la rêverie, et les thèmes chers à l'auteur -la condition paysanne, la beauté des femmes, le regard de l'enfant sur la lâcheté des adultes- sont abordés avec virtuosité et poésie.
Mo Yan. - La belle à dos d'âne dans l'avenue de Chang'an. - Picquier. - Traduit du chinois. - 158 p. - 16 €

Londres 1952. Dans une mansarde délabrée, une femme se débat avec ses démons : l’alcool et les souvenirs. Cette femme, c’est Molly Allgood, une comédienne irlandaise qui fut la maîtresse de John Millington Synge, le dramaturge irlandais qui a créé le Théâtre de l’Abbaye à Dublin au début du XXe siècle. La vie est dure après la guerre, et à 65 ans, Molly est prête à tout pour survivre. Elle court le cachet, ramasse des bouteilles vides qu’elle fait déconsigner. Elle erre dans un Londres noyé dans le fog et les souvenirs apparaissent au cours de ses déambulations.
Cette histoire d’amour nous est contée en flash-back par la vieille Molly, actrice déchue, clochardisée et alcoolique qui répond à une voix (la sienne, celle de Synge ?) la renvoyant sans cesse à ses souvenirs.
En 1907, Molly rencontre Synge lors d'une répétition au théâtre. Ce sera l’amour fou, alors que tout les sépare : il est protestant, elle est catholique, il est âgé, 37 ans, elle est jeune 19 ans, il est riche elle est pauvre mais belle et sensuelle. Il sera son Pygmalion, elle sera sa muse. Mais leur histoire ne survivra pas aux regards des bourgeois irlandais bien-pensants, aux rejets de leurs proches et l'écrivain ne l’épousera jamais.
Magnifiquement écrit, la narration à la deuxième personne grâce au stratagème de la voix off, rend le roman vivant, même si, par moments, on s’ennuie un peu…
O’Connor, Joseph. - Muse. - Phébus. - Traduit de l’anglais. - 278 p. - 19 €

Le premier été, c’est bien sûr, l’été du premier amour. Catherine se souvient, et se confie à sa sœur… Elle raconte l’un de leurs étés passés en Haute-Saône chez leurs grands-parents. C’est alors une adolescente solitaire, en retrait par rapport à sa grande sœur qui connaît ses premiers flirts. Catherine ne se doute pas encore qu’elle va vivre le plus intense des étés, qui la marquera pour toujours.
Avec une grande sensibilité, Anne Percin réveille en chacune de nous les sentiments et les souvenirs de notre adolescence. Un roman féminin sans aucun doute !
Percin, Anne. - Le premier été. - Ed. du Rouergue, La brune. - 162 p. - 16 €

Jacques Pimpaneau, sinologue français né en 1934, a été professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales, où il fut titulaire de la chaire de langue et littérature chinoises. Il a créé à Paris le musée Kwok On (Arts et traditions populaires d’Asie), dont les collections ont été léguées au musée de l'Orient à Lisbonne. Ami intime de Georges Bataille, il fut la seule personne présente au moment de son agonie en 1962.
Chine, IIe siècle avant J-C. : Zhang Qian, un jeune homme responsable des écuries du palais impérial postule pour être ambassadeur de l'Empereur auprès de Yuezhi, tribu barbare d'Asie centrale. Cette initiative va transformer sa vie… car de son parcours semé d'embûches et d'honneur naîtra une famille, une carrière, une œuvre.
Un roman à la croisée du conte, du roman d'aventures et du récit de voyage. Inspiré d'une histoire vraie et de faits réels, il est écrit à la première personne, ce qui permet au lecteur de s'attacher au personnage et de l'accompagner d'autant plus réellement. Richement documenté, le roman permet de mieux connaître la Chine de l'époque, son environnement et sa vision politique, même si cette dernière est parfois un peu trop profondément expliquée, notamment en seconde partie du livre, au détriment du parcours du personnage.
Un roman bien écrit à garder et à conseiller à un lectorat plutôt averti.
Disponible en e-book sur www.gallimardnumerique.com
Pimpaneau, Jacques. - Les chevaux célestes : l'histoire du Chinois qui découvrit l'occident. - P. Picquier. - 123 p.- 13 €

Romancière née en 1960 en Moselle, Fabienne Swiatly vit à Lyon. Elle anime des ateliers d'écriture. Une femme allemande est paru en 2008 chez le même éditeur.
CF son site http://latracebleue.net/
Face-à-face entre une vieille dame placée dans un centre spécialisé dans la maladie d'Alzheimer et sa belle-fille, la narratrice, photographe bosniaque, qui lui rend visite chaque semaine.
Ces rencontres sont l'occasion pour la bru d'apprendre à connaître sa belle-mère. Les deux femmes sont liées par la mémoire : d’un côté celle qui s'envole, de l’autre celle qu’il faut garder pour transmettre. La jeune femme a fui la guerre et son pays, a des difficultés dans son couple, désire se raconter pour ne pas se perdre. La douleur de voir sa belle-mère perdre ses repères s'ajoute à celle de son exil… La narratrice a besoin de commenter le présent pour ne pas s'égarer elle aussi. Elle a honte de mentir à la vieille dame en lui cachant les nouveaux événements. Elle aimerait "discuter entre femmes".
Malgré la menace permanente de l’oubli, un lien étroit unit les deux femmes. La belle-fille persiste à vouloir garder une relation affectueuse, même éphémère. Leur sincère affection est touchante. Chaque retrouvaille devient un cérémonial dans lequel prime la délicatesse. La photographie, témoignage du passé, sert de référence aux conversations.
Le roman est plus un portrait de femmes et de mémoire qu'un récit sur la maladie.
Les titres de chapitres font référence à la maison, comme point d'ancrage. La propriété maternelle est vendue, mais la narratrice se souvient des moments passés.
Beaucoup de douceur et de justesse dans ce portrait de deux femmes qui, malgré tout, restent unies. Les souvenirs de l'une s'entrecroisent avec ceux de l'autre.
Très belle écriture qui ne tombe jamais dans le pathos. Un livre court mais dense, juste et sensible.
Sur le thème d'Alzheimer : Olivia Rosenthal : On n'est pas là pour disparaître (Verticales) ; Irène Cohen-Janca Arrête de mourir (Actes Sud).
Swiatly, Fabienne. - Unité de vie. - La fosse aux ours. - 106 p. - 15 €

Le vieux Miklus vit avec la communauté rom installée sur les bords du Danube. Il connaît les plaisirs, les malheurs aussi, et surtout les drames que vivent Chnepki, dite "La Vieille", Lubko le gadjo, joueur de violon et marionnettiste, Maruska leur fille et Dilino, l'enfant souffre-douleur. Sa culture ne lui a pas appris à parler, à raconter l'histoire et donc à protéger les siens.
Quand il rencontre une journaliste, rongé par le remords, il ouvre la porte de sa mémoire.
Comme, Petite, allume un feu de Martin Smaus, l'auteur nous décrit l'histoire des rom, leurs vies, leurs oppressions et les non-dits qui tuent lentement mais surement.
Plus poétique que le livre de M. Smaus, plus intériorisé et sur un tempo plus lent, ce premier roman de Laurence Vilaine est une belle découverte et une réussite.
Vilaine, Laurence. - Le silence ne sera qu'un souvenir. - Gaïa. - 173 p. - 17 €

Pierre, Anne et Joshua ont perdu leur père qui s’est suicidé, et doivent vider et mettre en vente leur propriété de famille. Après une présentation un peu laborieuse de leur vie à Paris et de leur relation, nous partons avec eux en Bourgogne. La maison est une véritable datcha russe, comme leurs origines. Tous leurs souvenirs remontent à la surface, les bons, et surtout les douteux, comme les dettes laissées par leur père (ils doivent vendre la maison pour les éponger), le passé sulfureux de leur grand-père qui a contraint la famille à émigrer en 1918, le souvenir d’une mère dont on ne dit rien. Dans le village, ils sont restés les étrangers.
Chacun réagit à sa façon : l’aîné Pierre veut une intégration totale et est plutôt autoritaire. Anne, très slave, vit des amours impossibles, Joshua, le dernier, est plutôt cabossé, homosexuel et instable. Leur tante, Véra, défend les sans-papiers, un verre de champagne à la main.
Le style est très vivant, saute d’une anecdote à une autre, virevolte. C’est assez cinématographique, amusant et tendre plutôt qu’émouvant, car cela renvoie à notre propre passé et notre façon de gérer nos héritages. Mais, il pêche par des facilités, des jeux de répétition et des ellipses. Dans la première partie, apparaissent des personnages totalement extérieurs à l’intrigue et inutiles. Mais, on se laisse prendre à cette lecture plaisante au sujet bien centré.
Wails, Stanislas. - La maison Matchaïev. - Serge Safran éd. - 256 p. - 17 €

Un terrain vague dans la banlieue de Toronto abrite toute une communauté de blessés de la vie, hommes, femmes et animaux divers, qui vont et viennent, selon leurs envies et leurs besoins. Guy est un peu le référent de tous, et gère une casse automobile. Stephen se remet mal de sa guerre en Afghanistan, Lily enterre les animaux écrasés et devient plongeuse dans un bistrot, Edal, agent fédéral de la faune, sort d’une dépression, Kate est vétérinaire et se remet mal de la mort de son amie. Souvent, Guy leur fait la lecture le soir, dans une ambiance familiale.
Darius est élevé par un grand-père sadique et une grand-mère soumise. Sur son blog, il raconte sa haine des coyotes et les sévices qu’il leur fait subir. Stephen correspond avec lui, et essaie de lui faire comprendre la valeur et le droit à la vie des animaux.
Les points de vue de chacun sont pris en compte, hommes comme animaux. C’est cela qui est particulièrement intéressant et nouveau. Il se dégage une très grande empathie de chacun et pour chacun. C’est un microcosme de petites vies juxtaposées, qui peuvent se rencontrer et construire quelque chose. Ce roman est à la fois philosophique, militant pour la faune, les sans-voix et tous les brisés de la vie.
Un roman très original sélectionné pour le Prix Page des libraires.
York, Alissa. - Fauna. - J. Losfeld. - Traduit de l’américain. - 333 p. - 22,50 €