Sélection de la commission petits éditeurs - été 2012

Commission Petits éditeurs BiB92 - Sélection été 2012

La commission spécialisée "petits éditeurs" de BiB92 vous propose une sélection de romans à lire, acheter ou emprunter dans votre bibliothèque préférée...

Deux couples, Laetitia et David Brunelle, Tiphaine et Sylvain Geniot, habitent une maison mitoyenne. De simples voisins au départ, ils deviennent rapidement très amis. Quelque temps plus tard, Laetitia accouche d’un petit Milo, puis Tiphaine de Maxime. Le quatuor s’entend à merveille, et il n’y a pas une semaine sans invitation dans l’une ou l’autre maison. Mais lorsqu’un drame survient chez les Geniot, les relations entre les deux couples deviennent cauchemardesques…

Le style littéraire est simple voire plat, cependant, l’auteur réussit incontestablement à instiller angoisse et doute chez son lecteur. Celui-ci apprécie vivement la vraisemblance des faits et est stupéfié par la transformation caractérielle des personnages, constamment tiraillés entre raison et instinct. En somme, un thriller psychologique réussi.

Abel, Barbara. - Derrière la haine. - Fleuve noir. - 315 p. -18,50 €

 

Dans une affaire de chantage, un ami vient demander l'aide de Sigundur Oli, l'adjoint d'Erlendur, parti en vacances. Un S.D.F laisse un fragment de pellicule de film 8 mm au commissariat où l'on voit un enfant implorer un homme de ne pas le toucher... Une ancienne affaire d'enlèvement de banquier refait surface... Trois histoires différentes viennent à la connaissance de Sigundur Oli, qui est chargé des trois affaires.

Ce roman permet au lecteur de découvrir ce personnage si effacé dans les aventures précédentes d'Erlendur. Ici, on y découvre sa séparation avec sa femme parce qu'elle veut adopter et que lui n'est pas prêt. On y voit aussi ses parents séparés, son père atteint d'un cancer de la prostate, et sa mère toujours étouffante, exigeante et lunatique. Sigundur Oli se révèle être un homme attachant dans les difficultés personnelles qu'il traverse. L'auteur réussit à faire de lui un personnage profondément humain usé par la vie et tout ce qu'il a pu voir dans le cadre de son métier.

Ce dernier roman d’ArnaldurIndridason dépeint une société islandaise minée par la cupidité, la pédophilie, la violence, le meurtre et la crise économique. Toutes ces histoires entremêlées avec efficacité et talent donnent un récit captivant pour le lecteur. Une belle réussite avec cette mise en avant au premier plan de Sigundur Oli.

Arnaldur, Indridason. - La muraille de lave. - Métailié. - Traduit de l’islandais. -319 p. -19,50 €

 

Yahia Belaskri est né à Oran, il a fait des études de sociologie, et travaillé dans le journalisme. En 1988, il s’est installé en France.
1939 : un bateau d’Espagnols arrive à Oran. Les étrangers ne sont plus acceptés en France, et parqués dans des camps.
En 1930, Paquito, le personnage central, est un gamin intrépide. Sa sœur Adela vient de perdre son fiancé. La guerre d’Espagne arrive très vite.

Le récit alterne entre différentes périodes, et nous conte l’histoire de Paco qui s’engage dans l’armée, prétendant avoir 20 ans. Il combat parmi les guérilleros, puis s’engage aux côtés des républicains.

La seconde partie du roman se déroule à Oran. Paco mène toujours une vie de prisonnier et de fugitif. Il retrouve sa femme, et ils tentent de se reconstruire. La ville se modernise, mais le calme ne dure pas, et les émeutes et lynchages sont monnaie courante. Paco ne sait plus où aller. Ensuite, ce sera la guerre des 6 jours. Paco ne retournera en Espagne qu’en 1974. Il peut « se reposer enfin, après cette longue nuit d’absence. » (p. 158).

L’auteur nous brosse un destin broyé par la guerre et l’exil. Un bon rythme grâce à des chapitres courts, datés suivant les années, une écriture visuelle.

Belaskri, Yahia. - Une longue nuit d'absence. - Vents d'ailleurs. - 144 p. - 16 €

 

C’est dans un recueil de nouvelles ironiques que l’auteur Augusten Burroughs, un Américain ancien publicitaire, ancien alcoolique invétéré, nous dépeint ses travers, mais aussi ceux de ses compatriotes.

L’Amérique nous est ainsi dévoilée, sous un jour cru, elle est raillée mais sans méchanceté.
Livre drôle, plein d’humour qui se lit avec plaisir. Ce sont des instantanés de vie, où l’auteur se moque de tout et de tous.

20 nouvelles d’environ 20 pages chacune.

Burroughs, Augusten. - Effets secondaires probables. - H. d’Ormesson. - Nouvelles traduites de l’américain. - 333 p. - 22 €

 

Juin 2008, le narrateur et sa femme attendent un heureux événement un peu dans l'angoisse. L’épouse a connu une grossesse, lors de sa précédente relation, qui s'est terminée par la mort de son enfant. En parallèle, le narrateur relate leur rencontre et le début de leur histoire d'amour au Pays basque. Harold Cobert partage dans ce roman un pan autobiographique de sa vie de couple, le moment de la conception d'un enfant avec ses joies et ses désenchantements.

Avec sincérité, il exprime le rôle difficile du futur père entre la nécessité et l'impuissance de soutenir sa femme face à la douleur physique et morale. Si dans l'ensemble, ce roman est un "olni" (objet littéraire non-identifié) qu'il faut saluer, car il est rare qu'un homme livre ses sentiments sur un sujet aussi intime, je me serais bien passée de certaines scènes médicales plutôt crues. Un roman à garder en raison du thème rarement abordé dans l'univers littéraire. A mettre entre les mains de tous les hommes.

Cobert, Harold. - Dieu surfe au Pays basque. - H. d'Ormesson. - 141 p. - 15 €

 

Divers portraits de plusieurs personnages. Le personnage principal est celui Marie Granville, servante dans une ferme. C’est une chronique familiale qui se déroule dans le Cotentin dans les années 40. Chantal Creusot raconte les amours et désamours des membres de plusieurs familles : les Laribière, les Vuillard, les Lamaury, et les Laloy. Au début du livre, un arbre généalogique nous permet de nous repérer parmi tous ces personnages.

L’auteur est décédée et n’écrira pas d’autres livres : premier et unique roman. Très bien écrit elle raconte la vie simple et compliquée de province.

Creusot, Chantal. - Mai en automne. - Zulma. - 389 p. - 22 €

 

Né en 1966 à Tours et vivant à Marseille, Vincent Desombre est journaliste-reporter et réalisateur de magazines-télé. Passionné par l'Histoire, il publie avec Maudite soit-elle son premier thriller. En 1986, à Cassis, un vieil homme est assassiné et brûlé. Nathalie apprend le meurtre de Maurice Picon par la télévision : c’est l'homme qui a parlé à sa mère avant que celle-ci ne se suicide en 1956, une histoire jamais résolue… « Un secret si épouvantable que sa mère avait préféré les flammes de l’enfer plutôt que de le voir révélé. Un secret si terrifiant que son père lui avait sacrifié sa fortune. » (p. 72) Quel est donc le lien entre Nathalie et l’homme vu aux infos ?

Nathalie a eu une enfance difficile en Touraine. Après le suicide de sa mère, son père l’envoie dans un pensionnat catholique. Puis, père et fille coupent les ponts. La jeune femme décide de fouiller le passé, et découvrir la vérité sur sa naissance. Elle mène l'enquête entre Marseille et Tours, aidée par Paul, son ex-mari journaliste volage, et Cloé, leur fille adolescente rebelle. Nathalie découvre que son père a légué ses biens à une mystérieuse fraternité religieuse dont le trésorier est Maurice Picon, et domiciliée dans la maison de son enfance ! Elle persévère même quand Paul la croit folle, puis s’investit dans les recherches ou que le meurtrier s’en prend inévitablement à elle et fait tout pour la faire accuser. Elle va voir sa tante, mais celle-ci meurt mystérieusement avant d’avoir parlé, tout comme le notaire assassiné sauvagement avant leur rendez-vous. Paul résoudra le mystère, mais se trouvera face à un meurtrier prêt à éliminer tous les opposants.

Ce roman a été inspiré par deux affaires réelles d’après-guerre (détaillées à la fin du livre) : l'affaire Finaly qui narre un drame d'enfants juifs non rendus à leur famille, et celle du capitaine Lecoz qui est un criminel ayant créé un réseau de résistants. Cette documentation permet de mieux comprendre les personnages.

Le livre se lit très rapidement, l’auteur sachant distiller le suspense. Des chapitres courts et visuels, surtout bien rythmés qui ne se succèdent pas chronologiquement, mais alternent les années 50 (l’enfance) avec le présent. Malgré cette construction déjà vue, le lecteur veut connaître le fin mot de l’histoire : secrets de famille, femmes soumises, poids de la culpabilité, de la religion. L’auteur sème des indices. Pourtant la fin sera un coup de théâtre. Une lecture sans temps mort, un premier roman réussi !

Desombre, Vincent. - Maudite soit-elle. -Scrineo. - 304 p. - 19 €

 

Une jeune femme vient signaler la disparition de son père, époux et père tyrannique, universitaire acariâtre et peu aimé. Elle n'a jamais quitté le foyer de ses parents et, depuis la mort brutale de sa mère, entretient avec son père une relation douloureuse, pleine de haine et d'amertume. Peu de temps après, un agriculteur est découvertassassinédans sa grange. Nous nous retrouvons à Uppsala en Suède pour une nouvelle enquête d'Ann Lindell, confrontée à de multiples rebondissements et à un meurtrier particulièrement pervers. Comme toujours, l'intrigue est très bien menée, et le suspense est au rendez-vous, tandis que les personnages complexes nous réservent bien des surprises. Encore un polar venu du froid, encore une fois très efficace. Seul bémol, ces thrillers présentent bien desressemblances, et l'on éprouve peut-être une certaine lassitude après cette vague de polars nordiques.

Ericksson, Kjell. - Les cruelles étoiles de la nuit. - Gaïa, Polar. - Traduit dusuédois. -382 p. -23 €

 

Dans une petite ville autrichienne, pendant la période de Noël, un vieil homme de 86 ans est sauvagement assassiné. La petite Katharina découvre le corps au visage écrasé de son grand-père, et depuis n’arrive plus à parler. Les deux pions de jeu, qu’elle a réussi à extraire de la main ensanglantée du mort, deviennent alors un précieux souvenir. Le commissaire Louis Kovàcs, n’ayant aucun indice sérieux pouvant le mettre sur la piste de l’assassin, demande au psychiatre Raffael Horn d’intervenir auprès de la petite fille pour la sortir du mutisme. Commencent les séances au cours desquelles Katharina dévoile peu à peu ce qu’elle a vu.

Mais le roman ne se concentre pas uniquement sur l’enquête, il montre plusieurs facettes de la petite ville : on suit des personnages différents : le curé de la paroisse, des patients du psychiatre, des suspects potentiels. La ville est habitée par la haine, la suspicion et l’égoïsme. L’ambiance du livre est sombre et pesante, si loin de la « douceur » indiquée par le titre. Grand prix de littérature allemande en 2007 & Prix de littérature européenne 2009.

Hochgatterer, Paulus. - La douceur de la vie. - Quidam. - Traduit de l’allemand (Autriche). - 256 p. -22 €

 

Pour se remettre d’une séparation avec son mari, Emily vient passer un mois de vacances chez sa grand-mère qu’elle n’a pas vue depuis longtemps, sur l’île de Bainbridge, théâtre de ses vacances d’enfant et d’adolescente. Dans les tiroirs de sa chambre, elle découvre un journal intime écrit en 1943 par une jeune fille vivant sur l’île, au temps de la jeunesse de sa grand-mère. Curieuse de comprendre ce qui s’est passé, Emily cherche à en savoir plus. Ce carnet rouge va l’amener à clarifier bien des secrets de famille.

Une histoire agréable à lire, à l’écriture fluide.

Jio, Sarah. - Le carnet des jours lointains. - City. - 345 p. - 20 €

 

François Vallier, célèbre pianiste, reçoit un jour, sur le blog créé par son agent, un message d’un certain Philippe Margeret, infirmier psychiatre dans les Pyrénées. Une de ses patientes, Sophie, mutique, n’écoute que ses disques, notamment, ceux de Schumann. « Sophie, lente et fulgurante, volubile et silencieuse, désinvolte et grave, désarmante de sincérité. Sophie. Ma tempête. » (p.73). Sophie, son amour perdu il y a trois ans. Cette nouvelle va bouleverser sa vie. L’occasion peut-être de réparer le passé ? Gaëlle Josse signe un deuxième roman de qualité. Quelle efficacité, cette écriture fluide qui nous emmène dans la vie personnelle d’un instrumentiste de renom, dans l’intimité d’un couple de sa rencontre à sa destruction.

Une belle immersion dans l’âme humaine et dans la musique classique.

Josse, Gaëlle. - Nos vies désaccordées. - Autrement. - 141 p. - 13 €

 

Vanessa, 12 ans, tiraillée entre enfance et adolescence pose son regard sur la famille rigide au sein de laquelle elle grandit. Au fil de huit histoires, elle nous raconte son quotidien auprès de ses proches et les décès successifs de certains d’entre eux. Dernier opus du « Cycle de Manawaka », Un oiseau dans la maisonsera apprécié des amateurs de récits d’enfance, teintés à la fois de naïveté et de lucidité d’esprit enfantines.

Lawrence, Margaret. - Un oiseau dans la maison. - J. Losfeld. - Traduit de l’anglais. -250 p. - 19 €

 

Yu, employé à Séoul, est muté à Sori, une ville à « l’Ouest », à côté d’une montagne. Sa femme refuse de l’accompagner et va rejoindre un amant. Histoire banale en apparence. Mais dans ce récit digne de Kafka, Yu arrive dans un lieu où il perdra tout, de son porte-monnaie à ses repères tout disparaît, surtout les repères psychiques et moraux. Tout, peu à peu, se dissout devant sa quête de trouver l’entreprise où il doit travailler, porter plainte pour son portefeuille, les relations humaines. C’est du chacun pour soi jusqu’à l’absurde. Tout se passe sous la pluie, dans la grisaille. Sur la montagne, Yurencontre un vieil homme, Noé, qui dans une grotte construit des maisons ; qui en fait sont des tombeaux, dans l’enfermement desquels l’homme peut retrouver une certaine liberté, grâce à son détachement du réel.On ne sait si ceux qui y sont enfermés sont morts ou vivants. La fin est une apothéose, une destruction transcendée par le feu, un retour au chaos originel.

Ce roman, difficile et grandiose, est une sorte de concentré de l’absurdité de la vie humaine qui court après…on ne sait quoi. L’onirisme se mêle au réel.Les cultures occidentales judéo-chrétiennes entrent en résonance avec l’idéologie orientale. L’écriture est très fluide, la traduction superbe, levocabulaire très vaste, c’est un bonheur de lecture en même temps qu’un choc et un dégoût, impossible d’en sortir.On pense autant à Kafka, qu’à Murakami ou Brecht.

Lee Seung U. - Ici comme ailleurs. - Zulma. - Traduit du coréen. - 308 p. - 21 €

 

Kenneth Millar -dit Ross Macdonald- est un auteur de romans policiers né en 1915 en Californie, et mort en 1983. Il commença sa carrière d'écrivain en adressant des récits aux pulps. C'est pendant ses études à l'Université du Michigan, qu'il acheva son roman en 1944. Il écrivait alors sous le nom de John Macdonald, pour éviter toute confusion avec sa femme qui publiait sous le nom de Margaret Millar. Il devint alors John Ross Macdonald, qu'il transforma rapidement en Ross Macdonald, pour cause d'homonymie avec John D. MacDonald. En 1946 le détective Lew Archer fait sa première apparition dans une nouvelle. Macdonald est l’héritier de Hammett et de Chandler. Ses intrigues compliquées tournent autour de secrets de famille. Les enfants prodigues ou dévoyés sont un thème récurrent.

Un milliardaire excentrique a disparu. Son épouse engage le privé Lew Archer pour le retrouver. Mais en Californie, pays d’argent et d’artifices, rien n’est simple et tous, de l’ex-actrice astrologue aux pratiques sado-maso, au saint homme qui ne voue pas tout son temps aux prières, Lew Archer a fort à faire !

Publié en 1949, ce polar, première enquête du privé Lew Archer, est un petit bijou de concision et d’action. L’intrigue rondement menée ressuscite les Grands écrivains, tels Chandler ou Hammett… et les maîtres du Film noir ayant fait la gloire d’Humphrey Bogart. Incarné à l’écran par Paul Newman, Archer est un privé, ex flic, sérieux dans son travail, tenace, désinvolte qui donne, comme il reçoit, coups de poings et coups de flingue. On ne s’ennuie pas une seconde. Excellente inspiration, pour les éditions Gallmeister que de nous permettre de (re)découvrir un des maîtres de la littérature « noire » américaine !

McDonald, Ross VOIR Millar, Kenneth. - Cible mouvante. - Gallmeister, Totem. - Traduit de l'américain. - 288 p. - 10 €

 

A Los Angeles, dans les années 50, Lew Archer est détective privé. Maud Slocum lui demande de trouver qui a envoyé une lettre à son mari, pour l’informer qu’elle le trompe ! Comme elle refuse de dévoiler sa vie, Lew Archer a du mal à entamer les recherches. Que lui cache-telle ? Maud vit avec son mari et sa fille Cathy chez la belle-mère. Cette dernière est retrouvée noyée dans la piscine. Qui a pu la pousser ? Chaque membre de la famille Slocum a quelque chose à cacher et semble mal se supporter. Le détective doit s’accrocher pour percer la vérité, d’autant que les autres protagonistes ne lui facilitent pas la tâche.

Un polar « classique » qui n’a pas pris une ride depuis sa parution. Une écriture soignée, un bon rythme, malgré quelques longueurs.

McDonald, Ross VOIRMillar, Kenneth. - Noyade en eau douce. - Gallmeister, Totem. - Traduit de l'américain. - 288 p. - 10 €

 

Mussest un texte inédit. C’est davantage un essai qu’une œuvre romanesque, une analyse historique des conditions de l'émergence du fascisme en Italie par un auteur au génie féroce. D’abord proche des idées fascistes, Malaparte prend ses distances, au début des années 30, avec le régime du Grand Imbécile. Il démonte avec brio le système fasciste et le culte de la personnalité dont bénéficie Mussolini, le comparant au nazisme, dictature en devenir. Malaparte étudie, de manière érudite et caustique, un pouvoir qu’il connaît de l’intérieur et qu’il méprise. On ne lui pardonne pas ses « écarts » de conduite, notamment la publication de Technique du coup d’Etat (1931) qui lui valut une arrestation et une relégation. Mussolini ne prise ni l’humour, ni la vérité, ni l’intelligence !

Ce livre passionnant pour les fidèles de Clio a été retravaillé entre 1943 et 1945. Pourtant, l’auteur, qui a perdu ses illusions, le laissera inachevé. Dans Le Grand Imbécile, il imagine le Duce pris au piège d'une révolte bouffonne. À travers cette satire, Malaparte célèbre le goût de l'ironie de ses compatriotes et le sens de la dérision qui les sauve en toute occasion. Du grand art à classer dans le rayon Histoire !

Malaparte, Curzio. -Muss ; Le grand imbécile. - Quai Voltaire. - Traduit de l'italien. - 211 p. - 18 €

 

Marco Malvadi est né à Pise en 1974. Il a été chercheur en chimie, chanteur classique, il a écrit une série de polars avec des détectives amateurs retraités. Nous sommes en Toscane, en 1895, peu après l’Unité de l’Italie, au château de Roccapendente. Le baron vit avec sa famille, ses deux fils imbus d’eux-mêmes et incapables, alors que sa fille rêve de pratiquer la médecine. Le temps d’un long week-end, il invite un photographe, et Pellegrino Artusi, personnage réel fondateur de la gastronomie italienne, sorte de Brillat-Savarin, auteur du premier livre de cuisine de son pays, inspiré de toutes ses régions. Leur séjour ne sera pas reposant : le samedi matin, tout le monde est réveillé par le cri de la bonne qui a vu le corps du majordome Teodoro, par le trou de la serrure, dans la cave fermée de l’intérieur ! L’homme a été empoisonné par du porto. Le médecin appelle donc le délégué à la sécurité publique pour résoudre le crime. Toute la famille et la domesticité sont interrogées tour à tour, avec l’occasion pour l’auteur de présenter une galerie de personnages hauts en couleur. Le lendemain, c’est le baron qui se fait tirer dessus ! Le délégué identifie rapidement le coupable, mais le mobile lui manque…Pellegrino Artusi s’amuse à élucider le meurtre, fervent admirateur de Sherlock Holmes.

La construction est classique : après le meurtre en chambre close, tous les protagonistes seront réunis pour l’annonce du nom du meurtrier. Marco Malvadi n’hésite pas à intervenir au milieu du récit, tel Balzac, et a choisi la fin du XIXe siècle pour dépeindre la société en mutation : les nobles désargentés et oisifs perdent pied. Un petit polar historique, gastronomique, savoureux et brillant à dévorer d’une traite, saupoudré d’humour (accompagné d’un carnet de recettes de Pellegrino Artusi).

Malvaldi, Marco. - Le mystère de Roccapendente. - Bourgois. - Traduit de l'italien. - 218 p. - 15 €

 

R. K. Narayan (1906-2001) est une voix majeure de la littérature du XXe siècle. Dans la ville imaginaire de Malgudi inventée par l’auteur, Raju, le narrateur, sort de prison et s’installe dans un temple. Un vieil homme le prend pour un saint, lui apporte des offrandes, et admire ce que dit Raju, alors que ses propos ne sont que bon sens. Peu à peu, Raju se décide à tenir ce rôle, sa popularité grandit, et il apprend à prononcer des sentences pleines de mystère. Pour faire le point, Raju se remémore les étapes de sa vie. En alternance, le lecteur est donc plongé dans l’enfance du narrateur, qui a tenu la boutique de son père, avant de devenir guide pour touristes. Il est alors surnommé Raju-du-chemin-de-fer. Il sait s’adapter aux gens et aux situations : c’est ainsi que de commerçant, il passe par guide touristique pour finir par devenir une sorte de Pygmalion et d’impresario. Parmi ses touristes, il rencontre Marco et Rosie, une danseuse dont il tombe amoureux, ce qui le conduira à sa perte. Pour elle, il se fâchera avec sa famille et finira en prison. Rien ne l’intéresse, sauf lui-même, et les quelques remords qu’il éprouve pour les autres sont fugaces.

Ce roman publié en 1958 n’est pas du tout daté et se veut la satire envers la crédulité. Mais c’est aussi une double histoire d’amour qui tourne mal : la mésentente d’un couple qui ignore les désirs de l’autre, et poursuit chacun dans sa voie. R.K. Narayan dépeint comme d’habitude les classes moyennes indiennes avec tendresse et un humour teinté de pessimisme.

Narayan, RasipuramKrishnaswamy (1906-2001). - Le guide et la danseuse. - Zulma. - Traduit de l'anglais (Inde). - 337 p. - 22 €

 

Thriller d’anticipation. A Paris,l’Etat est en faillite face aux multinationales. Le gouvernement est embourbé dans des problèmes de dettes, de sécuritéet d’emploi. Il est incapable de s’opposer à la puissance du capitalisme financier, et a laissé détruire les services publics remplacés par des entreprises privées. Des villes privées voient le jour, et des résidences sécurisées dont "Sérénitas" émergent dans cette France au bord de la faillite. Les quartiers pauvres et les cités sont sous la coupe de réseaux mafieux organisés. Les puissantes multinationales dont la « Ljing Ltd » offrent à leurs salariés emplois et logements dans des zones d’affaires ultra sécurisées, où même hôpitaux, écoles, loisirs sont privatisés.

Fjord Keeling est journaliste au National, le groupe de médias numéro 1 en France, propriété d’une multinationale chinoise, la Ijing Ltd. Il est divorcé d’avec sa femme qui est également sa supérieure hiérarchique et la présentatrice star du journal, avec laquelle il a un petit garçon qu’il voit de moins en moins. Son comportement indépendant et anticonformiste lui vaut d’être mal vu par ses chefs qui multiplient les rapports défavorablesà son encontre. Cependant, ses bonnes relations avec le directeur du journal et la qualité de ses articles rendue possible grâce à ses contacts dans les réseaux mafieux, lui ont jusqu’à présent permis d’éviter l’exclusion. Un soir qu’il a rendez-vous avec un informateur à Pigalle, une bombe explose dans la pizzeria qu’il vient juste de quitter. Alors que tout semble désigner un règlement de compte entre gangs rivaux, Fjord Keeling s’aperçoit au cours de son enquête qu’il n’en est rien. Il se retrouve embarqué dans une machination qui le dépasse, dans laquelle pouvoirs économique et politique se livrent une lutte sans merci et où il tient à son insu le premier rôle.

L’auteur nous fait basculer dans un monde glacial et angoissant, cynique où notre héros ne renonce nullement à son enquête malgré les coups durs.L’intrigue est bien menée. Il y a des rebondissements tout au long du livre. Fjord, qui lui,a découvert toutes les ficelles est le seul à ne pas être corrompu. Il se comporte en héros courageux pour faire découvrir la vérité.

Nicholson, Philippe. - Serenitas. - Carnets nord. - 384 p. - 18 €

 

Lila, jeune étudiante très brillante en mathématiques, meurt assassinée ; on ignore qui est son meurtrier. Sa sœur cadette, Ellis, trouve du réconfort auprès de son professeur de littérature, qui exploite la situation dans un roman à succès. Il y désigne Peter, l’amant marié de Lila comme son assassin. La vie de celui-ci, même si ce n’est qu’une hypothèse de fiction, est anéantie et il s’exile. Vingt ans après, devenue acheteuse de café, Ellis, par hasard, le retrouve au Nicaragua, où il lui remet le carnet de notes de Lila. Tous les deux travaillaient sur la recherche de démonstration d’une certaine formule de mathématiques. Ebranlée, Ellis décide de réexaminer toutes les pistes, jusqu’à ce que la vérité éclate. Elle remonte le temps et rencontre tous ceux qui ont eu un lien avec sa sœur. Ce chemin lui permet d’évoluer et de regarder la vie d’une nouvelle façon.

L’histoire est menée très subtilement, passant d’une époque à l’autre, d’un personnage à l’autre. On voit l’évolution psychologique de chacun. L’analyse des relations entre les deux sœurs est  très fine, amour, admiration, jalousie…Le thème de l’amitié, de l’amour et du travail de deuil aussi est exploré.Le travail de l’écrivain, aussi, est bien analysé, d’où vient l’inspiration, a-t-on le droit d’utiliser et de tordre un fait divers ? Comme dans ses romans précédents, l’auteur témoigne d’un grand talent pour inscrire cette réflexion dans l’histoire même de ses personnages.C’est un roman solide, plein de subtilité et de finesse, passionnant, d’une écriture très fluide, que l’on a du mal à lâcher.

Richmond, Michelle. - Le carnet de la mathématicienne. -Buchet-Chastel. - Traduit de l’américain. - 416 p. - 24€

 

Sebastian Rotella est grand reporter aux États-Unis. Spécialiste des questions de terrorisme international, de crime organisé, de sécurité et d'immigration, il a été finaliste du prix Pulitzer en 2006 pour ses reportages. Triple Crossinga été sélectionné par le New York Times comme meilleur premier roman, meilleur thriller et fait partie des 10 Meilleurs polars de Lire 2012. Triple Crossingse déroule à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, entre Tijuana et San Diego, aux confins du Paraguay, de l'Argentine et du Brésil, entre passages de clandestins, trafics de drogue, mafia, guerre des polices, corruption et gâchettes faciles. Chaque année, des milliers de Latinos, Indiens ou Chinois tentent de passer de l'autre côté. C’est le paradis des trafiquants, une jungle sans loi livrée aux pègres du monde entier…

Valentin Pescatore, jeune policier de la Patrouille frontalière américaine, est chargé de refouler les clandestins, mais n’hésite pas à les aider. Alors qu'il poursuit un passeur, il franchit malencontreusement la frontière américano-mexicaine. Pour son « rachat », la séduisante et redoutable agente américaine Isabelle Puente lui demande d'infiltrer le gang d’un puissant et dangereux narcotrafiquant de la mafia mexicaine. Valentin, inexpérimenté, hésitant et impulsif, arrivera-t-il à sauver sa vie en entrant dans la Patrouille de la mort, alors que chaque camp  croit que le jeune l’a trahi ? Dans l’autre côté, Leo Méndez, flic mexicain incorruptible, appartient au groupe Diogène qui traque les trafiquants de drogue liés à la mafia,. Il souhaite inculper Valentin…

Dès la préface, l’auteur affirme que tout ce qu'il dit est vrai et documenté. Il décrit une Amérique latine violente, minée par les cartels et la corruption. Il connaît parfaitement l’immigration et le crime organisé. Un premier roman costaud, dans la lignée de Mapuche de Férey (Gallimard). Dommage que la traductrice ait laissé les expressions en espagnol, tout comme le titre original qui n’évoque rien au lecteur français.

Rotella, Sebastian. - Triple crossing. - L. Lévi. - Traduit de l'américain. - 439 p. - 23 €

 

Cinéaste, réalisateur, scénariste et compositeur d’origine arménienne né en 1957. Les enfants de l'oubli est une fresque historique, qui parcourt le XXe siècle, à travers notamment le destin tragique de deux jeunes Arméniens, Kévork et Zevart. En 1913, Kévork, jeune berger, est amoureux de la riche Zevart qui est envoyée à Paris par son père pour l'éloigner du danger età qui il promet de l’attendre. Elle mène une vie plutôt dissolue, et rencontre tous les artistes et écrivains de l’époque. Un an plus tard, la paix illusoire entre les Turcs et les Arméniens s'effondre avec le nouveau gouverneur turc, qui extermine les Arméniens ; Bitlis est le théâtre de massacres. Le journaliste américain sur place n’arrive pas seul à mobiliser l’attention. Mais il aide Zevart à connaître le sort de son père, pour qui elle est prête à tout, même à manipuler son pire ennemi...

Kévork tel un héros de Dumas, s’engage dans la défense de sa patrie et échappe à la mort de multiples fois, car il a juré d’attendre sa belle, qui est sa raison de vivre. Il parviendra à émigrer aux Etats-Unis, où la ville est dominée par les gangs et la pègre. Le bonheur du mariage ne dure pas, et Kévork semble poursuivi par le malheur.

Ce premier roman est excellent et ne doit pas rebuter par sa taille. Une saga historiquement fidèle, mouvementée et passionnante, aux multiples facettes (amour, aventures, magie de l’orient), inspirée par une réalité tragique. « le temps emporte la vérité et les acteurs de l’histoire s’effacent pour devenir les enfants de l’oubli ». (p.148)

Shart, Raffy. - Les enfants de l'oubli. - Le Cherche Midi. - 693 p.-22 €

 

Auteur breton de 37 ans, actuellement professeur d’éducation physique, Jeff Sourdin a publié Ripeur en 2010, chez le même éditeur. Rennes dans les années 2000. Nous suivons quatre amis, de la fin d’adolescence à la trentaine. Il y a Cid, informaticien bien dans ses baskets et directeur de PME ; Mitch, qui ne pense qu’aux rencontres sans lendemains ; Sam le romantique, et surtout « Trotsky », le personnage central du roman qui n’arrive pas à se projeter dans une vie future et veut vivre pleinement l’instant. Mais malgré les difficultés professionnelles et personnelles, tous arrivent à se relevern et l’amitié reste toujours intacte et cimente énormément ce quatuor.

Une chronique sociale de copains très réaliste. Un joli roman bien mené sur l’amitié, l’amour, avec en toile de fond le football et les difficultés sociales du quotidien dans une ville de province, qui bascule au fil des années d’une cité populaire à une grande agglomération plus bourgeoise. Car c’est aussi le roman d’une ville, Rennes, et de ses transformations. Ce roman peut très bien convenir à des grands ados.

Sourdin, Jeff. - Le clan des poissards. - La part commune. - 223 p. - 16 €

 

Attention, les Tigres de Malaisie sont de retour : pris pour cible par une mystérieuse organisation multinationale, Sandokan et Yanez de Gomara, héros de Salgari, reprennent du service à l’âge de la retraite. Il ne faut pas toucher au capital retraite de pirates chevronnés ! Reprenant les héros créés en 1883 par l’écrivain italien Emilio Salgari, Paco Ignacio Taïbo II nous livre un portrait délirant de la société mondialisée d’aujourd’hui : finances omniscientes, crises économiques, conditions de vie difficiles des retraités, peuples maltraités…

L’auteur s’en donne à cœur joie : on croise au fil des pages Friedrich Engels, Jules Verne, Louise Michel, Old Shatterhand le héros de Karl May, le docteur Moriarty héros de sir Arthur Conan Doyle, les aventuriers de la finance internationale, les fondamentalistes musulmans, les espions de tout bord… Bref, tout un univers de fieffés coquins s’opposant au droit et à la volonté des peuples ! Ouvrage foisonnant d’anecdotes et malicieux, ce retour de Monstres sacrés de la littérature d’aventure du XIXe siècle réjouira les lecteurs avides de sourires et de contrées lointaines. Un voyage pas cher pour les îles dont les noms font rêver, du côté des eaux territoriales de Bornéo…

Taibo, Paco Ignacio. - Le retour des tigres : plus anti impérialistes que jamais. - Métailié. - Traduit de l'italien. - 309 p. -20 €

 

Quand Florian Kilderry arrive à Rathmoye, petite ville d’Irlande, pour photographier le cinéma qui a brulé, il croise un cortège qui va vers le cimetière. Il est remarqué par les endeuillés et surtout par Ellie, la seconde épouse d’un fermier. Ellie tombe amoureuse pendant que Florian, jeune orphelin, vend sa maison et s’apprête à vivre son dernier été en Irlande.

Ce roman composé du quotidien des habitants de Rathmoye, notamment Miss Connulty, la fille de la défunte et la tendresse bourrue de Dillahan, l’époux de Ellie, est marqué par cet amour d’un été. Cet amour mal partagé n’est jamais glauque, jamais dramatique, il est un épisode important et fondateur de la vie de Ellie et un passage heureux de celle de Florian.

Les personnages sont attachants, l’écriture soignée, le rythme est celui de l’été, chaud, lourd mais jamais pesant. C’est un bon moment de douce lecture parfait pour l’été.

Trevor, William. - Cet été-là. - Phébus. - Traduit de l’anglais (Irlande). - 252 p. - 21€

 

Déjà tout petit, Birdy est fasciné par les oiseaux : d’abord avec son ami Al, il observe les pigeons, ensuite, les canaris. L’argent gagné grâce aux petits boulots lui permet de construire une volière et d’augmenter le nombre d’oiseaux. Le carnet à la main, il veut surprendre chaque instant de la vie des canaris, leur reproduction, leur premier vol. Birdy, ne s’intéresse plus aux gens en les trouvant grossiers et inintéressants et petit à petit, il s’assimile aux oiseaux ; dans sa tête, il se sent comme eux, il ne lui manque que la capacité de voler. Schizophrène, il ne connaît plus la frontière entre le rêve et la réalité… A l’hôpital psychiatrique où il se trouve, il s’enferme dans un mutisme, sautille, au lieu de marcher et se fait nourrir à la cuillère. Le médecin fait appel à Al, blessé à la guerre et couvert de bandages, afin qu’il raisonne son ami et le « réveille »…

Ce roman, dense dans son contenu, est construit en deux parties qui s’entrelacent : le monologue d’Al et les pensées de Birdy. Il a été publié pour la première fois en 1981 chez Laffont et adapté au cinéma par Alan Parker.

Wharton, William. - Birdy. - Gallmeister. - Trad. de l’américain. - 400p. -24,50 €