Sélection Petits éditeurs janvier 2014

Petits éditeurs BiB92 - sélection janvier 2014

Retrouvez la sélection de la commission petits éditeurs BiB92

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AUMONT, Nathalie. - Consolation. - Arléa, 1er/mille. - 106 p. - 16 €
Nathalie Aumont, professeur d’histoire de 47 ans, vit à Bordeaux.Consolationest son premier roman autobiographique et très intime.
En 1989, une famille de cinq personnes vit un drame : le cadet, Frédéric, meurt brutalement à 18 ans dans un accident de voiture. Ironie du sort, il venait d’obtenir son brevet de pilote de chasse dans l’armée, le rêve de son père. Une vie, une famille détruites. Sa sœur, anéantie comme le reste de la famille, nous raconte sa terrible histoire. «J’ai porté ce livre en moi pendant vingt-trois ans. (…) Pour l’écrire, il fallait que je sois déjà un peu consolée, que j’aille mieux. J’avais essayé de m’y mettre il y a dix ans (…) mais je n’y étais pas parvenue.» Nathalie Aumont a su sublimer son histoire personnelle pour éviter le témoignage : « Je voulais créer une œuvre littéraire à part entière. » Il s’agit cependant moins de sa propre consolation, que de celle de ses parents et de l’impuissance à pouvoir les soulager. La narratrice constate la douleur de ses parents, désormais orphelins d’un fils. C’est pour eux qu’elle affirme avoir écrit ce livre.
Nathalie raconte le deuil, presque jour par jour. Le récit est bouleversant, pudique. Chez l’étudiante, la douleur se transforme en manque, alors que son frère essaie de se suicider ; que le père ne surmonte pas ce deuil et sa mère est un peu « absente ». Elle ne peut s’empêcher honteuse d’être en vie.Il faut accepter l’irrémédiable, trouver la force de continuer… Nathalie, hantée par ce drame, n’est qu’une survivante qui a aidé, avec son frère, ses parents à ne pas sombrer. « C’est un livre sur temps du deuil, de la douleur à la peine, de la peine à la consolation, même incomplète, même fragile. La consolation, qui nous remet du côté de la vie.»

BACIGALUPI, Paolo. - Les cités englouties. - Au diable Vauvert. -Traduit de l’américain. - 453 p. - 18 €
Les cités englouties sont ravagées par la guerre : la violence et la cruauté sont inspirées par la vengeance dont personne ne connaît les origines. L'ère accélérée où régnait la paix, où on respectait l'Histoire et ses vestiges, paraît bien loin et les habitants doivent se battre pour survivre. De nombreuses armées font la loi sans pitié : L'Armée de Dieu découpe les membres de ses prisonniers avant de les tuer, supprime la mémoire du peuple en brûlant les livres.Face à elle, les enfants-soldats, des asticots recrutés parmi les paysans, élevés comme des militaires, massacrent leurs prisonniers avec leurs armes, obéissant ainsi aux seigneurs de la guerre, nommés le FUP. Les Casques jaunes sont retournés en Chine, et se contentent d'envoyer de la nourriture aux victimes de la guerre...
Parmi celles-ci, il y a Mahlia, appelée bâtarde, car mi-chinoise, abandonnée par son père parti avec les Casques jaunes, recueillie et soignée par le Dr Mahfouz, assistante du médecin malgré sa main coupée.Il y a aussi Mouse, un ver de guerre, orphelin du village incendié de Brighton, qui vit avec Mahlia et le médecin dans le même squat. Les deux enfants font équipe : Mahlia les protège des balles ; la nourriture apportée par Mouse leur permet de survivre... Et le médecin, pacifiste et profondément humaniste, essaie de se battre contre la haine en devenant, en même temps, un passeur de mémoire.
A côté des humains existent des hybrides : des coyloups, bêtes sauvages réagissant uniquement aux phéromones et des Face de chien, mi-hommes, mi-chiens, mélangeant l'instinct aux réflexes humains.
Un roman ado sur le dépassement de soi, sur la loyauté et la fidélité, sur la faiblesse de la nature humaine et sur la force de l'amitié.
Avec Les ferrailleurs des mers, ce roman fait partie d'un diptyque.

BAYARD, Louis. - A l’école de la nuit. - Le Cherche midi. - Traduit de l’américain. - 505 p. - 20 €
Washington, de nos jours :aux funérailles d'Alonzo Wax, bibliophile, son exécuteur testamentaire, Henry Cavendish, spécialiste de l'époque élisabéthaine, est approché par Bernard Styles. Celui-ci lui propose 100 000 dollars en échange d'un courrier que Wax aurait eu en sa possession avant de mourir.
Angleterre, XVIe siècle. Thomas Harriot, mathématicien et astronome, est considéré comme le Galilée anglais. Scientifique de génie, il a constitué, avec quatre de ses amis, dont l'explorateur Walter Raleigh et le dramaturge Christopher Marlowe, une mystérieuse société secrète, L'École de la nuit.
S'inspirant de faits réels, Louis Bayard nous convie à une aventure littéraire et historique. Les bibliophiles, les amoureux de la littérature vont être gâtés !
Il s’agit aussi d’une quête ésotérique, truffée de codes secrets et d'énigmes, rappelant l'histoire de la colonie perdue de Roanoke ou les zones d'ombre de la vie de Shakespeare. Avec une intrigue riche en rebondissements, l’auteur nous tient en haleine de la première à la dernière ligne.
Sujet original et passionnant, malgré quelques lenteurs parfois.

CHI ZI, jian. - Toutes les nuits du monde. -Picquier. - Traduit du chinois. - 175 p. - 18€
Dengzi, une petite fille, est envoyée par sa mère chez ses grands-parents parce qu'elle n'est pas assez obéissante. Cette petite fille est spontanée et vivante, elle ne comprend pas encore ce qu'il ne faut pas faire ou dire devant les adultes.
Triste de quitter sa famille, elle va pourtant changer au contact de sa voisine Nainai, une vieille dame russe et de son grand père qui dissimule un terrible secret.
Ce récit, tout en douceur et tendresse, évoque l'enfance et le monde des adultes avec ses secrets et ses histoires de vie profondes et tristes.
Chi Zi Jian décrit un monde rural avec sensibilité et poésie. Il en ressort un attachement pour les personnages quelque peu meurtris par la vie et une grâce du récit.
L'auteur a obtenu trois fois le prix littéraire Lu Xun pour ses nouvelles.

DAENINCKX, Didier. - Mortel smartphone : nos p... de téléphones portables valent-ils un tel bain de sang ?. - Oslo. - 52 p. - 7 €
La République démocratique du Congo, pays qui souffre de nombreuses guerres, possède des richesses inestimables. Dans la province de Kivu, se trouvent des gisements de coltan, minerai composé de la colombite et de la tantalite. Le Tantale, recherché pour ses caractéristiques (résistant à la corrosion, excellent conducteur, dégageant peu de chaleur), est convoité par toutes les grandes entreprises électroniques (Apple, Ericsson…) qui fabriquent des Smartphones. On écarte les conditions dans lesquelles le coltan, la «pierre grise» a été extraite dans les mines congolaises par une population soumise à l’esclavage par des gangs armés.
Chérald, un adolescent de 13 ans, est enlevé, un jour, en classe, avec sa petite sœur, par des Stones, et mis dans un camp de travail. Révolté contre la violence, il s’enfuit à bord d’un avion partant pour l’Europe et arrive clandestinement en Belgique. Il remonte la chaîne du coltan…
Un roman «né de la colère» de l’auteur contre les trafiquants du coltan, contre l’oubli des enfants travaillant dans les mines, contre la banalité avec laquelle les fabricants programment l’obsolescence des Smartphones afin qu’on en produise de nouveaux… Il semblerait que D. Daeninckx, fidèle à sa position engagée, refuse d’en acheter un…

EJERSBO, Jacob. - Exil. - Galaade. - Traduit du danois. - 431 p. -23€
Samantha, une adolescente de 15 ans, fille d'expatriés britanniques en Tanzanie, fréquente le lycée international avec ses camarades (plutôt fortunés) venus du monde entier. Sa vie est morbide et inintéressante : malgré son manque de motivation pour l'école et son comportement (drogue, sexe, arrogance), le lycée la garde, tout comme ses camarades, car l'argent fourni par les familles permet de faire tourner l'établissement. Malgré l'ennui, Samantha refuse de rejoindre sa mère repartie en Angleterre. Arrivée en Afrique à l'âge de 3 ans, elle est africaine dans l'âme : "Blanche à l'extérieur ; à l'intérieur, je suis toute grise". A travers la situation de sa sœur et les ennuis de son père mercenaire qui se livre à un trafic d'armes en risquant l'extradition, elle se sent concernée par les problèmes économiques et politiques du pays.
Un roman d'apprentissage avec une héroïne à la recherche de son identité. Un roman social situé dans une Afrique des années 80, chaotique et corrompue, mais aussi pourvue d'un esprit libre.
Premier volet de la trilogie posthume, en partie autobiographique, de l'écrivain danois Jacob Ejersbo.

GOVRIN, Michal. - Amour sur le rivage. - S. Wespieser. - Traduit de l'hébreu. -373 p. - 24 €
Une petite ville au sud d'Israël, dans les années cinquante :la jeune Esther fait un stage de dactylographie, en attendant d'être incorporée dans l'armée. Elle vit avec ses parents, poissonniers, tous deux rescapés de la Shoah. Elle rencontre Moïse, revenu de Paris pour l'enterrement de sa mère. Moïse tombe immédiatement amoureux de cette jeune fille lumineuse. Il n'est pas le seul. Alex, venu d'Argentine, tombe également sous le charme d'Esther. Tous les trois sont dans une impasse : Esther a l'impression d'étouffer chez ses parents pourtant aimants ; Moïse est en train de rompre avec sa femme ; Catherine, dont il a pourtant un fils mais avec laquelle il n'a plus rien à partager ; Alex, lui, fuit son père, au passé trouble.
Une apparente légèreté, parfois à peine esquissée, prenant par exemple la forme de la petite robe à bretelles, portée timidement par Esther inconsciente de sa beauté, accentue la violence des sentiments.
Michal Govrin, loin de livrer un énième récit de triangle amoureux, dénoue avec beaucoup d'habileté le destin des personnages, reliant le passé et le présent, en maintenant tout au long de son récit, une tension qui ne faiblit pas.

LACOCHE, Philippe. - Les matins translucides. - L’Ecriture. - 221 p. - 18€
A soixante ans, Jérôme, le narrateur, éprouve le besoin de clarifier certains souvenirs, notamment son adolescence et son premier amour.
Il retourne donc dans son village, à la recherche d’éléments du passé (maison, camarades de classe, bistrot…) qui l’aideraient à se souvenir. Mais une femme sera la principale préoccupation de ce périple : Jérôme aimerait comprendre pourquoi Delphine et lui se sont quittés ; celle-ci habite le même village qu’autrefois. L’occasion pour le narrateur de passer lui rendre visite et d’éclaircir la question…
Véritable retour aux sources, Les matins translucides balance entre présent et passé, et nous touche de sa plume poétique et sensible.

LANOYE, Tom. - Tombé du ciel. - La Différence. -141 p. 15€
Il s’agit d’un court roman d’un auteur véritable star littéraire en Belgique, roman tiré à un million d’exemplaires !
Roman choral vif et enlevé, qui touche autant la petite histoire que la grande, car c’est vrai qu’en 1989, en pleine Guerre Froide, un MIG russe s’est écrasé sur une maison dans un petit village belge. Le pilote, en difficulté, s’était éjecté selon les procédures requises, mais l’avion a continué sa route tout seul et a traversé la frontière !
On apprend brièvement la vie de ce pilote dont les parents travaillaient dans un centre de thalassothérapie au bord de la mer Noire, puis on débarque en pleine cellule de crise au Pentagone et dans les bureaux de l’OTAN. Faut-il abattre l’avion en plein vol ? Une autre cellule se tient au Kremlin.
Puis, nous découvrons une autre cellule de crise, plus intime : dans le petit village belge de Kooigem. Deux femmes, l’épouse et la maîtresse s’affrontent violemment. Ultimement, l’épouse se dit qu’elle ne veut surtout pas perdre sa maison, ni la partager. Et, à ce moment, tout le monde crie autour d’elle, et l’ombre de l’avion recouvre la maison !
Petit livre plein d’humour et de tendresse pour les pauvres mortels que nous sommes.

LE LUHERN, Claire. - Protocole 118. - La Tengo. - 379 p. - 15 €
Accusé du meurtre d’une étudiante, Adrien Cipras est interné depuis trente-cinq ans en hôpital psychiatrique. Amnésique et violent, il purge sa peine sans espoir de sortie, lorsqu’il recouvre la mémoire. Peu après, Cipras est retrouvé mort.
Juliette, nouvelle recrue de la Criminelle, ignore que, pour sa première enquête, elle va devoir affronter le passé,le sien et celui des autres. Et si le monstre enfermé n’était pas celui que l’on croit…
Inspiré d’un fait divers, ce roman noir nous entraîne sur les traces de personnages écorchés vifs, à travers un Paris réaliste, sombre et déroutant. Bien construit et bien mené. Attention petit chef-d’œuvre, qui vous conduira jusqu’au bout de la nuit.
Claire Le Luhern a 30 ans et vit à Paris. Elle a signé avec Marcelino Truong l’adaptation BD de Prisonniers du ciel(chez Rivages/Casterman) tirée du livre de James Lee Burke. Protocole 118est son premier roman. Il a reçu le Prix Première Impression 2013, décerné par Le Mouv’ et les Éditions La Tengo.

LISBOA, Adriana. - Bleu corbeau. -Métailié. - Traduit du brésilien. - 224 p. - 18 €
Evangelina, jeune fille de 13 ans, quitte Rio après la mort de sa mère pour rejoindre les Etats-Unis. Elle part vivre chez Fernando, l'ex-mari de sa mère, qui l'a reconnue à sa naissance.
Evangelina réfléchit à l'histoire de sa mère, ses aventures, ses origines, le Brésil, la guérilla maoïste, les histoires entrecroisées des États-Unis et du Brésil...Elle est aussi à la recherche de son père biologique, un jeune Américain.
Au travers de tous ces récits, la jeune fille comprend qu'il s'agit aussi de son histoire et qu'elle est façonnée de tous ces êtres et événements (sa mère, Fernando l'homme qui l'a reconnue, son grand-père, son père biologique, la terre du Brésil, la guérilla, l'exil, les Etats-Unis, les langues étrangères, l'espagnol, le portugais, l'anglais...etc).
Le récit, poétique et profond, semble questionner : qu'est-ce qu'un foyer? De quoi se construit-on? Quelle place occuper dans un monde si vaste? Les personnages, tout à la fois errants et solaires, sondent leur vie.
Une réussite douce-amère sur la quête d'identité, l'exil et la construction de soi.

MACKAY, Malcolm. - Comment tirer sa révérence. - L. Levi. - Traduit de l’anglais. - 284 p. - 18 €
Frank, la crème des tueurs à gages, quarante ans de métier, reprend du service après trois mois d’absence. Jamieson, son patron, lui a payé une nouvelle hanche pour qu’il revienne sur scène. La mission qu’il lui confie est simple : éliminer un petit dealer ambitieux. Hélas, Frank MacLeod oublie les précautions les plus élémentaires et se fait piéger comme un débutant ! Qui pourra le tirer de ce mauvais pas? Calum MacLean, dont le dernier contrat a été de tuer Lewis Winter. L’heure de la retraite a sonné pour Frank. Mais dans ce milieu, comment tirer sa révérence ?
Malcolm Mackay est né à Stornoway, dans les îles Hébrides (Écosse). C’est là qu’il écrit ses romans. Prix du meilleur polar écossais, ce n’est pas rien quand on rivalise avec les McDermid ou les Rankin. Comment tirer sa révérence fait suite à Il faut tuer Lewis Winter, encensé par la critique. Comme le précédent opus, il nous entraîne dans le quotidien des tueurs à gages, très loin du mythe de James Bond… Les tueurs ont aussi une vie routine plan-plan, en l’occurrence, le plan retraite. Tout est contenu dans le titre…
J’ai trouvé excellent ce second roman, un peu moins percutant que le premier certes, mais il se laisse lire avec grand plaisir…

O’BRIEN, Edna. - La maison du splendide isolement. - S. Wespieser. -  Traduit de l’anglais (Irlande). -317 p. - 21 €
Réédition. Roman paru initialement paru en 1994.
Un roman dont on a juste envie de dire à une bonne copine « Tiens, si tu veux, celui-ci est pas mal ». Parce qu’en dire plus serait dévoiler l’intrigue, mais aussi quelques surprises stylistiques, narratives, scénaristiques ou sensibles.
C’est l’histoire d’une femme. Au début, elle arrive dans une maison, à la fin, elle vit toujours dans la maison. Et entre les deux…C’est en Irlande, ça sent la tourbe, l’humide et l’IRA n’est jamais loin.
Un portrait de femme touchant, un peu cru, à laquelle on s’attache de plus en plus au fil de la lecture.
Aux personnages principaux, en sont accolés d’autres que l’on recroisera ou non, plus ou moins, et quelques-uns fugitivement. Les flics sont campés en shérifs ridicules, mais aussi pathétiques ou torturés.
La narration alterne entre divers registres, western, conte, documentaire et entremêle passé et présent, plusieurs passés et plusieurs présents.
Il émane de ce roman beaucoup d’amour, de générosité et d’empathie. On se laisse volontiers flotter dans cet univers parfois poétique et un brin nonchalant.
Je m’attendais à une lecture rude et douloureuse, aux confins du mal, l’auteur fait en réalité preuve d’une intelligence salutaire.

PIERSANTI, Gilda. - Le saut de Tibère : un automne meurtrier. - Le Passage. - 344 p. - 19 €
Lamberto Vacchini est tueur en série. Il a commis son premier meurtre il y a onze ans, sur l’île de Capri. C’était Giulia, une gracieuse jeune fille de 15 ans.
Il est le fils d’un des chefs de la mafia locale. Grâce à son père, il a fui en Suisse, pris une nouvelle identité et continué à tuer des jeunes filles blondes. Son père l’a éloigné non pas par affection, mais pour que cette affaire sordide ne nuise pas au clan. Il adore uniquement sa fille aînée, Amanda. C’est elle qui va lui succéder dans les affaires.
Lamberto retourne au pays pour la mort de sa mère.
La police vient de découvrir le cadavre de la première victime. C’est Mariella De Luca, inspectrice à Europol, le service de police européen qui a en charge cette affaire. Elle va démêler, au péril de sa vie, les fils de cette sinistre affaire.
Dans ce roman, s’enchevêtrent le récit de Lamberto Vacchini et l’enquête de Mariella De Luca. Ces deux personnages ont une vie complexe. Cela donne un récit intéressant, original, quoiqu’un peu compliqué.

PREDICATORI, Paola. - Mon hiver à Zéroland. - Les Escales. - Traduit de l’italien. - 305 p. - 22 €
Mon hiver à Zéroland est le premier roman d’une libraire milanaise. Son livre a été un grand succès de 2013 en Italie. Son adaptation au cinéma et sa traduction dans plusieurs pays sont en cours.
L’héroïne est une adolescente de 16 ans, dont la mère est morte d’un cancer à 39 ans. « Pendant tout ce temps, j’ai eu peur. » (p. 17) Alessandra a soutenu sa mère durant sa maladie avec sa grand-mère. Désormais, elles habitent toutes les deux dans l'appartement où les affaires de sa mère sont restées, dans le silence et la douleur... D’un coup, Alessandra a basculé dans l’âge adulte. Elle ne cherche plus à briller, elle est plus grave.
Roman daté comme un journal sur le temps de l’année scolaire entre septembre et août. 27 septembre, premier jour de classe pour la jeune fille endeuillée qui va se cacher dans le fond de la classe au lieu de reprendre sa place. Alessandra s’installe à côté de Gabriele, surnommé Zéro, celui qui ne dit rien et dont tous se moquent. Le jeune homme vit pauvrement dans un logement social auprès d’un père alcoolique. Bref, il est infréquentable : « Traîner avec Zéro, c’est être Zéro. » (p. 25) Mis à l'écart par ses vêtements usés et son comportement taciturne, il est solitaire et ne cherche pas à s'intégrer. Seul le silence lie Alessandra et Grabriele où chacun porte son fardeau. Mais la jeune fille persiste et veut le faire sortir de son mutisme. Un mot sera échangé, un premier pas vers l'autre… Lentement, la rencontre de leurs solitudes produit un sentiment très profond. Zéro parvient à redonner à Alessandra le goût de l’avenir.
Dans cet émouvant hommage d’une jeune fille à sa mère absente, l'auteur nous dépeint avec beaucoup de justesse des ados confrontés à de vrais problèmes, mais aussi à leurs préoccupations habituelles. Un petit bijou.

SAULNIER, Benjamin. - Pour un seul mot d’elle : la petite fille de Mauthausen. - Le Manuscrit. - 246 p. - 22 €
Affecté au camp de concentration de Mauthausen, le SS Johannes Konrad est un tueur implacable. Son déclassement militaire, suite à la mort d’un ami, est inacceptable. Un jour, il croise une enfant juive, cachée pour échapper aux chambres à gaz, et qui ressemble énormément à sa fille. Il retrouve dès lors un semblant d’humanité et décide de déserter pour retrouver les siens, en emmenant l’enfant avec lui... Ce couple inattendu doit apprendre à survivre sans se faire prendre, et à s’apprivoiser.
Un roman très intéressant sur les tortionnaires qui ont travaillé dans les camps de concentration. Il pose la question de l’humanité de ces SS, interroge sur l’humain et la capacité à s’affranchir de ses démons et d’un pouvoir totalitaire oppressant. Une belle aventure humaine. Un livre très agréable à lire.

SIBLEY, Priscille. - Poussières d’étoiles. - Les Escales. -Traduit de l’anglais. - 421 p. - 22 €
L'idylle entre Matt et Ellie s'arrête brutalement, le jour de l'accident de la jeune femme. Réduite à l'état végétatif, dans le coma, sous l'assistance respiratoire artificielle, Ellie peut être débranchée à tout moment si son mari, neurochirurgien, donne son accord.
La décision à prendre s'avère très difficile pour toute la famille : Ellie porte un bébé qui pourrait, peut-être, être sauvé...
Matt, secoué par les souvenirs, souhaiterait répondre aux attentes de sa femme et à leur désir commun d'avoir des enfants malgré quatre fausses couches, et refuse l'arrêt respiratoire. Sa mère, infirmière en obstétrique, voudrait abréger les souffrances de sa bru, s'appuyant sur le testament biologique rédigé par la jeune femme dans son adolescence.
Ce drame familial lance un débat éthique sur l'euthanasie, l'avortement, démontre comment les médias et la justice peuvent manipuler l'opinion publique et s'interroge sur l'influence de la science sur la vie humaine.

STAALESEN, Gunnar. - Face à face. - Gaïa, Polar. -Traduit du norvégien. - 301 p. - 22€
Veum, le privé héros des onze derniers policiers de l’auteur, trouve dans son bureau un cadavre. En apparence un suicide, mais, finalement, un meurtre, qui est lié à un suicide d’une jeune femme, il y a quatorze ans, dans le nord du pays. Avec ténacité, Veum va remonter dans l’Histoire. De découverte en découverte, il revient aux années 70 et à une communauté d’étudiants gauchistes, qui vivait de marxisme et d’amour libre. Avec détermination, il retrouve tous les anciens idéalistes, qui ont partagé le même toit, et va découvrir des secrets bien enterrés.
Plus qu’une histoire d’enquête et de privé attachante, c’est l’histoire de la Norvège qui est en filigrane, sa mutation, la fin des utopies et l’entrée dans la mondialisation.
C’est un roman assez lent, un peu long par moments, avec de très nombreux personnages, mais l’emboîtement des découvertes, la remontée dans le passé et la peinture sociale ont font un polar intéressant.
L’auteur a écrit, entre autres, le Roman de Bergen, en trois époques.

SUNIAGA, Francisco. - L’île invisible. -Asphalte. - Traduit de l’espagnol (Venezuela) - 247 p. - 21 €
Margarita, une île du Venezuela, est un véritable paradis pour les touristes. Pourtant, Edeltraud Kreutzer, originaire de Düsseldorf, ne s’y rend pas pour y passer des vacances. En effet, elle vient tenter de comprendre les circonstances de la mort de son fils, retrouvé noyé sur la plage, non loin du bar qu’il tenait avec sa compagne. Dans sa quête de vérité, Edeltraud fait appel à un avocat local désargenté, José Alberto Benitez, qui connaît bien les us et coutumes de l’île…
Un roman noir envoûtant ! L’auteur décrit avec beaucoup de finesse l’affrontement de deux mondes bien différents : d’un côté, une certaine « rigidité germanique» que symbolise Edeltraud, de l’autre l’indolence caribéenne associée à la complexité administrative d’un Etat socialiste, le Venezuela.
Derrière l’image de carte postale (mer, douceur et farniente), la violence est constamment présente, même si elle n’éclate jamais vraiment, excepté lors des combats de coqs, une passion locale.

TREVANIAN. - The Main. - Gallmeister. -Traduit de l’américain (Canada). - 383 p. - 23,60 €
Ce roman a déjà été publié chez Laffont en 1979. Sa réédition est une excellente décision.
L’histoire se passe dans le Main, quartier de taudis cosmopolites de Montréal dans les années 70. Le lieutenant Lapointe, en fin de carrière, doit résoudre le mystère du crime d’un jeune inconnu. Ce personnage, bourru, solitaire, bourré de blessures encore à vif, mais cachées, maniant la violence avec une fine compréhension du fonctionnement de la pègre de son district, a pour adjoint un « joane », c’est-à-dire un stagiaire idéaliste qui le suit, choqué du rejet des réglementations.
L’enquête policière est surtout un prétexte pour peindre un microcosme singulier et, malgré sa brutalité, le lieutenant est d’une redoutable efficacité et humanité, grâce à une intuition aiguisée par son empathie pour ses semblables. C’est la fin d’une époque et d’une façon de gérer une enquête. Sa hiérarchie attend avec impatience sa mise à la retraite.
On a de savoureux passages : particulièrement les discussions durant ses parties de cartes avec trois amis dont le curé, la tendresse de Lapointe pour la petite prostituée, si naïve, à la rue, qu’il prend sous son aile et installe chez lui ( !), ses relations avec les « robineux » ou clochards et son respect pour leurs codes. En plus, l’action se passe en plein hiver canadien, dans la boue et la neige ! La recherche du meurtrier, accompagnée de la découverte de deux autres crimes antérieurs sur le même schéma, nous entraîne dans une histoire de sordide et de rédemption.
C’est un pur roman noir à la Simenon, un monde à la Dickens, à savourer pour sa plume et son pathétique, équilibré par son humour.