Commission Petits éditeurs de novembre 2014

BiB92 - Commission Petits éditeurs Novembre 2014

Sélection novembre 2014

Version téléchargeable sur le site : cliquez ici.

 

ATTENBERG, Jami. - La famille Middlestein. - Les Escales. - Traduit de l’américain. - 295p. - 21€

Dans la famille Middlestein, demandez la mère : Edie, devenue obèse dès l’enfance, alors que son père, réfugié juif d’Ukraine, était maigre comme un coucou. Pour cette famille, manger, c’était aimer. Edie a épousé Richard et ils ont eu deux enfants. A ce moment de l’histoire, la famille est au bord de l’implosion : Richard a quitté Edie, après trente ans de mariage, celle-ci a de très gros problèmes de santé ; la belle-fille ne veut plus parler au beau-père et les jumeaux préparent leur bar-mishva. Chacun s’efforce d’aider Edie, y compris le vieux Chinois qui tient un restaurant à qui Edie a prêté ses compétences de juriste pour sa gestion. Chaque chapitre aborde le point de vue d’un personnage différent avec empathie et cocasserie. Ce procédé est efficace, l’alternance des flashbacks et du retour au présent dynamise la narration. Le problème du surpoids est au cœur du roman. Le passage dans lequel la belle-fille suit en voiture Edie qui achète des Burger successivement dans plusieurs boutiques et s’empiffre dans un parking, est vraiment comique… Les personnages, bien ancrés dans l’Amérique profonde, sans être stéréotypés, en font une lecture tragi-comique!

AVALLONE, Silvia. - Marina Bellezza. - Liana Levi. - Traduit de l’italien. - 540p. - 23€

Nouveau roman de cet auteur sur le passage à l’âge adulte. L’histoire se situe dans un village du Piémont où aucun avenir ne se dessine pour les jeunes. Marina et Andréa s’aiment depuis toujours, mais tout les oppose: Marina veut devenir une vedette de la télévision, une reine de beauté, séductrice, pour soigner secrètement une profonde blessure d’enfance ; Andréa, mal aimé par son père, veut renouer avec la tradition familiale d’élevage en montagne en réhabilitant la ferme familiale, quasiment en ruine. Leurs personnalités sont très différentes ; ils se disputent et se réconcilient tour à tour. « On n’a pas une once d’avenir ensemble et pourtant je t’aime à en mourir » dit Andréa lors d’une brève réconciliation. On peut croire à la fin du livre qu’Andréa a fini par trouver sa voie en renonçant à l’amour et en réhabilitant la ferme de son grand-père, mais le retour de Marina et de sa passion immature risque de tout remettre en cause… L’auteur dépeint l’Italie d’aujourd’hui, en mutation et contradictions. Le destin de ces deux héros qui s’aiment et se font du mal tour à tour n’est qu’un paradoxe insoluble et violent. L’écriture est vibrante et les personnages sont touchants. D’autres relations sont aussi évoquées, comme celle d’Andréa avec son frère, émigré aux USA, qui montrent combien les rapports humains sont difficiles et ne sont pas ceux que l’on s’imagine !

BARRY, Sebastian. - L’homme provisoire. - J. Losfeld. - Traduit de l’anglais (Irlande). - 265p. - 19,50€

Jack McNulty, « l’homme provisoire » de ce roman, rencontre pour la première fois en 1922 Mai Kirwan, la plus jolie fille d’une petite ville irlandaise et en tombe éperdument amoureux. Lui vient d’un milieu modeste, est timide et a un sérieux penchant pour l’alcool ; elle est intrépide, intelligente, en avance sur son temps. Tout les oppose, et pourtant leur union est scellée quatre ans plus tard. En 1957, Accra en Côte de l’Or (actuel Ghana), Jack écrit son journal où il raconte sa tragique histoire, celle d’un homme plein de remords, fou amoureux d’une femme qu’il n’a fait que délaisser. Un homme incapable d’aller jusqu’au bout de ses engagements qui a noyé ses doutes et sa culpabilité dans l’alcool et la fuite, préférant ignorer sa responsabilité dans la lente déchéance de sa femme. Avec comme toile de fond la jeune république irlandaise et la Seconde Guerre mondiale, Sebastian Barry mêle l’intime à la grande Histoire pour peindre un portrait fort et émouvant d’un homme pétri de contradictions, mais aussi celui d’une femme singulière qui n’aura cessé de se battre contre ses démons toute sa vie.

BAUER, Nathalie. - Les indomptées - P. Rey. - 493p. - 20€

Saga familiale, où l’on passe des années 1980 aux premières décennies du XXe siècle, coupées en deux par la Première Guerre mondiale. Deux sœurs, Noélie et Julienne, et leur cousine Gabrielle essaient, malgré leur âge, de sauver le domaine familial au bord de la ruine. Noélie décide d'écrire un roman sur cette famille de propriétaires terriens aveyronnais, dont le destin épouse l’Histoire du XXe siècle. Elles accueillent Zoé, jeune fille mal dans sa peau. Celle-ci trouvera un but et des racines sur lesquels s'appuyer pour démarrer une nouvelle vie. Ce roman alterne avec succès les deux histoires : l’une au présent et qui tourne autour des problèmes financiers des trois femmes et l’autre qui se déroule dans leur passé. L'auteur s'est inspirée encore une fois de l'histoire de sa famille, insérant des photos de l’époque et se focalise sur les femmes -pas toutes indomptées-, la plupart se coulant dans le conformisme de leur époque imposant le mariage, la tenue d'une maison et la maternité. C'est une histoire de famille avec tous ses secrets, ses rancœurs, ses joies et ses peines, y compris celles laissées par la guerre. Elle sonne vrai, les personnages semblent « réels » et la lecture est très agréable.

BENATAR, Stephen. - La vie rêvée de Rachel Waring. - Le Tripode. - Traduit de l'anglais. - 349p. - 22€

Rachel Waring, célibataire de 47 ans, « survit » en colocation avec Sylvia, dans un petit appartement londonien. Employée, son travail est purement alimentaire. Jusqu'au jour où elle hérite d'une grande maison à Bristol, léguée par sa grand-tante Alicia. Cette maison avait appartenu à Horacio Gavin, un réformateur anglais du XVIIIe siècle, qui s'est battu contre l'esclavagisme. Rachel quittera tout pour s'installer dans sa nouvelle demeure afin de prendre un nouveau départ. La vie est merveilleuse. Vieille fille passionnée de comédies musicales et d'histoires à l'eau de rose, elle va se métamorphoser. Son livre sur Horacio devient sa raison de vivre et s'étoffe avec le temps. Trouvant un portrait d'Horacio, elle l'accroche au-dessus de sa cheminée, lui parle ; il devient son ami. Elle emprunte à la bibliothèque de la musique du XVIIIe siècle, ainsi il ne sera pas dépaysé. Elle donne de son temps et de son argent pour aider les pauvres. Elle devient la marraine du fils de son jardinier -un beau jeune homme sur lequel elle fantasme. Nous plongeons progressivement au cœur de la folie douce de Rachel. Roman écrit en 1982.

BURNSIDE, John. - L’été des noyés. - Métaillé. - Traduit de l’anglais (Ecosse). - 321p. - 20€

Liv vit avec sa mère, artiste peintre, sur une île sauvage, dans le grand nord norvégien. C’est l’été austral avec toute la féerie attachée à ces longues journées et à ces nuits blanches. Deux lycéens disparaissent… on n’en parle plus, mais le souvenir marque Liv, jeune fille qui vit totalement isolée, ne fréquentant qu’un vieux pêcheur qui lui parle des trolls et de la Huldra, maîtresse des ténèbres. La jeune fille épie son locataire, venu passer l’été dans une cabane au bord de l’eau, et qui a une liaison avec Maia, jeune femme mystérieuse. Lui aussi disparaît dans la mer, observé à la jumelle par Liv, Maia étant sur la rive, un simple fait. Comment la mère de Liv qui semble bien gérer sa vie d’artiste et ses expositions, ne s’occupe-t-elle pas de la solitude de sa fille ? Y a-t-il eu réellement disparition ? Si l’on raisonne, des invraisemblances apparaissent : est-ce l’imagination de Liv, un peu maladive ? Toujours est-il que l’on se trouve plongé dans un monde fantasmagorique et poétique, toutes les pistes du possible sont ouvertes. Liv vit dans un trouble permanent, doute de ce qu’elle perçoit, panique devant la vie. C’est un beau roman, mêlant les genres, initiatique, fantastique ou polar. On en sort dérangé par toutes ces interrogations et envoûté par la merveilleuse écriture évocatrice.

BUTLER, Nickolas. - Retour à Little Wing. - Autrement. - Traduit de l’américain. - 444p. - 22€

On ne quitte jamais Little Wing, Wisconsin. Et si on la quitte, on y revient. Les quatre amis inséparables que sont Hank, Lee, Ronny et Kip auront l'occasion, chacun à leur tour, de vivre ailleurs, une autre vie, pleine de possibles, mais aucun n’y trouvera un ancrage. Le fermier, la rock star, le champion de rodéo et le courtier restent liés, malgré les différences, les brouilles et les accidents de la vie. Un roman tendre et beau, à la fois roman de genre, bande de copains et «histoires d'hommes» et magnifique texte de nature writing. On prend un plaisir fou à suivre les vies des personnages, livrées tour à tour par un narrateur différent dont la «femme du groupe», la meilleure copine, celle qui a fini par épouser l'un d'eux. L'auteur procède par flash-backs, mais on ne se perd à aucun moment. Ces passages sont comme des souvenirs qui reviennent, d'un coup, éclairant peu à peu les relations de ce groupe disparate et soudé à la fois. Un roman qui fait du bien !

CASAS ROS, Antoni. - Lento. - C. Lucquin. - 138p. - 16€

Tout débute par la naissance de Lento en soixante-douze jours. Dès lors, l’enfant vit à son rythme, particulièrement lent, profite de chaque seconde. Lento est un être ultra-sensible, en osmose avec les éléments ou avec les gens qu'il rencontre. Il grandit, contemplatif, en immersion profonde dans ses perceptions. Mais la lenteur de Lento est un handicap pour la société qui l'enferme dans une institution psychiatrique, voulant à tout prix lui faire acquérir de la rapidité. Il est considéré comme anormal, car sa différence effraie les adultes. Il souffre de ne pas rentrer dans le moule imposé par la société. Malgré l’amour maternel, l’enfant régresse. Pourtant, Lento parvient à faire de son handicap une force qui lui permet d'échapper aux règles qu'on veut lui imposer. Il rencontre même le bonheur et l’amour avec A. On entre en osmose avec cette histoire originale, véritable éloge de la lenteur. Au travers de la vie de Lento, c'est la critique de notre monde qui est dépeinte. Celle d'une société où l’écart à la norme conduit à considérer un individu comme subversif et dangereux, qu'il faut uniformiser ou enfermer. Lento est une ode à la lenteur, à l'observation des autres, de la vie sous toutes ses formes. Un hymne à la nature, conte poétique et cruel, philosophique, léger et profond. Ce livre parle de tolérance, d'acceptation de la différence. L'écriture poétique, fluide, colle parfaitement au personnage. Une belle découverte.

CASTANER, Béatrice. - Aÿmati. - S. Safran. - 161p. - 14,50€

Roman qui fait écho, l'année où l'on célèbre la grotte Chauvet. C’est l’activité d’archéologue de l’auteur qui est à l’origine de ce premier roman qui met en scène Aÿmati. Cette jeune néandertalienne, qui vivait il y a 30 000 ans dans le Sud de la France, a peint des animaux au charbon sur les murs de la grotte ; Mära, elle, fut la dernière homo sapiens. Parallèlement, Gabrielle l’archéologue retrouve, lors de fouilles, des ossements de cette époque. Enfin, dans une époque future, l'homme qui l'accompagnait se consacre désormais au sauvetage des bonobos. Croisant les époques et les réflexions sur l’art, par l’intermédiaire d’une statuette en ivoire, ce petit livre aborde la question de la transmission : comment un geste artistique effectué il y a 30 000 ans se transmet dans le futur. Le récit est voulu non linéaire, afin que les époques soient en miroir. On s'interroge sur l'homme et le temps, le passage sur terre et la préservation des espèces. Un premier roman écrit un peu comme un poème en prose, où il faut se laisser porter par le récit. Une belle écriture. Très original et réussi. http://blogs.mollat.com/litterature/2014/08/25/des-premiers-romans-viii

CHAVASSIEUX, Christian. - L’affaire des vivants. - Phébus. - 21€

Le Second Empire s’achève, place à la Troisième République. Le jeune Charlemagne Persant, mobilisé, parti au combat comme tous les célibataires de son âge et les veufs sans enfants. Charlemagne, dont l’improbable prénom lui vaut l’admiration sans faille de son grand-père maternel auquel il doit son prénom impérial, est né dans une ferme, issu de parents incultes. Il détonne au sein de sa fratrie sans éducation, prompte à la bagarre : il est intelligent et ambitieux et fait tout pour réussir. Il y parvient sans peine, ouvre des magasins de tissus, des usines textiles, épouse la fille d’un riche drapier… On l’écoute, on le respecte, on le craint, on sollicite son aide. Charlemagne détient le pouvoir. Ce personnage est assez complexe : Charlemagne aime le pouvoir, au point même qu’il éprouve du plaisir à humilier sa femme qui lui a pourtant mis le pied à l’étrier, et l’a considérablement aidé dans sa réussite. En revanche, il s’éprend d’une prostituée noire. Autour de Charlemagne gravitent des personnages tout aussi intéressants. Christian Chavassieux signe ici une vaste fresque familiale et historique, très documentée, très fouillée, intéressante et agréable à lire.

DECK, Julie. - Le triangle d’hiver. - Minuit. - 174p. - 14€

L’héroïne est une jeune femme au chômage, vivant au Havre, pas très motivée pour chercher un nouvel emploi. Plutôt allumeuse, elle n’hésite pas à se servir de ses charmes pour captiver les hommes qui lui offriraient un poste. Elle vit seule, ne fréquente personne. Elle est un peu perdue, à la dérive, et partira de port en port. Elle ressemble à Arielle Dombasle dont elle usurpe le nom d’une héroïne dans un film de Rohmer et décide de se faire appeler Bérénice Beaurivage. Elle se présente comme écrivain à l’inspecteur des paquebots et devient sa maîtresse. Mais leur relation s’étiole quand l’amant s’aperçoit qu’il ne sait pas qui elle est. Qui est cette femme en réalité ? Assurément un personnage trouble, énigmatique, dont les mystères ne seront pas entièrement élucidés. Une histoire facile à lire, enlevée, qui se passe entre Le Havre, Saint Nazaire, Marseille et Paris.

DIVRY, Sophie. - La condition pavillonnaire. - Noir sur blanc, Notabilia. - 262p. - 17€

Sophie Divry déroule le fil de l’existence de son héroïne M.A (référence assumée à Emma Bovary) depuis les années 50, et son enfance comme fille unique et choyée dans une famille de classe moyenne, en passant par l’adolescence, ses rêves, son désir de liberté et d’indépendance jusqu’à l’âge adulte, ses désillusions, ses compromis et son « enfermement » dans un confortable pavillon de province. Une existence sans surprise, un mari aimant, des enfants bien élevés, une vie ordonnée où chaque chose est à sa place. Mais peut-être un peu trop, car arrive le moment où M.A. s’ennuie, ne se satisfait plus de sa vie tranquille, aspire à autre chose. Un amant par exemple, mais l’aventure ne dure qu’un temps. Elle s’investit alors dans l’humanitaire pour se donner l’illusion d’être utile. Puis M.A fait du yoga, fréquente les lieux culturels… autant d’exutoires pour échapper à sa condition pavillonnaire. L’auteur décrit avec une précision quasi chirurgicale le quotidien dans lequel on peut tous, à un moment ou un autre, se reconnaître. Elle analyse avec une certaine ironie toute une génération et classe sociale (en ceci ce roman évoque Les choses de Perec). Sophie Divry n’est pas toujours tendre avec son héroïne : en adoptant le tutoiement dans sa narration, l’auteur installe une certaine distance avec cette dernière voire une condescendance. Un roman atypique très plaisant.

ELIZAROV, Mikhaïl. - Les ongles. - S. Safran. - Traduit du russe. - 169p. - 16,50€

L’épopée de deux personnages nés contrefaits, de leur orphelinat -si l’on peut appeler ainsi un tel endroit- à leurs réussites professionnelles relativement glorieuses ; le tout dans un langage très fleuri, très russe et croquignolet. Un bel hymne à l’amitié envers et contre tout -c’est tout ce sur quoi ces deux-là peuvent compter de toute façon- et un miroir pour le moins sarcastique de l’absurdité des comportements humains dans toute leur extravagance et leur surréalisme barbare. Grâce au style, sans doute très bien traduit, ironique, métaphorique, croquant, à la dérision permanente, le lecteur pouffe ou sourit régulièrement. Une lecture qui fait penser au Parfum de P. Süskind. Les personnages sont peut-être un peu moins « habités », et leur quête pas si lisible, mais c’est tout de même très bon. De cet auteur est paru un autre titre en français Le bibliothécaire, histoire de poursuivre cette découverte.

GONG, JI-YOUNG. - Nos jours heureux. - Picquier. - Traduit du coréen. - 325p. - 19,50€

Le roman est construit autour de deux personnages : Yujeong, une riche trentenaire déprimée qui tente de se suicider pour la troisième fois Mais au lieu de suivre une thérapie dans un hôpital psychiatrique, elle accepte de vivre auprès de sa tante, une vieille religieuse, et de l’accompagner dans ses visites en prison, dans l’unité des condamnés à mort. Le second personnage est Yunsu, un jeune condamné à mort, incarcéré dans la prison de Séoul, accusé d’une prise d’otages, d’un viol et d’un meurtre. Les deux jeunes gens délivrent leurs secrets progressivement : on apprend le manque d’assurance de Yujeongn, dû à son douloureux passé et la violence de Yunsun causée par l’injustice dont il a été victime. Leurs rencontres régulières et le contact avec la tante de Yujeong, une mère adoptive à tous les deux, les conduisent à évoluer, à devoir tourner la page. Ils réalisent que, pour avancer, ils sont obligés de pardonner les autres, en acceptant leurs propres actes. Ce livre est un double coup de poing : psychologique et social. L’auteur confronte ses personnages à des situations très dures, tout en dénonçant la justice sud-coréenne et son opacité, elle s’exprime contre l’absurdité de la peine de mort, critique la bourgeoisie trop nombriliste.

GUILLAUME, Marie-Ange. - Aucun souvenir de Césarée. - Le Passage. - 189p. - 17€

A la mort de sa mère, la narratrice se prend à revivre son enfance. Des parents qui s’aiment, mais se séparent, une maman à la fois dure et fragile, et surtout ce cahier que tenait sa mère et à travers lequel l’auteur se revoit grandir, jusqu’à ses vingt ans. Marie-Ange Guillaume dresse le portrait d’une mère loin d’être parfaite, et à travers le personnage de celle qui l’a élevée, remontent, au fil de la mémoire, tous les événements qui ont fait de l’auteur ce qu’elle est devenue. Pour se rendre compte aussi que l’idée que l’on se fait de ses parents change, au fur et à mesure que l’on grandit. Entre souvenirs, anecdotes, petits bonheurs et vraies douleurs, Marie-Ange Guillaume nous donne à lire un récit émaillé d’émotions, en demi-teinte, comme dans toutes relations mères-filles. La langue est fluide, tendre et on se laisse porter par ce court récit de souvenirs.

HARDING, Paul. - Enon. - Le Cherche midi, Lot 49. - Traduit de l’américain. - 289p. - 17, 50€

Kate, 13 ans a été victime d’un accident de voiture et depuis, son père Charly Crosby part à la dérive. Sa femme, incapable de rester avec cet homme perdu dans ses cauchemars, le quitte. Tout le roman tourne autour de la plongée de cet homme, seul personnage du roman. On plonge vraiment dans son esprit dérangé et nourri de nuits blanches, d’alcool, d’antidépresseurs qu’il va même voler en pleine nuit chez ses voisins. Devenu l’ombre de lui-même, halluciné, il erre dans son quartier, jour et nuit, et réécrit l’histoire de la petite ville d’Enon et l’histoire de sa famille. En particulier, celle de son grand-père qui réparait les pendules du village, symbole de la notion du temps. Il y associe les souvenirs heureux et complices, vécus avec sa fille et, parfois, les époques se télescopent. De temps en temps, il essaie de se reprendre, nettoyer sa maison et, surtout, penser qu’il n’est pas le seul à avoir vécu ce drame. Ce récit pourrait être insupportable, mais on ne peut le lâcher : on est fasciné par cette douleur et, en même temps, fasciné par cette ballade à travers l’espace-temps à Enon, petite ville qui est aussi un personnage. Charly finit par trouver une façon de continuer à survivre et comprend qu’il est resté figé dans la colère et la révolte. Peu à peu, il entrera dans la phase de deuil, mais blessé et changé pour toujours. L’auteur nous conduit avec un immense talent à travers les méandres du cerveau et des pérégrinations de ce malheureux père. L’écriture en est dense, active, serrée, avec de longues phrases et beaucoup de détails qui trouvent leur justification.

ILLOUZ, Thierry. - La nuit commencera. - Buchet Chastel. - 185p. - 14€

Une femme assiste au procès de son fils de 23 ans, qui est condamné à treize ans de prison, pour double meurtre avec préméditation. Cette femme modeste, vendeuse de chaussures, est dépassée par ce qui lui arrive. Ecrasée par la douleur et la honte devant les regards des autres, elle essaie de faire face à cette solitude nouvelle. Lucienne veut défendre son enfant, qui a sans doute souffert de grandir sans père, mais ce n’est pas un argument valable pour la justice. « Mon fils est innocent. Ce sont les mères qui sont coupables. » Elle voudrait faire revoir son affaire. Sébastien a refusé de se défendre et a même avoué. Le monologue intérieur de la mère fait alterner passé et souvenirs du procès. Le lecteur n’a que le point de vue de la mère, on n’assiste ni au procès ni aux pensées du fils. Un texte efficace sans fioritures.

JOLIT, Vincent. - Harmonie, harmonie. - La Martinière. - 201p. - 16€

Arnold vit à Vienne, il est marié et compose de la musique. Mais pas n’importe laquelle. Car Arnold a une haute idée de son art et de ce qu’il veut accomplir. Son ambition : rien de moins que de révolutionner la musique avec ses idées. Accompagné de ses deux disciples, Alban et Anton, Arnold va aller d’échecs en échecs, musicaux comme picturaux, jusqu’à être reconnu sur le tard, comme un des compositeurs les plus inventifs de sa génération. Cette biographie originale d’Arnold Schönberg mélange avec subtilité, analyses musicales et plongée dans les pensées profondes d’une personnalité complexe et sans concession.

LAFON, Marie-Hélène. - Joseph. - Buchet-Chastel. - 144p. - 13€

Joseph est un taiseux, un travailleur. Il est un peu frustre aussi. A près de 60 ans, il est encore ouvrier agricole, loge chez ses patrons dans une petite chambre sans décoration, dans laquelle il range ses maigres effets. Il tient sa place, sans éclat et sans heurts. Il sait que lorsqu’il partira, son monde l’accompagnera. Un monde rural qui se perd. Joseph utilise peu de mots, mais il se raconte comme il a vécu, simplement : le dur labeur des champs, les bêtes qu’il aime, la mélancolie qu’il ne sait pas nommer, mais qui le gagne. Joseph sait qu’il s’éteint comme le monde qu’il a connu : sa mère est morte, il a coupé les ponts avec son frère qui vit « à la ville », sa vie sociale se résume à des soirées devant la télévision avec les patrons. Joseph est le portrait d’un homme humble que la vie n’a pas choyé, le portrait d’un monde paysan oublié, d’une époque qui s’efface des mémoires. Avec respect et pudeur, Marie-Hélène Lafon nous fait entendre la voix d’un sans voix. Et à travers ces mots simples, ces expressions que nous croyions avoir oublié, elle dresse, avec une émotion toute contenue, le visage de la mélancolie.

LECOMPTE, Barbara. - Marquise au portrait. - Arléa. - 132p. - 16€

Autobiographie fictive du pastelliste Quentin de La Tour, que l’on suit pendant la réalisation du portrait de la marquise de Pompadour. En très peu de pages pour un livre de ce genre, l’auteur montre dans une grande virtuosité, des bribes d’histoire, des anecdotes de la vie à Versailles, la technique du pastel, du dessin, l’élaboration des esquisses, la sensualité des tissus et la vie intime de l’artiste. Qui plus est, c’est fort rusé, une construction à la Moby Dick qui nous fait patienter, nous perd, tout en effleurant le monde. C’est plein d’allant, très vif, Barbara Lecompte pourrait prétendre à un 20/20 à l’épreuve de résumé. Quelques irrévérences en plus. C’est vraiment très bien fait et ouvre prétexte à rechercher plus d’informations sur tous ces sujets ; voire à partir en escapade jusqu’au musée Antoine Lecuyer à Saint-Quentin dans l’Aisne où se trouvent de nombreux pastels du peintre (la visite virtuelle n’est pas mal non plus).

LYON, Annabel. - Aristote mon père. - Quai Voltaire. - Traduit de l’anglais (Canada). - 236p. - 21€

La première partie narre la vie d’Aristote vue par sa fille Pythias, d’une douzaine d’années. Sa mère est morte lorsqu’elle avait trois ans et elle est élevée par son père dont elle est très proche. Elle sait lire et raisonner, assiste en cachette aux symposiums. Aristote a pris pour compagne une de ses esclaves, Herpylis, dont il a eu un fils, Nicomaque, qui a maintenant cinq ans. Le philosophe et sa famille quittent Athènes pour Chalcis où il mourra un an plus tard. La seconde partie relate l’histoire de la jeune fille depuis le deuil de son père. A la mort d’Aristote, sa vie devient difficile. Le philosophe a laissé un testament précisant que Pythias doit épouser un cousin qui a 44 ans, parti guerroyer avec Alexandre et dont on n’a plus de nouvelles. Est-il encore en vie ? Pythias souhaite qu’il soit mort… Mais si c’est le cas alors, Pythias doit épouser Euphranor, un jeune officier. Pour le moment, la jeune fille n’a aucune envie de se marier. Elle pense toujours à Myrmex, qui s’est enfui avec l’argent et les réserves. Pyhtias, femme sans aucune protection, si ce n’est la présence discrète de Tychon, son fidèle esclave, doit supporter les épreuves, la misère, avec toujours cette question : « Que ferait mon père ? » dans la même situation. Annabel Lyon connaît bien son sujet : la vie quotidienne à Athènes, les Macédoniens, le peu de place des filles dans les débats philosophiques, y compris pour Pythias, brillante et intelligente…. Elle décrit d’une plume alerte la vie quotidienne au IVe siècle avant J.-C., le rapport aux esclaves et aux divinités. Elle nous fait partager l’existence de cette femme qui refuse les conventions et défend son droit de penser par elle-même, une indépendance d’esprit dans une époque de soumission et de respect des traditions qui nie aux femmes d’avoir une conscience. Un roman aussi captivant qu’émouvant.

MAUVIGNIER, Laurent. - Autour du monde. - Minuit. - 384p. - 19,50€

Le 11 mars 2011, ont lieu le tremblement de terre et le tsunami de Fukushima au Japon. Autour de cet événement et autour du monde, l’auteur bâtit une ronde de bribes de vie à ce moment donné d’un certain nombre de personnages qui n’ont rien en commun, si ce n’est de supporter les aléas de la vie. Une vingtaine d’histoires qui se passent dans de nombreux pays, avec des personnages, la plupart du temps parachutés et non originaires du Japon, des touristes ou des hommes d’affaires, des marginaux, des personnes en rupture avec leur équilibre mental ou englués dans des sentiments honteux. Ces sortes de petites nouvelles sont séparées par de vignettes photographiques, assez passéistes, montrant un monde qui n’est plus. Mais malgré leurs différences sociales, l’âge, le sexe, tous ces personnages ont des similitudes. La transition entre deux histoires est très fluide, soit un mot et on bascule, soit un passage du rêve à la réalité, soit deux situations analogues et les noms se substituent les uns aux suivants. L’auteur montre combien chacun perd son équilibre profond et son enracinement dans ce monde qui bouge et où la notion de « chez soi » n’existe plus. La lecture est très fluide, chaque épisode est approfondi et la nature est largement présente avec des descriptions souvent luxuriantes. C’est le roman de la globalisation, sur le tremblement, comme au Japon, de notre société. Il y a du Houellebecq dans le désenchantement de cette ronde autour du monde, mais, aussi, beaucoup d’humanité comme dans le film Babel d’Inarritu (2005).

MAY, Peter. - L’île du serment. - Le Rouergue, Rouergue noir. - Traduit de l’anglais. - 423p. - 23€

L’île d’Entrée, située dans l’archipel de la Madeleine, est peuplée de familles d’origine écossaises, un ilôt d’anglophones perdu parmi les francophones de l’est canadien. Discrète tant elle est calme, elle va pourtant connaître un meurtre particulièrement sauvage… Seul anglophone de la brigade criminelle, Sime McKenzie mène une enquête délicate, troublée par la beauté et la personnalité de la principale suspecte… Un polar qui fleure bon la nature sauvage et les légendes. On est subjugué par cette histoire qui franchit allègrement les frontières du temps ! Cette intrigue policière ne sert que de toile de fond, excellent prétexte pour découvrir l’histoire économique et sociale de l’Ecosse et du nouveau monde au XIXe siècle. Peter May nous prend la main et nous emmène là où il veut nous mener. On se laisse faire avec bonheur… Bien écrit, bien construit, on le suivrait jusqu’au bout du monde !!!

MILLER, Andrew. - Dernier requiem pour les innocents. - Piranha. - Traduit de l’anglais. - 297p. - 18€

En 1785, Jean-Baptiste, jeune ingénieur normand, est chargé par le roi de vider le vieux cimetière des Saints-Innocents avant de le détruire. Il envisage cette mission comme une chance d’en finir avec un passé archaïque… Mais sera-t-il à la hauteur ? C’est parfois un peu long, mais très intéressant ! L’auteur évoque au présent le Paris de la fin du XVIIIe siècle. On y est, on sent les odeurs nauséabondes, on partage le quotidien du petit peuple de ce quartier mal famé… C’est fou ce qu’on apprend ainsi, on se croirait presque replonger dans l’atmosphère du Parfum de Patrick Süskind. Un livre enrichissant donc, malgré quelques maladresses que l’on pardonnera volontiers… L’auteur a reçu le Prix Costa pour ce livre qui a ensuite été désigné comme Livre de l'année par le jury.

MINIERE, Isabelle. - Je suis très sensible. - S. Safran. - 169p. - 14,50€

Grégoire vit une vie réglée, sereine, normale, bien qu'un peu ennuyeuse, formant avec Agathe un couple sans histoire, pour qui sa personnalité atypique fait tout son charme. Deux événements font alors irruption dans le récit quotidien du jeune homme : le décès inattendu du Président de la République, d'une part, et l'interdiction d'un film « Bêtes sauvages » - que Grégoire admire sans retenue -, d'autre part. Un léger basculement va se produire dans le récit à la première personne, donnant au lecteur un malaise grandissant au fil des remarques et réactions -ou absences de réactions- de Grégoire. Qui est, au fond, ce jeune homme apparemment bien intégré, raisonnable et plein d'humour, sensible, et attentif au monde ? Par un glissement subtil et maîtrisé de l'écriture, l'auteur décentre presque malgré lui le lecteur de son empathie première pour ce héros pas si commun, et l'oblige à ouvrir les yeux sur un « autre » attachant et dérangeant, qu'il découvre de l'intérieur. Une expérience littéraire bien menée et qui donne à réfléchir.

MWANZA MUJILA, Fiston. - Tram 83. - Métailié. - 199p. - 16€

Dans une grande ville africaine (ce pourrait être en République démocratique du Congo), le Tram 83, véritable chaudron urbain, est un lieu où converge chaque jour une multitude de personnes, essentiellement des marginaux et des travailleurs pauvres. Parmi cette faune, on croise Lucien, un écrivain recherché par la police, Requiem, un maquereau trafiquant de seconde zone et Malingeau, un éditeur rêvant de profits. Ils côtoient les « canetons » (prostituées de douze à quinze ans) et les « biscottes » (jeunes garçons exerçant des métiers harassants), tous cherchant à se faire une place au soleil… Premier roman de cet auteur né en République Démocratique du Congo et vivant en Autriche. J’ai beaucoup aimé ce livre à l’écriture foisonnante, qui nous plonge avec bonheur au cœur de l’Afrique d’aujourd’hui, un continent « jeune » et -malgré les difficultés et la misère- plein d’optimisme. Grand prix SGDL du premier roman.

NAQQASH, Samir. - Shlomo le Kurde. - Galaade. - 456p. - Traduit de l’arabe (Irak). - 25€

A presque cent ans, Shlomo Kattani dit Shlomo le Kurde se penche sur ce que fut sa vie de commerçant juif en Iran, puis en Irak, une vie faite de bonheurs et de terribles drames. Shlomo a tout connu : la gloire, la réussite, l’amour avec ses deux femmes, Esmer et Esther, mais aussi la guerre, l’intolérance, l’exil, le massacre des siens et la faim. Un destin exceptionnel. Bien que de confession juive, l’auteur, décédé en 2004, est considéré comme un des plus grands auteurs en langue arabe de son époque. Son livre est très émouvant, plein de rebondissements et de vie. Car, derrière tous les malheurs auxquels Shlomo est confronté, se cachent aussi un réel optimisme, une soif de vivre. Ce roman n’attirera sans doute pas les foules (le sujet et la couverture le desservent) mais il mérite de figurer dans toute bonne bibliothèque digne de ce nom.

OGAWA, Ito. - Le ruban. - Picquier. - Traduit du japonais. - 282p. - 19,50€

Pour la deuxième fois dans sa vie, Sumire devient une mère adoptive : dans son chignon, elle couve l’œuf tombé du nid. L'oisillon, une petite perruche callopsitte, est entouré d'amour par la vieille dame qui semble retrouver la joie de vivre en sa présence et par sa petite fille Hibari, ravie d'entendre sa grand-mère chanter de nouveau. Mais, comme tous les enfants, il quitte le foyer qui l'avait élevé pour voler de ses propres ailes et rencontrer de nouveaux maîtres... Le destin de la perruche est raconté par l'auteur à travers les histoires qui se suivent : l'oiseau symbolise le bonheur et la quiétude, il console et égaie la vie des autres. Son nom Ruban est un lien indestructible "pour l'éternité". Ce roman enchante par sa poésie, le rythme lent apporte une autre dimension du temps et de l'amour. Par l’auteur de l’excellent Restaurant de l’amour retrouvé.

OH, Jung-hi. - Le quartier chinois. - S. Safran. - Traduit du coréen. - 215p. - 17,50€

Ce roman se compose de trois récits qui se passent dans la Corée de la guerre froide et dans des milieux très défavorisés. Chaque texte parle de la difficulté de grandir dans cette société désorganisée. Dans la première nouvelle intitulée Le quartier chinois, une fillette de neuf ans quitte la campagne pour une ville portuaire… Elle s’occupe de la famille pendant que sa mère gagne sa vie dans les bouges chinois. Elle ne connaît que la cruauté de la vie et devient femme quand sa mère accouche. Dans la deuxième nouvelle, La cour de l’enfance, c’est l’absence du père, parti à l’armée, qui est au centre et c’est aussi une petite fille qui subit les violences du frère qui se pose en substitut de père. Ce frère ne veut qu’une chose : apprendre l’anglais pour émigrer. Avec un petit frère, elle ramasse, entre les rails, des bouts de charbon. Avec Le feu d’artifice qui se déroule dans les années 70, ce sont trois membres d’une même famille qui sont mis en scène : l’enfant, Yôngjo, son père et sa mère, chacun évolue dans un cadre différent et ce sont trois histoires qui sont rapportées, histoires ayant des liens avec le passé autant qu’avec le présent. Y sont évoqués la guerre avec la Chine, les esprits, la notion d’onirisme qui baigne le présent et le confond avec le passé. L’auteur évoque avec finesse et sensibilité un univers et une époque inconnue dans la littérature de ce pays que l’on connaît surtout par la vie débridée dans les villes aujourd’hui. Ce n’est un texte pas facile à aborder malgré sa fluidité, beaucoup de références et d’ellipses.

PERCIN, Anne. - Les singuliers. - Le Rouergue, La brune. - 392p. - 22€

Ce roman épistolaire se déroule en 1888, à Pont-Aven, petit village devenu lieu de rencontre de très nombreux peintres. Hugo Boch, jeune artiste issu de la famille Villeroy Boch fabricants de faïence, y arrive avec son appareil photographique. Très bon dessinateur, il choisit ce nouveau mode d'expression. Il préfère rejoindre Pont-Aven plutôt que de poursuivre les Beaux-Arts. Il doute de son talent, tente de trouver sa voie. Il fréquente les peintres Paul Gauguin et Emile Bernard. Si Hugo a quitté Paris en laissant sa chère cousine Hazel, elle aussi peintre, et s'est éloigné de Tobias Hendrike son ami d'enfance, artiste tourmenté et handicapé par de terribles migraines, il leur donne de ses nouvelles : commence alors entre Pont-Aven, Paris et Bruxelles un échange épistolaire qui leur permet de rester en contact. C'est une époque pleine d’effervescence, et d'innovations de toutes sortes : Eiffel construit sa tour, les Beaux-Arts de Bruxelles ouvrent leurs portes aux femmes... On voit ces jeunes audacieux et sincères se battre pour imposer la peinture en plein air. On les suit aux obsèques de van Gogh à Auvers-sur-Oise, lui dont une seule toile fut vendue de son vivant, achetée par Anna Boch, la cousine d'Hugo. Les lettres d'Hugo, Hazel et Tobias sont très vivantes, pleines d'humour et mêlent avec talent personnages fictifs et peintres célèbres. Hazel, demoiselle qui débute sa première lettre par « Mon petit bonhomme, ne crois pas que tu puisses t'en tirer comme ça » et qui la termine par « Ta fulminante » ne peut que séduire le lecteur ; une cousine émouvante, rieuse et travailleuse, qui se débat avec la misogynie qui règne alors. L'auteur dessine des portraits très attachants de ses personnages. Ce roman épistolaire rend hommage aux artistes et à leur courage face aux obstacles qu'ils doivent surmonter. Anne Percin signe un roman très vif, on se régale à lire ces lettres. Laissez-vous emporter par ce roman vif et enlevé ! Autre roman récent sur la peinture : G. Montanaro : Toutes les couleurs du monde Grasset, consacré à Van Gogh.

PROTAT, Laure. - L’indifférent. - Arléa, 1er/mille. - 275p. - 20€

Le roman s’ouvre par le rapport de police sur le suicide de Hughes Protat en 1999, qui n’a laissé aucune lettre d’explication pour les siens. Ses enfants apprennent qu’il y a eu un drame alors qu’ils sont en vacances sur la Côte d’Azur. La narratrice est sa fille de 13 ans, L’adolescente pressent le pire, mais ne s’étonne pas du suicide de son père. «par ma faute, nous avons été heureux et insouciants alors que tu étais mort et que déjà nous aurions dû arrêter de vivre. » (p 21). « Je crois que je suis devenue indifférente pour ne pas crever. Notre bateau s’appelait comme çà, L’indifférent. » (p 25). Elle essaie de consoler son frère, s’en veut de continuer à vivre malgré la douleur et ne parvient pas à pleurer. Plus tard, Laure s’approprie ses livres, retrouve les manuscrits de son père : est-ce les échecs de publication qui ont poussé son père à bout ? Dans la seconde partie, la narratrice entreprend de raconter son père. Elle retrouve les photos de famille, les souvenirs de moments partagés. Elle rêve que tout redevienne comme avant…, elle ne serait pas amputée et aurait eu un avenir différent. « J’ai longtemps voulu croire qu’un jour je comprendrais. » (p 272) mais n’aura pas d’explication sur ce suicide. Des chapitres courts, un ton direct, sans fioritures ni pathos. Un premier roman -plus ou moins encore autobiographique mais écrit comme un vrai roman- captivant.

RICHEZ, Marion. - L’odeur du minotaure. - S. Wespieser. - 122p. - 14€

Marjorie est une enfant unique, issue d’une famille modeste. Après de très brillantes études, elle intègre un ministère en tant que « plume » d’un ministre. Elle a rompu depuis très longtemps tout lien avec sa famille et mène une vie bien rangée. Mais un jour, son passé la rattrape lorsque sa mère l’appelle pour lui annoncer que son père est mourant. Elle se met aussitôt en route, mais au détour d’une petite départementale, elle percute un cerf. Traumatisée par cet accident, sa vie bascule alors, en faisant rejaillir de profondes émotions enfuies en elle. Un beau roman initiatique, très bien écrit, où nous suivons la métamorphose de cette jeune femme, même si la diversité des thèmes abordés font que l’on ne sait pas toujours où l’auteur veut nous emmener. Un premier roman tout de même prometteur…

ROGER, Marie-Sabine. - Trente-six chandelles. - Le Rouergue, La brune. - 277p. - 20€

Dans la famille de Mortimer Decime, on meurt de père en fils toujours à la même date. Cela ne concerne que les mâles de la famille qui sont comme frappés d’une malédiction : le jour de leurs 36 ans, à 11h précises, ils meurent. Mortimer le sait, et attend donc son heure, résigné. Le jour J, il a tout préparé : résilié ses abonnements, donné son préavis de départ pour l’appartement, vendu sa voiture, fait le ménage, et mis son plus beau costume. Il va s’allonger sur son lit quelques minutes avant l’heure fatidique et attend patiemment. Mais à 11h10, il est toujours vivant ! Avec son style plein d’humour qui a fait le succès de ses précédents romans, Marie-Sabine Roger nous emmène dans une histoire rocambolesque aux personnages attachants.

STAALESEN, Gunnar. - L’enfant qui criait au loup. - Gaïa, Polar. - Traduit du norvégien. - 363p. - 22€

Le détective privé Varg Veum est appelé en renfort dans une affaire de double meurtre. Le principal suspect, Jannegut, un adolescent de dix-sept ans, est une vieille connaissance : Varg s’était en effet occupé de lui lorsqu’il travaillait à la protection de l’enfance. Il se souvient très bien de cet enfant arraché à une mère toxicomane, puis balloté de famille d’accueil en famille d’accueil. Cette fois-ci, le jeune homme est accusé d’avoir froidement abattu le couple qui l’élevait depuis dix ans. Circonstance aggravante, son précédent père adoptif avait succombé à une chute mortelle. On l’avait retrouvé mort au bas des escaliers de sa cave, Jannegut jouant à ses côtés… Encore un polar scandinave de très bonne facture, efficace et bien écrit. Avec ce livre, on voyage aussi dans toute la Norvège (Oslo, Bergen, les campagnes reculées), un pays dont l’auteur sait parfaitement retranscrire les mœurs et les failles. Très plaisant à lire et très instructif.

STEPNOVA, Marina. - Les femmes de Lazare. - Les Escales. - Traduit du russe. - 449p. - 22€

Le récit commence par un tragique accident de baignade. Lidotchka, une petite fille âgée de 5 ans voit sa mère se noyer sous ses yeux. Le père, très éprouvé, ne peut s'occuper d'elle. Sa grand-mère paternelle Galina, une femme autoritaire, égoïste et peu aimable, va devoir l'adopter. L'histoire se noue à travers les portraits des différentes femmes de Lazare Lindt. Arrivé à Moscou en 1918, ce dernier entre dans l'histoire de la science grâce au professeur Tchaldonov et Maroussia sa femme, qui représente pour lui l'idéal féminin et l'épouse exemplaire. Il en tombe amoureux, un amour non réciproque. Il les suit à N-sk. A la mort de Maroussia, il épousera Galina une jeune scientifique de 41 ans sa cadette. Chaque femme représente les deux facettes de la Russie : l'une celle d'avant la révolution de 1917, et l'autre celle des classes privilégiées de la nouvelle élite communiste. La petite fille passe une enfance sans amour dans une société en pleine mutation. Trois femmes aussi différentes que les périodes qu'elles incarnent. Pour Marina Stepnova il y a un lien ténu entre Lazare Lindt et le Lazare biblique. « Parce qu'il a su aimer et être aimé, son amour des femmes lui a conféré une véritable immortalité » Big Book Prize 2012.

TENEMBAUM, Gérald. - Peau vive. - La Grande ourse. - 232p. - 18€

En 1988, Eve Reizer, 37 ans, travaille comme biologiste à Paris. Dans cet univers aseptisé, elle souffre de la phobie du toucher et ne supporte aucun contact. Elle ne peut donc entamer de relation amoureuse dans ces conditions, si bien qu’André l’attend, en vivant un amour platonique… Eve cherche à surmonter cette phobie qui l'empêche de vivre normalement. Les causes sont à rechercher dans son enfance, dans son histoire familiale. Ses relations avec ses parents semblent plutôt tendues, sans que l’on sache pourquoi au départ. Lors d’un attentat, Eve sombre dans le coma, sauvée de justesse par un pompier. A son réveil, elle décide de partir à la recherche du passé à Berlin-Est, -le mur est le symbole de toutes les séparations-. Histoire d’une jeune femme qui va du virtuel vers le réel ; l’imaginaire l’aidera à se libérer et à s’épanouir enfin. L’auteur se glisse dans la peau d’Eve avec beaucoup de finesse et explore la sensibilité féminine. Une jolie écriture subtile et poétique, mais on pourrait regretter que le roman ne soit pas plus percutant. http://www.dailymotion.com/video/x24l8vz_gerald-tenenbaum-peau-vive_news

VALLEJO, François. - Fleur et sang. - V. Hamy. - 258p. - 19€

Chez les Delatour, on est chirurgien de père en fils. Etienne Delatour est donc un éminent cardiologue. Urbain Delatour, son lointain ancêtre, est lui en apprentissage comme maître chirurgien-apothicaire sous Louis XIV. Pour Etienne, tout se passe bien jusqu’au jour où il est accusé de dépassement d’honoraire, de surmortalité dans son service... Il se demande si son amour de toujours, Irène, n’est pas à l’origine de sa disgrâce. D’autant plus que le père de celle-ci, Monsieur de Saint-Aubin, est son patron, car directeur de l’hôpital. Au XVIIe siècle, Urbain, incertain d’avoir la vocation, est fasciné par sa rencontre avec Isabelle de Montchevreüil... Si le contraste est clair entre Etienne et Urbain, ils ont pour points communs, leur vocation et une certaine naïveté. Et leur sentiment de toute puissance, même fugace pourrait être la cause de leur destruction... Très bien écrit, on passe d’une époque à l’autre. Mais on peut se lasser de certaines longueurs.

VAN DER LINDEN, Sophie. - L’incertitude de l’aube. - Buchet-Chastel. - 149p. - 13€

À Beslan, Anushka est en route pour l’école, avec son grand-père, en ce jour de rentrée scolaire. Sur le chemin, elle retrouve Milena, sa meilleure amie, accompagnée de sa maman. Tous quatre entrent dans l’école. Le grand-père, fatigué, s’assoit sur un muret, la maman reste auprès des petites filles pour découvrir dans quelle classe elles seront. Elles ne seront pas ensemble cette année mais promettent de se retrouver pendant les récréations. Soudain, des fusils, un assaut, Anushka ne voit plus son grand-père, elle s’inquiète pour sa mère, enceinte, restée à la maison… Sophie van der Linden a choisi de nous raconter la prise d’otage dans une école primaire à Beslan en 2004, où de nombreuses personnes ont péri lors de leur libération. On retient son souffle tout au long de la lecture pour Anushka. Va-t-elle s’en sortir ? Son grand-père a-t-il été tué ? En tous les cas, elle est très courageuse pour une fillette de son âge… Touchant !

VANN, David. - Goat Mountain. - Gallmeister. - Traduit de l’américain. - 264p. - 23€

Un gamin de 11 ans est emmené par son père, son grand-père et leur ami Paul, dans une chasse initiatique où il pourra tuer son premier cerf. Ils sont entre hommes et l'enfant est surexcité par l'expédition ! Arrivés à leur « chalet », ils aperçoivent un braconnier, qui se trouve à environ 200 m. Le père donne à son fils, un peu par jeu, la carabine chargée, capable de tuer un ours et l'enfant s'installe comme pour viser, par jeu aussi, mais tire par instinct et le braconnier tombe. S'ensuit une violente querelle entre Tom et les autres... Comme d'habitude, David Vann prend son temps pour nous amener petit à petit à l'irréparable et comme d'habitude, c'est inévitable, ça ne peut pas se terminer autrement. On pourrait croire à une manière de complaisance de la part de l'auteur. Or c'est le contraire qu'il tente à démontrer ! Cela fait des années que David Vann se bat contre la liberté du port d'armes aux États-Unis et contre le fait que, dans les milieux ruraux, ce sont les pères et les grands-pères (les mâles de la famille !) qui décident qu'un enfant peut tuer et dépecer un cerf à 11 ans, sous prétexte de transmission presque sacrée, l'habituant à l'instinct de chasse en banalisant l'abattage !!! Ce livre est superbement écrit, la nature y est magnifiée, les rapports rugueux, voire violents entre les hommes et le gamin sont tantôt suggérés, tantôt outrés, mais toujours « normaux » ! C'est un roman instructif, intelligent et passionnant !

WASSMO, Benjamin. - Ces instants-là. - Gaïa. - Traduit du norvégien. - 399p. - 24€

Sans hésiter, une lecture agréable. Pourtant, c'est un livre… compliqué. Est-ce un roman ? une autobiographie ? Un récit autobiographique romancé ? Je penche plutôt sur ce dernier. Herbjørg Wassmo se raconte, de son adolescence à ses 50 ans. L'écriture n’a pas de véritable rythme, les phrases sont assez courtes et abruptes. On pourrait dire que cet ouvrage est essentiellement constitué de « flashs », de morceaux hachés de sa vie. Il ne faut pas se laisser distraire pour finalement s’y plonger et lire tranquillement. Les personnages qui sont comme sans identité : la mère, le père, l'époux, le fils, la fille… L’histoire d’une femme qui se cherche et essaie d'obtenir ce qu'elle veut : être libre. Ce qui n'est pas simple à son époque en Norvège : il y a toujours une forme de culpabilité qui la suit : abandonner son fils pour terminer ses études, ne pas être une bonne épouse joviale, ne pas être une bonne mère, ne pas rester à sa place, vouloir évoluer, écrire… Non seulement, elle veut s'affirmer en tant qu'écrivain, mais aussi en tant que femme écrivaine. C’est tout c'est un combat de tous les jours contre les autres, mais aussi contre elle-même. Une lecture de qualité, exigeante et particulière, qui ne plaira pas à tous.

WOOD, Benjamin. - Le complexe d’Eden Bellwether. - Zulma. - Traduit de l’anglais. - 499p. - 23,50€

Eden est un personnage intrigant, musicien de génie, passionné jusqu’à la folie de musique. Persuadé que sa musique a des vertus de guérison, Eden va avoir un comportement de plus en plus excentrique, manipulateur, égoïste, pervers narcissique, les facettes de sa personnalité sont d’autant plus sombres qu’on avance dans le roman. Benjamin Wood écrit un roman complexe, apportant une analyse psychologique fine du comportement humain dans ses plus extrêmes retranchements, dans l’égoïsme et le narcissisme. Parfois le roman manque de relief, mais la lecture est intéressante pour l’originalité de l’histoire et l’aspect psychologique des personnages. PRIX DU ROMAN FNAC