Commission Petits éditeurs de novembre 2021

Commission Petits éditeurs Bib92 - Sélection novembre 2021

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Paris 2050, une pandémie de grippe aviaire a décimé vingt ans plus tôt une grande partie de l’humanité. Originaire d’un élevage de canards en Irlande, elle a transformé cette île en “île morte ”refuge des rares espèces d’oiseaux sauvages ayant survécu. En France, un régime autoritaire a été instauré, rappelant le moyen-âge par l’emprise de la religion et la paupérisation des habitants. Chaque année, à Paris, se déroule le 31 octobre la “grande chasse”. Un canard est lâché de la Tour d’Argent, sa capture permet de toucher une grosse somme d’argent et de déguster l’animal cuisiné “au sang” en compagnie du Président. Mais cette fois-ci, sur son chemin de croix, le palmipède rencontre des êtres en marge (dont le narrateur) prêts à tout pour l’aider. Une plume mordante :) caractérise ce premier roman remarqué. Ode poétique, nostalgique et drolatique à la liberté, très documentée entre autres sur l’histoire de la Tour d’Argent et parsemée de clins d’œil ironiques, elle nous questionne en évitant l’esprit de sérieux.
Audoin-Rouzeau, Eloi. - Ouvre ton aile au vent. - Phébus. - 143 p. - 16 €

En 1958, une équipe de tournage française débarque à Rio de Janeiro. Revisitant le mythe d’Orphée et d’Eurydice, Aurèle Marquant veut filmer une favela avec des acteurs non professionnels noirs, sur une musique chantée à la guitare. Tandis que la CIA surveille le tournage, le Brésil et la France complotent pour participer au festival de Cannes. Avec ce troisième roman, l’auteur nous plonge dans l’univers du cinéma en nous conviant au tournage, semé d’embûches, d’Orfeu Negro, de Marcel Camus, ce qui lui permet de traiter de sujets hors champs : le Brésil du président Kubitschek, père de Brasilia, l’extraordinaire vivier culturel avec, notamment Vinicius de Moraes, poète et auteur de la pièce dont s’inspire le film, les débuts de la bossa-nova, la misère des favelas, les intérêts européens et américains et, surtout, le racisme subi par les noirs dans ces années sombres… Cela donne une œuvre flamboyante, foisonnante d’informations que l’on recueille au fil de la lecture. Même si Estelle-Sarah Bulle prend quelques libertés avec la réalité : le nom du réalisateur et de l’actrice principale modifiés, certaines situations romancées... On prend plaisir à lire ce pavé, bien écrit et bien composé. Et à (re)découvrir Orfeu Negro, film primé à Cannes en 1959, boudé par la Nouvelle Vague et oublié depuis… Gageons que ce livre lui redonnera ses lettres de noblesse, tout en nous faisant réfléchir sur la condition humaine. À consommer sans modération, en écoutant de la bossa nova !
Bulle, Estelle-Sarah. - Les étoiles les plus filantes. - L. Levi 426 p. - 21 €

Roman choral inspiré du meurtre de George Floyd de Minneapolis à Milwaukee (Wisconsin) en 2020 par la police. L’auteur transpose cette histoire dans son personnage d’Emmett qui, en hébreux, signifie la "vérité". Ce prénom renvoie à un adolescent du Mississippi, Emmett Till, enlevé, battu, assassiné pour avoir osé parler à une femme blanche en 1955. Ce meurtre fut le point de départ des revendications des droits civiques pour les Noirs. Les personnes qui ont connu Emmett témoignent : l’épicier qui a donné l'alerte, l’institutrice, l’amie, les potes, le coach sportif, la fiancée et ex fiancée. Tous sont incarnés avec puissance, pour dire le poids du racisme, du déterminisme social qui ont broyé l’orphelin d’un ghetto, rêvant de sortir de sa condition par le sport. L'auteur change donc de style à chaque partie. On a ainsi différents éclairages, et il apparaît que cette mort est malheureusement le reflet d’un pays fracturé ne parvenant pas à surmonter un passé esclavagiste. Louis-Philippe Dalembert peint avec précision et force cette réalité sociale, faite d'un melting-pot. Puis une seconde partie, plus universelle, autour de Ma Robinson, ancienne gardienne de prison devenu pasteure. Un personnage haut en couleurs, qui délivrera un discours digne de Martin Luther King lors des funérailles d'Emmett. A travers cette tragédie, l'auteur veut transmettre une vérité universelle sur la condition afro-américaine aux Etats-Unis. La fin du roman empreinte d'idéalisme et d'humanisme met au premier plan ceux qui, en rendant hommage à Emmett, essaient de lui redonner son honneur. Un roman intense et utile à la solennité poignante qui ne peut laisser indifférent.
Dalembert, Louis Philippe. - Milwaukee blues. - S. Wespieser. - 226 p. - 21 €

Un homme, Frédéric Berthet, se rend à Bar-le-Duc dans le but de mettre fin à ses jours. Ce déclencheur, et l’enquête policière qui suit, sont les points de départ d’une série de digressions sur l’absurdité de la vie et de la mort. Un exercice de style qui nous révèle un Pierre Demarty très habile dans les changements de registres et d’un sombre virtuosisme sarcastique et paradoxal.  Un livre qui, par l’absence de point, prend la forme d’une phrase de deux-cents pages, un flux narratif qui nous entraîne sans pauses jusqu’au bout de l’absurde.
Demarty, Pierre. - Mort aux girafes. - Le Tripode. - 200 p. - 17€

Alors qu'il s'apprête à entrer en première dans une petite ville près de la Suisse, Matthias découvre son professeur de français, M. Wexler, qui s’installe avec sa famille dans une Villa qui prendra des allures de plus en plus mystérieuses. Celui-ci propose à ses élèves de tourner un film pour les intéresser à ses cours. En tombant amoureux de Charlotte, la fille du professeur, Matthias pénètre dans le cercle de la famille qui deviendra, au même titre qu'Aurore, une autre camarade, son univers, pour le meilleur comme pour le pire. L’adolescent est très amoureux, mais se rend compte qu’il ne compte pas autant qu’il le voudrait pour Charlotte. Vingt ans plus tard, de retour dans sa ville natale, il cherche toujours à comprendre qui sont les Wexler. Tout comme le narrateur, qui oscille entre les souvenirs et son existence actuelle, le récit décrit la confusion dans laquelle se trouve toujours Matthias face à ceux qui ont bouleversé sa vie. Malgré les années passées, il est encore sous leur emprise, moins dramatiquement qu’Aurore, détruite. Un mythe entoure Mr Wexler, mais aussi son premier amour. Le récit oscille entre plusieurs genres romanesques : récit d'adolescence dans lequel Matthias décrit minutieusement ses sentiments, ses pensées ; récit d'une enquête qui fait pénétrer le jeune homme non seulement dans les profondeurs de son esprit, mais aussi celles d'Aurore, pour enfin connaître, vingt ans plus tard, la triste réalité sur cette famille ; récit d'amours obsessionnelles, dont l'on ressent toute la puissance, parfois destructrice. Les personnages sont intéressants car ils ont tous une grande part de mystère. Certains sont assez torturés et apprendre à les connaître est un plaisir car on se pose de questions et même à la fin tout n'est pas élucidé. On avance dans une atmosphère un peu pesante. Il n'y a pas beaucoup d'action, mais assez pour éveiller la curiosité du lecteur.
C’est un livre agréable à lire, prenant et à conseiller.
Dupont, Jean-François. - Villa Wexler. - Asphalte. - 193 p. - 18 €

Forte de son expérience dans l'armée de terre et au Ministère des Armées, c'est en connaissance de cause qu'Emilie Guillaumin nous propose une incursion dans ce monde à part, verrouillé par ses règles autant que par son esprit de corps. Soldats des forces spéciales françaises, Cédric Delmas et cinq de ses camarades tombent dans une embuscade lors d'une mission secrète en Syrie. Leurs corps sont rapatriés en France mais deux ne sont pas ceux de Cédric et d’un de ses camarades. Commence alors une attente insupportable et un éprouvant combat pour la vérité pour Clémence, sa femme. Au-delà de l’intrigue, la grande force de ce roman est son réalisme dans sa restitution du quotidien des militaires et de leurs familles, en particulier celui de leurs femmes ; mère, conjointe ou amante. C’est également le portrait émouvant d'une femme dévastée mais surtout courageuse, engagée et battante face à l’adversité. A conseiller pour le sujet rarement traité à ma connaissance !
Guillaumin, Emilie. - L’embuscade. – HarperCollins. - 292 p.- 17 €

Les Allemands de la Volga forme une colonie, arrivée en Russie au XVIIIe siècle, sur les rives du fleuve. Le roman se situe dans les années 1920-1930. Bach est instituteur introverti, il mène une vie modeste et routinière, dans le village de Gnadenthal. Une demande incongrue d’un certain Udo Grimm bouleverse sa vie : l’homme le charge d’instruire sa fille, Klara, et tous deux tombent amoureux. Le couple s’installe dans la ferme, isolée du reste du monde. Un jour, des intrus pénètrent dans la ferme et violent Klara. Elle meurt, en donnant naissance à une fille. Un deuxième chapitre s’ouvre alors pour Bach qui élève la fillette ; puis un troisième avec l’apparition de Vasska, un garçon orphelin et vagabond. Dans ce roman foisonnant et original, l’auteur mélange les styles avec brio : roman d’apprentissage, univers folklorique, atmosphère fantastique, roman historique. Je me suis laissée happer par l’étrangeté qui habite le récit tout le long du livre et l’univers du conte porté par le personnage principal Bach. Mais le contexte historique est là pour nous rappeler la réalité des événements : la collectivisation en URSS, la persécution des populations, l’exil, ...
Iakhina, Gouzel. - Les enfants de la Volga. - Noir sur Blanc. - Traduit du russe. - 505 p. - 24 €

C’est tout d’abord la couverture qui m’a attirée et je n’ai pas été déçue. Le dépaysement est total. L’intrigue nous transporte dans l'Inde moderne confrontée au problème du trafic de l'ivoire. L’histoire nous est racontée par trois personnages qui entrent en scène alternativement ; l’éléphant qui est un personnage à part entière, nommé le Fossoyeur ; un charismatique vétérinaire qui soigne de jeunes éléphants orphelins, suivi et filmé par une équipe américaine de réalisateurs de documentaires ; Manu, le fils d’un riziculteur pauvre, entrainé par son frère dans ce trafic.
En multipliant les points de vue, l’auteur nous fait appréhender au plus près une réalité pleine de contradictions. Et quelle bonne idée de faire raconter son histoire par l’éléphant lui-même !
Un roman original qui sort des sentiers battus.
James, Tania. - D’ivoire et de sang. - Rue de l’échiquier. - Traduit de l'américain. - 259 p. - 22 €

Vuopio, Finlande, de nos jours. Lors d’un été caniculaire, la Laponie orientale est loin de ressembler aux étendues enneigées que l’on trouve habituellement dans les livres de papier glacé. C’est au contraire un pays de marécages et de forêts, infesté par les moustiques et les créatures magiques. Elina Ylijaako est victime d’une malédiction. Bien que vivant dans le sud du pays, elle est obligée de retourner chaque été dans le nord, dans la maison de ses parents, construite à la lisière de la forêt. Elle a trois jours pour pêcher le brochet du lac Seiväslampi. Dans le cas contraire, elle mourra. Alors qu’Elina parvient, tant bien que mal à pêcher le fameux brochet, un ondin, magnifique créature à la personnalité maléfique, délivre le poisson. Elina va devoir trouver des alliés pour contourner le gardien du lac. Elle ne sait pas que ses voisins du sud l’ont accusée de meurtre. L’inspectrice Janatuinen est sur sa piste ! La pêche au petit brochet est un roman protéiforme : il rassemble les codes des contes folkloriques, du polar et de la fable écologique. C’est une histoire dépaysante, exotique, surprenante et désopilante. Si certains passages se référant au passé de l’héroïne sont un peu plus longs, j’ai adoré la relation qui se développe entre l’inspectrice Janatuinen et le teigon. Leur partie de pêche sur le lac, une situation complètement absurde, m’a fait beaucoup rire. En Finlande, l’auteur a remporté, grâce à ce roman, plusieurs prix littéraires. Un écrivain à découvrir.
Karila, Juhani. - La pêche au petit brochet. - La Peuplade. - Traduit du finnois. - 433 p. - 14 €

Un homme et sa fille -jamais nommés- vivent au fin fond de la forêt, en totale autarcie. Dans une époque indéterminée, la civilisation a disparu et les seuls vestiges qui restent sont des traces de murs subsistant d’anciennes constructions. Ces deux derniers survivants vivent en symbiose avec la nature, profitant de ses ressources, tout en la respectant pour ses bienfaits. La mère est décédée mais son esprit plane sur les lieux. L'homme enseigne à sa fille les techniques indispensables à sa survie. La fabrication d'un arc de qualité représente un acte d'une importance capitale pour assurer leur subsistance. Autant d'occupations formatrices, au contact direct de la faune et de la flore environnantes, qui permettront à la jeune fille d'être autonome. Un ours saura suppléer la disparition du père auprès de la jeune fille et finir son apprentissage, en lui racontant la forêt. Ce roman oscille entre roman d'apprentissage et conte et prend un virage onirique avec l'arrivée de l'ours jusqu'au dénouement à la fois pessimiste et plein d'espoir. Le puma et l'aigle apportent également leur aide à la fille devenue la représentante d'une espèce en voie d'extinction qu'il leur faut protéger... L'Ours est une ode à la nature. Même si le rythme est lent, on est envoûté par les superbes descriptions des paysages. La nature, omniprésente, est un personnage à part entière. Les détails de l’existence des deux personnages favorisent l'immersion et procurent un sentiment de quiétude. Loin de toute forme dystopique, ce retour aux sources rappelle Thoreau ou Fromm. Cette contemplation offre des réflexions sur le deuil, le souvenir et les traces que l'on laisse. Des pages empreintes de poésie, de mélancolie et de magie qui dépeignent la perte, la transmission, mais également l'affection qui unit l'homme à sa fille, ainsi que le courage dont cette dernière fait preuve quand elle se retrouve seule. Un récit intemporel de survie, étonnant et apaisant qui nous invite à réfléchir sur notre rapport à la nature, et l'importance de respecter les êtres vivants.
Krivak, Andrew. - L'ours. - Globe. - Traduit de l’américain. - 160 p. - 20 €

Pour ses dix ans, Roger reçoit un cadeau particulier : un petit frère ! En effet, son père a une double vie. Mais ce qui le fait le plus souffrir, c'est qu'on lui impose Nicolas. Une chambre a été préparée, et l’intrus devient le nouveau membre de la famille. Les deux demi-frères se voient imposés l'un à l'autre. Leur père, malhabile, ne fera qu'accentuer cette blessure. Roger vit comme une trahison l’arrivée de ce demi-frère qui deviendra le réceptacle de toutes les jalousies, et de toutes les haines. Entre eux, il n'y aura jamais de relations fraternelles. A partir de là, se dresse un fossé infranchissable, surtout de la part de Roger. Nicolas devient une rock star et Roger Garde des Sceaux pour un président extrémiste : deux trajectoires séparées, mais le sort les remet face à face. Roger veut laisser son nom dans l’Histoire en étant celui qui rétablit la peine de mort. Porté par une affaire de pédophilie, il mène ce projet à bien. Au-delà de la satisfaction de voir son nom accolé à une loi, il y a la réalité de l'acte, sa cruauté, mais aussi son côté irréversible et c'est ce que l’auteur réussit en nous mettant face aux contradictions : Roger jubile, jusqu'à ce que son frère soit accusé d'un meurtre qu'il jure ne pas avoir commis. Que faire quand la condamnation à mort touche l'un des vôtres ? Comment faire si l’on condamne un innocent et en supporter les conséquences morales ? La rivalité d'un frère sur l'autre se transforme en punition légale dont l'un portera à jamais la marque indélébile. Une tragédie où l'enjeu est la vie ou la mort. La querelle fraternelle devient un enjeu sociétal et moral, une revanche à prendre. Chronique annoncée d’une tragédie familiale, ce roman est juste, vibrant. Avec habileté, Céline Lapertot nous entraîne dans un combat fraternel. Elle engage le débat en distillant des faits qui font évoluer une position que l'on pensait immuable. Les protagonistes réalistes, nuancés, campés sur leurs convictions -pour ou contre- doivent affronter une réalité plus complexe. Différents points de vue sont proposés : le promeneur qui découvre le corps, l'opinion publique, les politiques, les avocats, les collaborateurs, les condamnés. Chaque personnage est une facette de la tragédie qui se joue. Ce n'est pas un réquisitoire, mais une mise en situation qui permet d'appréhender les différentes facettes. L’auteur oblige le lecteur à choisir son camp, entre remords et espérance. Les pages de ce plaidoyer implacable sont efficaces et poignantes. Je ne peux que vous conseiller ce texte remarquable, très bien écrit dont on ne sort pas indemne… Roman percutant, criant de vérité. Ca arrache !!!
Lapertot, Céline. - Ce qu'il nous faut de remords et d'espérance. - V. Hamy. - 213 p. - 18 €

Une adolescente (entre 12 et 18 ans) qui grandit en banlieue parisienne vit une épopée tragi-comique, entre le combat avec son corps, sa relation avec ses parents, son évolution à l'école et ses rêves d'une ascension sociale qui lui permettrait de vivre de l'autre côté du périphérique. Un roman qui aborde plusieurs thèmes très bien menés par l’auteur. Pour commencer, M. Majidi nous raconte l’adolescence d’une jeune iranienne arrivée dans les années 80 à Drancy et son désir d’intégration en France. Puis elle aborde le mal-être des adolescents complexés par le regard méchant, hostile et souvent culpabilisant des autres camarades plus aguerris. Le quotidien de Maryam est raconté avec des touches d’humour qui rendent ce livre malgré tout optimiste. En effet, l'héroïne souvent malmenée par ses camarades et son environnement poursuit ses rêves de découvertes littéraires et du monde qui l’entoure. Ce texte peut plaire aussi bien aux adultes qu’aux adolescents car il soulève de nombreux sujets de société très actuels.
Madjidi, Maryam. - Pour que je m’aime encore. - Le nouvel Attila. - 206 p. - 18 €

Adrien est journaliste spécialisé dans le numérique. Depuis quelque temps, il se sent dépassé par l’évolution technologique. Désabusé par cet univers, le rédacteur s’interroge sur la finalité de son métier. Pour redonner un sens à sa vie, Adrien décide d’écrire sur Gabriel, son grand-père, ancien opérateur de cinéma des années 1920 jusqu’au début du XXIe siècle. 24 fois la vérité de Raphaël Meltz offre une vue d’ensemble de l’histoire du cinéma de ses débuts jusqu’à son apogée et traite de ses évolutions techniques successives. Cet ouvrage, bien documenté, se concentre principalement sur le cinéma muet. Il décrit avec justesse une époque révolue, celles des actualités filmées. Il brosse ainsi le portrait d’un autre cinéma fait d’image brute de la vie en mouvement. En plus, d’effectuer un tour d’horizon historique sur le 7e art, 24 fois la vérité est également une mise en abîme littéraire. Adrien, le journaliste écrit sur Gabriel, l’homme à la caméra. Un chapitre sur deux, correspond à un morceau de son histoire. À travers sa plume, il raconte la vie de cet opérateur d’images qui a traversé le XXe siècle une caméra à la main avec laquelle il a capté l’histoire avec un grand H. Grâce au dispositif mise en place par l’auteur (alternance entre le présent et le passé), le texte d’Adrien prend forme au fil des pages. Les autres chapitres dévoilent la vie d’Adrien de nos jours. Ils retranscrivent ses réflexions et opinions sur notre époque. Malgré une construction intéressante, les parties dans le présent desservent l’histoire et ralentissent le rythme du récit. Les deux principales qualités de cet ouvrage sont qu’elles questionnent la place des images de cinéma dans l’histoire contemporaine et propose une description détaillée de l’évolution technique et esthétique de l’histoire du cinéma. Il s’adresse principalement à un public cinéphile.
Meltz, Raphaël. - 24 fois la vérité. - Le tripode. - 280 p. - 20 €

Dans le Japon du XVIIIe siècle, Oboko, moine bouddhiste, va chez son maître pour devenir poète à la cour. Sur le chemin, son ami Izzi se joint à lui. Les deux poètes sont très différents, mais amis malgré leurs rivalités. Tous deux rencontrent une belle femme Matari, venant de la plus ancienne et noble famille de Samika, perdue dans la tempête de neige. Les moines-poètes sont sous le charme immédiat. Cette apparition presque surréaliste donne une dimension supplémentaire à l’histoire. Matari s’est enfuie pour échapper à la vengeance de son mari, qui s'estime déshonoré et a juré de la tuer. Ce mari jaloux, noir cavalier lancé à ses trousses avec ses samouraïs, est la mort incarnée. Izzi a peur de s’attirer des ennuis à cause de la femme du cousin du seigneur Arishi. Izzi et Oboko, tous deux amoureux, veulent la séduire par leurs poèmes. Les deux hommes qui ne sont pas des guerriers font tout pour la protéger et l'aider à se sauver. L’auteur ne dit pas si Arishi a raison de se sentir bafoué. Nous suivons les étapes de cette tragédie à la fin inexorable. Ce roman raconte une histoire d'amour, d'amitié, de mort, d'espoir et d'honneur dévoyé. C'est un récit sur l'honneur : honneur du poète qui a juré protection d'une femme dont il ne sait rien, du mari qui se pense bafoué, de la femme qui lui résiste. Triangle amoureux, adultère, jalousie, vengeance, sont les thèmes abordés dans ce roman. Huis clos unité de lieu (un temple abandonné où les personnages sont bloqués par la neige), unité de temps, humour et drame. C’est aussi une réflexion sur le détachement pour arriver au bonheur. Une écriture précise et visuelle. Une ambiance poétique et mystérieuse.
Rhinehart, Luke. - Vent blanc, noir cavalier. - Aux forges de Vulcain. - Traduit de l'américain. - 264 p. - 20 €

La narratrice et mère de deux enfants, est toujours éperdument amoureuse de son mari après treize ans de mariage. Il n'a pas de nom, c'est seulement "mon mari". L'expression « mon mari » envahit le texte. La femme décrit son quartier, sa maison. Elle scrute chaque geste de son mari, terrifiée à l'idée qu'il la quitte ou la désire moins, alors qu'elle possède la beauté, deux enfants, une situation d’enseignante et traductrice. Elle estime ressembler à Nicole Kidman, va chez le coiffeur tous les mois et fait du sport pour rester désirable, apprend le savoir vivre avec Nadine de Rothschild ! Les enfants sont à peine évoqués, juste une obligation conjugale dont elle s'occupe que de façon matérielle, l'entièreté de son cœur étant pris par son mari. Forcément, il y a un côté répétitif à lire les plaintes de cette épouse qui ressasse comme un disque sans fin sur Mon mari. Elle n'a qu'un seul objectif : garder son mari et se donne tous les moyens pour y parvenir. On perçoit rapidement que quelque chose cloche : peu à peu, des détails perturbent ce bonheur. Elle s’offusque quand son mari la compare à une clémentine. Elle l’aime comme au premier jour, de manière maladive et égoïste. Une volonté de contrôle absolue, une paranoïa avancée. Le récit bascule lentement vers une forme de folie. Maud Ventura explore les limites schizophréniques d'une femme dépendante affectivement, dans un self-contrôle à toute épreuve, une femme très belle qui décortique tout, où rien n'est laissé au hasard. Chaque jour porte une couleur, ponctué par les chansons que fredonne le mari, ou le montant d’un ticket de caisse. Roman qui se déroule sur une semaine. Aucun style, c'est froid et insipide alors qu'on pourrait s'attendre à un style passionné ! On n’a pas l’impression de lire un roman d’amour. On ne ressent aucune empathie pour cette fausse héroïne. Ses obsessions tournent en rond sans réel fil conducteur qui nous tient en haleine. J'aurais aimé un crescendo, même si le dénouement est assez surprenant. Tout comme cette lectrice Babelio, "Je ne doute pas que ce livre va cartonner et rencontrer son public. (…) De mon côté, j'émets probablement le premier retour mitigé." PRIX DU PREMIER ROMAN.
Ventura, Maud. - Mon mari. - L’Iconoclaste. - 355 p. - 19 €