Sélection de la commission Petits éditeurs - mars 2013

Petits éditeurs BiB92 – Sélection mars 2013

Retrouvez la sélection de la commission petits éditeurs BiB92

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Assani-Razaki, Ryad. - La main d’Iman. - L. Levi. - 326 p. - 20,50 €
En Afrique, des enfants peuvent être achetés à leurs parents pour devenir des esclaves. Grâce à une voiture imposante et une richesse visible, on peut amener une jeune Africaine dans son lit… Ce roman est l’histoire d’Iman, Toumani, Alissa, Hadja et Zainab. Plusieurs générations prennent la parole pour raconter leur histoire, parfois tragique. Toumani a perdu une jambe à cause de l’homme qui l’avait acheté. Il est recueilli par Iman qui vit chez sa grand-mère, Hadja. Sa mère, Zainab, l’a abandonné à son second mariage, car il est le fruit de son amour pour un blanc et donc très mal accueilli par le nouvel époux. Alissa, elle, est l’amour d’enfance de Toumani ; elle aussi a été achetée à sa famille et vit maintenant chez une prostituée. Les voix s’entrecroisent et dressent un portrait de l’Afrique Noire actuelle, où se dessinent en arrière-plan esclavagisme moderne, condition de la femme, misère et cruauté. Par son écriture limpide, Ryad Assani-Razaki nous conduit tout au long du récit vers un dénouement dramatique et implacable. Malgré l’espoir qu’ont les protagonistes de fuir ce quotidien misérable, ils seront sans cesse rattrapés par des forces qui semblent inéluctables : le poids d’une société patriarcale, hiérarchisée, où les jeux de pouvoirs oppriment les plus faibles. Une grande place est également laissée au destin, auquel les héros ne peuvent échapper : c’est d’ailleurs ce que montre l’auteur, quand il fait dire à l’un de ses personnages « On dit que le destin d’un homme est entre ses mains. Mensonge. Souvent, le destin n’est que la pointe d’une lance projetée depuis plusieurs générations ».

Belmont, Stéphane. - La chair du limier. - Les Nouveaux auteurs. - 474 p. - 20 €
Paris, juillet 1888 : un monstre éventre deux prostituées dans le quartier Mouffetard. Les autorités ne bougent pas. Seul l’inspecteur Roche, adepte des nouvelles méthodes d’investigation, mène son enquête pour éviter un carnage et arrêter ce serial killer qui ne craint pas les frontières !
Prix d’excellence ! Confirmé par Jean-François Parot. Un excellent roman qui, bien qu’évoquant un thème rebattu (Jack l’éventreur), séduit son lectorat par une écriture agréable et un suspense distillé par petites touches… Du grand art… A conseiller sans aucune modération !

Bengtsson, Jonas T. - A la recherche de la reine blanche. - Denoël. - Traduit du danois. - 523 p. - 24 €
L'action du roman se situe entre 1986 et 2000, en Suède et au Danemark.
Un petit garçon de six ans vit seul avec son père ; déscolarisé, il apprend ce que son père veut lui enseigner. Observer la forêt devient une leçon de biologie, faire une visite à l'église - un cours de catéchisme, et un tour dans une ville avoisinante - une explication sur la politique. Le père est en fuite, et on suppose qu'il n'a pas de papiers en règle, mais avec courage, il décroche différents jobs qui permettent à tous les deux de trouver un toit et de manger. L’enfant attend le retour de son père en dessinant. Le soir, ils regardent ensemble l'histoire du roi et du petit prince échappant à la reine blanche. Cette histoire les éloigne de la triste réalité qu'ils vivent au quotidien. La relation père-fils reste magique, le père reste un dieu, la seule référence pour le petit garçon.
On retrouve le garçon à l'âge de 16 ans, lycéen, à la recherche du passé ; ensuite, adulte, avec une nouvelle identité, travaillant dans un centre de tri postal. L'image adulée du père reste gravée dans son esprit, malgré l'âge et les circonstances ; la transmission faite dans l'enfance porte ses fruits.
Roman sombre, social, répondant, d'une façon anarchique mais féerique, à la question « qu'est-ce qu'une enfance heureuse ? ».

Berg, Alex. - Zone de non-droit. - J. Chambon. - Traduit de l’allemand. - 283 p. - 23€
Valérie Weymann, avocate à Hambourg est arrêtée à l’aéroport par la police allemande. Suite à de multiples interrogatoires par les agents de la BND (service de renseignement allemand) et de la CIA, elle se rend compte qu’elle est suspectée d’être liée à Al-Qaïda. En effet, sa meilleure amie, Noor al-Almawi, et son ancien amant Safwan Abidi seraient impliqués dans un récent attentat meurtrier à Copenhague.
Lorsque vingt-quatre heures plus tard, une bombe explose dans la gare de Dammtor, causant la mort de plusieurs personnes, Valérie devra servir d’appât pour capturer Abidi, considéré comme l’auteur de ce nouvel l’attentat.
Un roman d’espionnage riche en rebondissements, qui nous plonge dans un univers pas si éloigné de la réalité.

Blondel, Jean-Philippe. - 06 h 41. - Buchet-Chastel. - 231 p. - 15 €
« Le train de 06h41, départ Troyes, arrivée Paris. Bondé, comme tous les lundis matin. Cécile Duffaut, 47 ans, revient d’un week-end épuisant chez ses parents. Elle a hâte de retrouver son mari, sa fille et sa situation de chef-d’entreprise. La place à côté d’elle est libre. S’y installe, après une légère hésitation, Philippe Leduc. Cécile et lui ont été amants vingt-sept ans auparavant, pendant quelques mois. Cela s’est très mal passé. »
L’originalité de cette rencontre réside dans le silence qu’elle instaure, puisque le récit alterne entre les monologues intérieurs des deux passagers : chacun expose sa propre version des faits, ses douleurs durant la relation passée et ses commentaires présents, face au hasard de ces retrouvailles.
Une lecture rapide et agréable.

Bonnelle, Bernard. - Aux belles Abyssines. - La Table ronde. - 181p. - 17 €
En 1939, au moment où la guerre éclate, Pierre Jouhannaud, le narrateur, officier de marine, est aux commandes du patrouilleur l’Etoile-du-Sud, sur les côtes de Djibouti. Il remplace son ami de longue date, Alban de Perthes, retrouvé mort, une balle dans la tête.
Pierre ne croit pas à la version officielle : son ami ne s’est sûrement pas suicidé à cause d’une mission mal menée. Pour connaître la vérité, il se lance dans une enquête qui s’avèrera délicate…
A part l’intrigue policière, le livre transmet une ambiance particulière liée à Djibouti et au colonialisme (couleur locale, exotisme). C’est un roman d’aventures maritimes rappelant ceux de Joseph Conrad (Bernard Bonnelle a été marin pendant plusieurs années).

Borel, Vincent. - Richard W. - S. Wespieser. - 308 p. - 22 €
Ce roman n’est ni une biographie, ni une hagiographie, mais une sorte d’opéra wagnérien qui cherche à saisir ce qui a fait l’essence de cet homme hors du commun. Vincent Borel est critique musical, ce qui explique à quel point il connaît et a intégré l’œuvre immense de Richard Wagner.
Dans ce roman, nous suivons le musicien à travers la naissance douloureuse de ses opéras, de ses problèmes d’argent permanents, de ses engagements avec différents princes ou rois, de sa relation intense avec Louis II de Bavière, de ses rencontres avec des personnages extrêmes, comme Bakounine et Nietzsche et ses nombreuses amours.
De sa première femme, Minna jeune actrice, il passe à Cosima, fille de Listz et épouse de son chef d’orchestre qui fera preuve de grandeur d’âme face à cet amour. Elle eut un rôle important dans son travail, et lui donna trois enfants nommées du nom de ses héroïnes mythiques (Isolde, Eva et Siegfried). Il eut aussi d’innombrables amourettes.
Le fil conducteur est la création musicale et le désir de concevoir un lieu ouvert à tous pour découvrir la musique. Tout est grandiose dans le personnage, et l’écriture de Vincent Borel, dans ses excès lui rend hommage. Grandes phrases, innombrables adjectifs, immense connaissance de l’œuvre, pas de dévotion, mais un hommage à cet homme hors du commun.
L’auteur n’omet pas le coté ombre, c’est à dire l’antisémitisme latent et le fait que sa belle-fille ait lié, après sa mort, son œuvre au nazisme.

Couto, Mia. - L’accordeur de silences. - Métailié, Suites. - Traduit du portugais (Mozambique). - 235 p. - 10 €
Mwanito, jeune garçon d'une dizaine d'années, vit avec son père, son frère, son oncle maternel et un militaire dans une contrée apocalyptique. La guerre au Mozambique est terminée et il ne reste plus rien. Le père a choisi d'exiler ses enfants dans un endroit désertique.
Les relations dans la famille se révèlent complexes, cruelles et violentes. Le père bat le plus grand de ses fils pourtant malade. Mwanito, le plus jeune, est celui qui est fait pour se taire, son père aime sa compagnie car elle lui apporte le silence. Un mystère rôde autour de la mère morte. Cette première histoire, familiale, vient rencontrer l'histoire d'une femme blanche à la recherche d'un amour perdu.
Dès les premières pages, nous sommes séduits par les mots poétiques et profonds de l'auteur, qui aborde des thèmes universels : Quand le jeune narrateur Mwanito évoque sa mère : « En fin de compte la terre n'est jamais suffisante pour enterrer une mère », ou encore lorsqu'il parle de son enfance : « ...c'est que je n'avais jamais exercé ma propre enfance, mon père m'avait vieilli dès la naissance... », l'auteur réussit avec quelques mots à exprimer des aspects complexes de la vie humaine et le lecteur, s'y reconnaissant, en est bouleversé.
Les phrases imagées de Mia Couto montrent une humanité blessée, abîmée par la guerre au Mozambique, les amours déçus et la tyrannie, tout cela vu à travers le regard d'un enfant.
Ce récit n'est rien d'autre qu'un chef-d’œuvre dépeignant, avec force et une rare beauté, les tréfonds de l'âme humaine.

Didion, Joan. - Le bleu de la nuit. - Grasset. - Traduit de l’américain. - 232 p. - 19 €
L’auteur a publié, il y a deux ans, un très beau livre L’année de la pensée magique, à propos de son refus d’envisager la mort de son mari. Après la mort de sa fille adoptive, Quintanna, c’est, encore, par l’écriture qu’elle essaie d’exorciser cette disparition.
Ce n’est pas que la douleur de l’absence, c’est une recherche de compréhension de ce que fut cette vie de 34 années, de cette enfant qui ne put en être vraiment une, vivant la vie publique de ses parents avec un naturel déconcertant ; c’est aussi une interrogation sur sa propre vieillesse et sa douleur de la réaliser.
C’est une écriture au plus proche de l’esprit, des sensations, de la douceur des soirs où un bleu émane de la nuit qui tombe dans une douceur que l’on ne veut pas rater. C’est une mosaïque de souvenirs qui vont et reviennent, et lancinent.
Ce n’est pas un bilan, Joan Didion est lucide sur ce que fut sa vie : beaucoup de mondanités, d’hôtels luxueux, de cocktails avec des noms prestigieux, Malibu, New-York. L’acceptation que sa fille soit « trouvée » par sa famille biologique. Le mal-être constant de cette dernière, alcool, drogue et quête du bonheur… Bilan d’une vie, en s’écoutant un peu trop écrire certes, mais d’une immense sincérité.
« Je sais ce qu’est cette fragilité, je sais ce qu’est cette peur. C’est la peur de ce qui reste à perdre » (Keats).

Genetet, Eric. - Et n’attendre personne. - H. d’Ormesson - 154 p. - 15 €
Alberto et Isabella sont en couple depuis plus de 20 ans, ils s'aiment et le temps ne semble pas avoir usé leur amour. Mais bientôt Manuel, leur fils, annonce qu'il part s'installer à New-York. Isabella, heureuse de cette nouvelle, voit là l'opportunité de re-dynamiser sa carrière, mais Alberto qui se sent seul est perdu.
Le lecteur suit avec intérêt le cheminement de cet homme faisant face aux changements dans sa famille et au secret qui entoure la mort de son père, comme si les deux histoires se télescopaient.
Alberto comprend peu à peu, à travers l'histoire de son père, l'homme qu'il est aujourd'hui. Et cela va avoir une incidence sur sa vie de couple avec Isabella.
Récit tout en nuances et en sensibilité, agréable à lire sur la vie d'un individu en plein tourment. Un homme respectueux du choix de sa femme même si son départ le heurte et le bouscule.
Roman épuré et réussi.

Gestern, Hélène. - La part du feu. - Arléa, 1er/mille. - 217 p. - 19 €
A la suite d’un incident mineur, Laurence fait une découverte qui chamboule sa vie, à tel point qu’elle part sur les traces de la jeunesse de ses parents, dont l’engagement politique dans les années 70 est une véritable révélation. Ses recherches la conduisent sur les pas de Guillermo Zorgen, chef de file d’un mouvement d’extrême-gauche, autour duquel se nouent et se dénouent de nombreuses intrigues. Qui était-il réellement ? Quel a été son rôle dans la vie de Laurence ?
Avec son second roman, Hélène Gestern, auteur d’Eux sur la photo, pose de nouveau les questions de la filiation, de la quête d’identité, du poids du passé… le tout savamment orchestré autour de la figure d’un révolutionnaire éminemment charismatique. Un livre qui sait rendre l’ambiance et la complexité de toute une époque (même si le point de vue est bien entendu subjectif), et dont l’enquête principale nous tient en haleine jusqu’au bout.

Haddad, Hubert. - Le peintre d’éventail. - Zulma. - 187 p. - 17 €
A la suite d’un accident le lendemain d’Hiroshima, où il écrase une jeune femme, Matabei décide de se retirer dans une résidence coupée du monde, peuplée d’individus originaux. Il s’attache au fur et à mesure au jardinier, qui allie haïkus et peinture sur des éventails pour décrire la beauté du monde et la vanité des individus. Ayant été instruit de tous ses savoirs, Matabei remplace à sa mort le jardinier, dont il devient le garant de la mémoire. Amours, méditations, tout cela est bientôt bouleversé par un drame…
C’est un récit très sensible, une sorte de « Nature Writing ». Hubert Haddad n’a pas son pareil pour charmer le lecteur par de magnifiques descriptions des jardins et des arbres, de superbes haïkus (en même temps, sort également chez Zulma Les haïkus du peintre d'éventail) et de bouleverser tout cela avec les démons japonais (nucléaire, tsunamis). Une belle écriture très fluide, un petit bijou ! Par un auteur qui n’est jamais allé au pays du Soleil levant !

Halkin, Hillel. - Mélisande ! Quels sont tes rêves ?. - Quai Voltaire. - Traduit de l’américain. - 278 p. - 22 €
C’est l’histoire de trois adolescents passionnés de littérature, dans l’Amérique des années 50, un trio dont l’amitié déborde, peu à peu, vers l’amour. Entre Hoo, le mesuré, et Ricky, au caractère entier, Mélisande choisit ce dernier. Mais Ricky part assouvir sa quête de spiritualité dans un ashram et en revient transformé. Finies l’insouciance et la quête de soi, Ricky met fin à ses jours, et Hoo et Mellie se marient.
La forme du roman est une longue missive pleine d’amour adressée à Mellie après leur séparation, une réflexion sur leur vie et ses aléas, et sur la notion de bonheur que l’on perd, mais que l’on peut retrouver, dans une vie plus mature. Un désir de pardon et de rédemption.
C’est le premier roman du traducteur d’Amos Oz et d’autres romanciers israéliens, âgé de 73 ans. C’est remarquablement écrit et tissé, entremêlant des contes symboliques et des échanges de lettres. C’est très cultivé, mais les acteurs sont des littéraires… L’histoire est amenée joliment, avec ce qu’il faut d’amertume, et ce qu’il convient de légèreté.

Hill, Casey. - Tabou. - Les Escales, Les escales noires. - Traduit de l’anglais (Irlande). - 341 p. - 22,50 €
Ce roman policier se déroule à Dublin. L’enquête est dirigée par la police scientifique. Bien -mais trop ?- de détails sur le travail de la police, sur les cadavres que l’enquête découvre. L’héroïne Reilly, chef d’équipe d’un centre médico-légal, possède un sixième sens afin de détecterr les failles ; toujours à la recherche du moindre indice. Cela traîne un peu en longueur.
Pour les férus de polars qui ont déjà exploré bien des enquêtes.

Hossan, Eric / Vieille, Thierry. - Dans l’ombre du jaguar. - Les Nouveaux auteurs. - 404 p. - 18 €
Katherine Krall est une jeune entomologiste de renom, qui travaille pour la sauvegarde de l’environnement. Lors d’une mission en Amazonie, un chaman indien vient lui demander secours, car sa tribu est décimée par une curieuse organisation médicale, avide de son savoir ancestral. Katherine embrasse cette cause, ce qui la mène au cœur d’une enquête dangereuse aux quatre coins du monde : de l’Amazonie à Monaco, en passant par Londres, Venise, Belfast…
Un roman d’aventures à la lecture agréable et fluide, bien rythmé par les rebondissements et au suspense bien dosé. Un thème également intéressant : l’écologie.

MacKay, Malcom. - Il faut tuer Lewis Winter. - L. Lévi. - Traduit de l’anglais. - 238 p. - 17 €
Calum habite Glasgow où il exerce la profession de tueur à gages : ne laissant rien au hasard, indépendant, il refuse de faire partie d’une organisation. Prudent, minutieux, rigoureux et discret, pas de folie des grandeurs, pas de mœurs dépensières, ni de goût de luxe… Monsieur Tout-le-Monde en somme. Alors qu’est-ce qui cloche sur le contrat Lewis Winter ?
Une magnifique découverte : le sieur Mackay n’a pas son pareil pour allécher les amateurs de polars avec un personnage on ne peut plus transparent ! Le meilleur tueur à gages est celui qui ne se fait jamais prendre, ni par une organisation quelconque, ni par la police… Calum est ordinaire, mais rigoureux dans son travail. Voilà pourquoi à 28 ans, il est le meilleur. D’où des soucis, les gens sont si envieux !
Du grand art, un chef-d’œuvre d’humour à froid, le genre british, noir, sans sucre. On en redemande !

Mitford, Nancy. - Tir aux pigeons. - C. Bourgois. - Traduit de l’anglais. - 204 p. - 17€
Au tout début de la Seconde Guerre mondiale, à Londres, Sophia Garfield rêve d’être une séduisante et redoutable espionne au service de sa patrie. En attendant, elle participe à l’effort de guerre en s’enrôlant dans un centre de soins, où pour passer le temps, les exercices se multiplient. Cette aristocrate, un peu naïve, est très à l’aise dans son milieu, entourée de son mari, de son amant, de ses amis, et surtout de ses ennemis. Finalement, l’aventure commence alors qu’elle ne l’attendait plus ! Ce roman très plaisant nous dépeint l’image d’une époque avec un trait d’humour bien dosé.

Montero, Rosa. - Instructions pour sauver le monde. - Métailié, Suites. - Traduit de l’espagnol. - 272 p. - 10 €
Quatre paumés de la vie voient leur destin se croiser dans ce roman plutôt désespérant.
Matthias, chauffeur de taxi, a vu sa vie basculer à la mort de son épouse adorée. Il survit dans sa maison en construction et travaille comme un zombi, la nuit. Au petit matin, il rencontre Cerveau au bar de l’Oasis. Cerveau, grande famille, grand prof de fac, grande déchéance, a vu sa vie basculer après un scandale, sans oublier le franquisme, se tue à petit feu en buvant, mais tient des théories sur la survie du monde. On y trouve aussi, Fatma, qui après avoir vécu l’indicible au Nigéria, trouve la vie acceptable au bordel à côté. Et il y a Daniel, le médecin urgentiste, que sa femme ne supporte plus. Cause ou conséquence, il vit dans la virtualité de « second life » sur Internet. Dans la banlieue misérable de Madrid, ce petit monde va voir, au fil d’une intrigue improbable, se croiser. Pour chacun, il y aura une possibilité de rédemption à prendre ou non, selon son choix.
Finalement, pas si désespérant que ça, ce roman qui dans ses instructions propose de ne pas laisser passer la chance quand elle passe, mais chacun est libre et a, au fond de lui, une capacité au bonheur.
Dans ce roman drôle et généreux, chaque personnage est laissé à son libre arbitre. À la fin, certains destins seront infléchis.
Une écriture tonique, descriptive, je n’irai pas jusqu’à dire philosophique !

Montero, Rosa. - Des larmes sous la pluie. - Métailié. - Traduit de l’espagnol. - 401 p. - 21 €
L’action se déroule en 2109, dans les Etats-Unis de la Terre. Bruna est un réplicante, une techno-humaine de combat, seule et inadaptée. Elle est engagée pour mener l’enquête au sujet des réplicants qui meurent brutalement de crises de folie meurtrières, tandis que quelqu’un corrige les Archives Centrales de la Terre pour instrumentaliser l‘histoire de l’humanité. Bruna est prise par le temps, les réplicants n’ayant qu’une espérance de vie de dix ans.
Un thriller futuriste assez agréable à lire. Pour les amateurs de SF.

Mucha, Martin. - Tes yeux dans la ville grise. - Asphalte. - Traduit de l’espagnol (Pérou). - 192 p. - 16 €
Jeune étudiant métis, Jeremias traverse chaque jour la capitale péruvienne et observe ce qui l’entoure. Cette promenade nostalgique dans le Lima des années 90 marque pour le héros une sorte de rite initiatique, celui du passage à l’âge adulte.
Ecrit en « exil », ce livre, d’une rare intensité, traîne une ambiance triste, du noir à l’âme. Nous sommes loin des images d’Epinal qui émaillent les guides touristiques. C’est le vrai Lima que l’on découvre, celui où riches et pauvres se côtoient violemment, celui de l’argent, qu’il soit « propre ou sale », des malfrats de tous acabits, des étudiants rêveurs, des trafiquants, des petites gens harassées de misère…
Le récit se compose de deux parties : le journal de bord de Jeremias, et les témoignages de ses proches. Chaque partie, chaque « auteur » a son propre style. C’est assez réussi, mais si désenchanté…
Journaliste et écrivain, l’auteur est né en 1977, son écriture tient à la fois de la randonnée pédestre et du scalpel. Quelle maturité, quel désespoir aussi ! Mucha est assurément un auteur péruvien (littérature méconnue en Europe), dont le nom est à retenir !

Nguyen, Hoai Huong. - L’ombre douce. - V. Hamy. - 159 p. - 15 €
Ce beau roman met en scène deux personnages très touchants, dans l’enfer de la guerre d’Indochine, en 1954.
Après avoir perdu leur mère très tôt, ils ne sont pas parvenus à se conformer à ce que la famille attendait d'eux. Mai, fille d’un notable, a grandi au Couvent des oiseaux, à Hanoï, où elle a acquis une liberté intérieure qui lui a permis de s’opposer au mariage arrangé par sa famille. Yann est resté longtemps l'enfant chétif d'une famille de paysans de Belle-Île en mer et s’est engagé. Leurs deux solitudes se rencontrent, lors d’un séjour à l’hôpital de Yann, blessé au combat. Un amour total naît entre eux, pur et absolu.
Mais, Yann est obligé de retourner au front. Là, il va vivre l’enfer de Dien Bien Phu. Le récit de la bataille, la description des positions françaises, l’angoisse qui étreint les soldats sont admirablement décrits comme dans un songe halluciné et sans commentaires. Pour l’auteur, ce n’est pas la peine d’épiloguer.
Yann est fait prisonnier et Mai se sacrifie pour le libérer. Mais c’est en vain ; elle ne peut y survivre et, comme un zombi, Yann rentre au pays.
Dans une langue à la frontière de la prose et de la poésie, l’auteur s’attache à l’essence de cette rencontre de deux personnages si étrangers l’un à l’autre, et si proches dans leur sensibilité. Malgré l’action, on entre dans le monde contemplatif de cet amour, qui s’est nourri du rêve de vivre ensemble et de guérir ensemble des blessures de l’enfance.
Auteur à suivre de très près. L’écriture est une merveille, tout en retenue et profondeur.

Pochon, Catherine. - Deuxième femme. - Buchet Chastel. - 315 p. - 16 €
Hortense déprime, suite à une rupture sentimentale. Elle est retournée vivre quelque temps chez ses parents, à Caen, et va régulièrement chez son psy. Elle grignote en pensant à Moussa Safara, qui l’a quittée. Anna-Maria, une amie, lui propose de la rejoindre à Ouagadougou (Burkina-Faso) pour assister au Fespaco, un festival cinématographique. La voilà donc partie !
Sur place, elle rencontre Seydou, un réalisateur sénégalais, poète à ses heures. Très vite, ils entretiennent une liaison ; il se dit amoureux, elle aussi. Ils veulent se marier avec elle, Hortense ne veut plus rentrer en France. Elle choisit de le suivre au Sénégal contre l’avis de ses parents. Rien ne peut leur arriver !!! Et pourtant…dans la maison familiale, au milieu de la mère, chef de « tribu », des frères, des sœurs, des nombreux neveux et nièces, elle découvre Awa, la femme, la première femme, Djibril, leur fils et surtout, le deuxième enfant en route. Elle doit apprendre à vivre avec, ils se marient tout de même, et Hortense devient la deuxième femme, la femme blanche, riche. Elle les entretient tous, ses économies partent en fumée. Arrivera-t-elle à supporter ? Va-t-elle devenir une vraie Sénégalaise en boubou ? Le partage deux jours sur deux de Seydou avec Awa ne sera-t-il pas trop difficile ?

Ravey, Yves. - Un notaire peu ordinaire. - Minuit. - 106 p. - 12 €
Dans un village, Martha Rebenak, veuve, élève seule ses deux enfants. Le fils est gardien, sa fille, un peu délurée, passe son temps à se prélasser au bord d’une rivière, sous le regard indiscret des villageois…
Martha apprend qu’un de ses anciens employés, qui a purgé une peine de quinze ans de prison, pour le viol d’une enfant, veut revenir au village. Elle décide alors, d’en parler à Maître Montussaint, le notaire… Dès lors, une tension palpable s’installe dans ce bourg paisible.
Un roman bref, très bien mené, qui n’est pas sans rappeler les atmosphères pesantes et provinciales de Simemon ou Chabrol, au cinéma. Un texte qui se lit d’une traite. La qualité première d’Yves Ravey est d’employer la forme narrative. C’est le fils de Martha qui raconte sa version de l’histoire, sa vision des faits. Il dévoile peu à peu, ses peurs ses doutes, ses secrets. Même si cette forme n’est pas originale, elle prend ici toute sa dimension et son intensité dramatique.

Remmert, Enrico. - Petit art de la fuite. - P. Rey. - 235 p. - 18 €
Ils ont trente ans, ils sont Turinois, ils sont trois : Vittorio, violoncelliste, hypocondriaque, amoureux de Francesca qui ne sait pas comment lui dire qu'elle le quitte ; Francesca, vétérinaire-stagiaire, amoureuse d'un vétérinaire, mais peut-être pas tant que ça ; et Manu, monitrice d'auto-école le jour, danseuse dans un bar la nuit, poursuivie par un ex aussi furieux que son doberman est féroce...
Ils décident d'entreprendre un long voyage qui les mènera jusqu'à Bari, dans le sud de l'Italie. Les deux autres participants de ce road-movie sont le violoncelle et la Baronne, une vieille Fiat Punto d'auto-école, qui fêtera son anniversaire durant le trajet : 250 000 kilomètres au compteur !
Petit art de la fuite est un roman polyphonique, où chacun donne son propre ressenti de l'instant, créant dans le récit des dissonances souvent très drôles. Enrico Remmert sait jouer avec légèreté sur plusieurs registres. Au cours de ce voyage initiatique, Vittorio, Francesca et Manu tenteront de donner un sens à leur vie et à leurs rêves.
Il est des récits qui rendent heureux... Petit art de la fuite est l'un d'eux.

Revel, Serge. - Les frères Joseph. - Le Rouergue. - 296 p. - 20 €
Début de l’été 1914, la famille Trilloux (grands-parents, parents et leurs quatre garçons), se prépare à rentrer les foins. Les informations sont alarmantes, la guerre ne semble pas loin.
Quelques semaines plus tard : Alphonse, Louis et Pierre quittent leur campagne, la fleur au fusil. Pendant qu’ils éprouvent la peur, la mort, le désespoir, les plus vieux et les plus jeunes essaient de vivre.
Écrit à partir des notes de son grand-père blessé à Verdun et des lettres de poilus*, Serge Revel écrit un roman où la guerre est meurtrière et parfois joyeuse, où les hommes sont blessés et meurtris par elle ou par la vie, où les femmes respirent au rythme des besoins pour survivre et attendent. Chacun des frères aura un destin à lui, résumant à eux seuls les drames qu’ont engendrés ce conflit.
Ce roman poignant, limpide dans son écriture, est une œuvre qui rappelle s’il en est, qu’une guerre détruit plus qu’elle ne construit.
Pour ados également.
•    Cf sur la même construction : Nathalie Bauer : Des garçons d’avenir, P. Rey.

Riol, Raphaëlle. - Amazones. - Le Rouergue, La brune. - 200 p. - 19€
Alice, révoltée par l’ambiance de la maison de retraite où vit sa grand-mère, s’enfuit à la campagne avec celle-ci, Alphonsine, 89 ans, qui l’a suppliée de l’emmener. Grande échappée de deux femmes à deux âges de la vie. Chacune a un lourd passé de femmes qui ont subi en se rebellant. Même Alice, du haut de ses 30 ans, dont elle ne sait que faire.
Les familles sont à leurs trousses, mais aucune n’est sous tutelle, donc elles sont libres et partagent cette échappée qui, de Caen les mènera à Marseille, où Alphonsine retrouve sa vieille amie, devenue une vieille putain et peintre qui s’assume, « épave hurlant à l’hédonisme » pour Alice !
Alphonsine et ses amies avaient créé leur club des Amazones, pour échapper à leur petite vie de femmes de notables de province, et Alice, sur les tréteaux de la fête du lycée s’était entaillé un sein ! Le parallèle entre le destin de cette femme âgée qui a vécu l’époque de la femme bourgeoise soumise, surtout au devoir conjugal, et cette jeune Alice est intéressant car on pourrait penser qu’elle a ses atouts en main, sa liberté financière et corporelle. Mais elle est encore figée dans la gangue familiale, et les exemples de réussite familiale de sa sœur. Que veut-elle vraiment ?
C’est un livre mené tambour battant, féministe, sensuel. Les évocations de l’enfance d’Alice sont touchantes, elle a enterré ses poupées, mais elles sont toujours là. Le passé vous rattrape. À quoi veut-on désespérément échapper ? Heureusement, un second degré et beaucoup d’ironie (mordante) allègent le sujet qui traite de la vieillesse, de la condition féminine et du sens de la vie.

Soares, Jô. - Les yeux plus grands que le ventre. - Deux terres. - Traduit du portugais (Brésil). - 220 p. - 20 €
En 1938 au Brésil pendant la dictature, quatre grosses femmes sont assassinées après avoir commis le péché de gourmandise. Charon, surnommé ainsi par sa mère en hommage au nocher chargé de mener les âmes en enfer sur sa barque, est directeur des pompes funèbres Styx, mais aussi le tueur en série. Il s’amuse à tuer ses victimes en leur faisant manger des pâtisseries portugaises de sa fabrication.
Pourquoi ont-elles été tuées ? Quel est le point commun entre elles ?
Francisco Ferreira, chef de la police militaire, découvre les quatre cadavres de femmes nues, suspendues, avec une boule de papier dans la bouche. Le commissaire Mello Noronha est chargé de « l’affaire des Etouffées ». Il reçoit l’aide d’un ancien inspecteur, reconverti dans la pâtisserie. Diana de Souza, journaliste, se joint également à eux. Mais un cinquième cadavre est retrouvé avant que la police n’ait trouvé une piste.
L’histoire est saupoudrée de recettes de desserts et de sentences latines. Polar fantaisiste et illustré, qui sort de l’ordinaire.

Weil, Sylvie. - Chez les Weil : André et Simone. - Phébus, Libretto. - 210 p. - 9 €
Lourd héritage, que d’être fille d’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle et nièce d’une grande philosophe, juive, convertie au catholicisme, sans être pourtant baptisée !
L’auteur raconte sa famille sur plusieurs générations, ses traditions qui ont perduré dans le monde moderne, leur exil aux États-Unis pendant la guerre. Sa vie, élevée par ses grands-parents à Paris, car son père, en raison de sa désertion en 1939, ne trouve de poste que dans les grandes universités américaines. C’est un récit au plus proche du quotidien et de ses petites mesquineries, disputes, incompréhensions, mais aussi, de l’amour qui a circulé entre tous les membres et le lien avec la tradition juive revisitée.
Dur pour Sylvie, brillante universitaire d’être réduite à la « nièce de », le « tibia de la Sainte », dit-elle ! Emouvant de voir ses grands-parents recopier sur des cahiers tous les écrits de Simone après sa mort, émouvant quand elle va rendre visite, comme en prison, à sa famille après moult signatures et presque fouille au corps, rangée dans des boîtes à la BN où elle dérobe un carnet…
C’est une lecture dynamique, humaine, pleine d’humour, parfois sarcastique, pleine de tendresse pour les siens. Petits détails, les bérets légendaires, souvenirs plus lourds. Sa relation au souvenir de sa tante, morte au sanatorium à 37 ans, est très ambivalent et, un doute est soulevé. Est-ce un fantasme ? Un bonheur de lecture d’une écriture incisive et enlevée.

Weller, Lance. - Wilderness. - Gallmeister. - Traduit de l’américain. - 334 p. - 23,60 €
1899. Abel Truman est un vieil homme vivant dans une cabane sur une plage de la côte Nord-Ouest des États-Unis. Il vit seul avec son chien, rongé par ses souvenirs. Ce sont eux qui vont le pousser à partir « à l’aventure ». Dans son périple, il rencontrera de nombreux personnages, dont la violence de certains contrastera avec la générosité des autres.
Le récit alterne avec les terribles souvenirs d’Abel sur la guerre de Sécession, notamment lors de la très meurtrière bataille de la Wilderness (forêt particulièrement sombre en Virginie), et les horreurs sans nom, les amis perdus, des aides inespérées… C’est le tableau très précis d’une guerre qui nous est dressé ici, à travers la vision d’un New-yorkais enrôlé chez les sudistes, car il était du mauvais côté de la frontière au mauvais moment.
Un premier roman très réussi, à la fois instructif et poignant, dans lequel on découvre un homme hanté par ses souvenirs et le cauchemar d’une guerre, mais qui garde la volonté de survivre -parfois avec humour- jusque dans ses derniers instants.

Zimler, Richard. - Les anagrammes de Varsovie. - Buchet-Chastel. - Traduit de l’américain. - 343 p. - 22 €
Varsovie, 1940 : le Docteur Erik Cohen, psychiatre à la retraite, vit, ou plutôt survit dans le minuscule appartement qu'il partage avec sa nièce, Ewa, et le fils de celle-ci, Adam. L'horreur est quotidienne, les cadavres décomposés jonchent le sol sans que personne ne s'en émeuve plus. Il faut lutter contre la faim, contre le froid, et contre la cruauté.
Erik est très attaché à son jeune neveu, petit garçon espiègle et téméraire, et qui connaît comme sa poche le labyrinthe du ghetto.
Un jour, Adam disparaît. Son corps est retrouvé sur les grilles qui forment l'enceinte du ghetto. L'une de ses jambes a été sectionnée. Brisé, Erik décide d'enquêter...
De multiples rebondissements émaillent cette enquête passionnante jusqu'à son dénouement.
Richard Zimler, d'une écriture précise, sensible et fluide, nous fait vivre au rythme du ghetto, décrivant sans tabous la barbarie, avec une sorte de détachement qu'il finit par nous faire partager, comme si le mal était normal, comme si, en quelque sorte, l'être humain était capable de s'acclimater au pire.