Sélection petits éditeurs mars 2014

Petits éditeurs BiB92 - sélection mars 2014

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Petits éditeurs Bib92 – Sélection mars 2014

AUDIN, Michèle. - Cent vingt et un jours. -Gallimard, L’Arbalète. - 198 p. - 18€

L’auteur mathématicienne et membre de l’Oulipo publie son premier roman.
Chassés-croisés de destins, au travers d’un récit construit comme un puzzle avec des journaux intimes retrouvés, des extraits d’entretien, des articles de presse, des documents d’archives, des lettres, des photographies, des nombres, des témoignages et des notes d’historien. Des destins différents : Mortsauf, gueule cassée, collabo pendant la SecondeGuerre mondiale, Robert Gorenstein mathématicien enfermé dans un asile pour l’assassinat en 1917 de plusieurs membres de sa famille, Mireille et André déporté qui ne reviendra pas des camps nazis.
Le fil rouge de toutes ces destinées est l’amour des mathématiques.
Voyage passionnant au pays de ces élites intellectuelles parfois compromises dans l’Allemagne nazie et l’Europe occupée.

AZEVEDO, Francisco. - La recette magique de Tante Palma. - Autrement. - Traduit du portugais (Brésil). - 424 p. - 21€

Antonio, âgé de 88 ans, nous livre ses secrets de famille. Une famille avec ses joies, ses peines, ses problèmes.
L'originalité de cette famille est le riz béni (qui apporte bonheur et fertilité) offert en cadeau de mariage aux parents d'Antonio par la tante Palma, une tante omniprésente. Ce don rythmera les joies et désespoirs de toute la famille sur quatre générations, entre le Portugal et le Brésil. Cent ans plus tard, Antonio cuisinera ce riz aux vertus saisissantes.
Pour lui, la famille est un plat difficile à préparer.C'est comme pour les recettes, attention aux dosages. Antonio, tel un grand chef, a su utiliser les bons ingrédients et les bons dosages.
Une magnifique leçon de vie et d'amour. Un vrai régal de lecture !
Premier roman, best-seller au Brésil.

BENNETT, Alan. -La dame à la camionnette. -Buchet Chastel. - Traduit de l’anglais. - 126 p. - 9€

Miss S. vit dans sa camionnette depuis de nombreuses années. Ayant conduit d'ex-véhicules militaires, elle se sent dans son univers. Prise pour cible, elle subit la violence, elle dérange, sans jamais porter plainte. Proche de tous les excentriques du quartier, elle s'engage contre l'ordre imposé.
L'auteur, indigné par les agressions sadiques et intolérantes, finit par accueillir la vieille dame dans son jardin.Une drôle de relation se crée alors entre les deux, chacun veille sur l'autre en gardant ses distances ; l'amitié non envahissante mettant l'autre en confiance.
Ce récit -portrait d'une femme rebelle, remplie de convictions-, est très humaniste, avec une petite once d'humour.

BORDES, Lucie. - Décorama. -L. Lévi. - 160 p. - 14,50€

Lorsque vous vivez dans une ville, au bord de la Méditerranée, tout le monde vous envie d'être en permanence en vacances et, en plus, si votre immeuble a une vue imprenable sur la mer, vous finissez par vous sentir privilégié et vous vous attachez à votre quartier à vie.
La municipalité où vit Georges, faisant venir de nouveaux promoteurs, se soucie peu de l'avis des habitants vivant dans des anciens immeubles, en multipliant des chantiers en vue de nouveaux complexes immobiliers.
Georges, ex-agent immobilier, agacé par les spéculations de ses parents et le béton qu'il voit apparaître partout, trouve un abri : il devient gardien du cimetière municipal. De sa loge, il observe le quartier, en travaillant dans le calme ; il rencontre ses anciennes connaissances. Il se sent proche de ceux qui passent au cimetière, de ceux qui y sont enterrés.
Ce second roman de Lucie Bordes est une fable écologique, très photographique, démontrant les rapports entre les hommes et leurs lieux de résidence remplis de souvenirs...

CARTWRIGHT, Justin. - L’argent des autres. - J. Chambon. - Traduit de l’anglais. - 480 p. - 23€

Victime de plusieurs AVC, Sir Harry Trevelyan-Tubal, à la tête de la très prestigieuse et très ancienne banque familiale qui porte son nom, vit ses derniers instants dans sa propriété d'Antibes, assisté dans ses moindres gestes par la fidèle Estelle, au service de la famille depuis de nombreuses années. Il ignore que son univers est en train de s'écrouler, son précieux yacht bientôt vendu, sa banque presque ruinée par des investissements hasardeux voire frauduleux de son fils Julian, sa jeune épouse, comédienne sans talents, dans les bras d'un moniteur de sport. C'est toute une onde de choc qui se propage, déstabilisant chacun, redistribuant les rôles, bouleversant les liens familiaux.
Julian Cartwright décrit, avec élégance et beaucoup d'humour, une société façonnée par l'argent, le pouvoir, la réussite, ayant le sentiment d'appartenir à une caste supérieure bénéficiant de justes privilèges. Et pourtant, rien ne comble davantage Fleur, la jeune épouse volage de Sir Harry, que les furtives étreintes de son moniteur de sport dans les vestiaires, tandis que Julian, investisseur malchanceux, n'aspire plus qu'à la banalité d'un quotidien très ordinaire. C'est subtil et féroce.

DIAMANT, Nadine. - L’entaille. - La Grande ourse. - 135 p. - 15€

L’entaille que se fait la narratrice au début du roman active un processus de remémoration d’épisodes vécus. Ceux-ci sont le plus souvent pénibles et douloureux et toujours en lien avec la famille ou le couple : un frère toxicomane, un beau-père incestueux, un mari violent… En évoquant ses fantômes, la narratrice nous fait comprendre qu’elle a toujours été tiraillée entre attirance et répulsion face à ces différents hommes. Elle semble vouloir nous montrer qu’il est possible de surmonter les épreuves de la vie et de laisser cicatriser les plaies, même les plus profondes.
Néanmoins, l’accumulation des difficultés peut donner au lecteur l’impression que le récit s’enlise et n’aboutit pas à grand-chose. Bien écrit, l’on pourrait toutefois se demander si tout est vraiment crédible…
Petit roman agréable, sans toutefois entrer dans la catégorie des incontournables.

DUONG, Thu Huong. - Les collines d'eucalyptus. - S. Wespieser. -Traduit du vietnamien. - 779 p. - 29€

Pourquoi Thanh est-il au bagne, protégé par Cu Den ? Comment ce jeune sans problèmes a-t-il pu être condamné aux travaux forcés ? Si Thanh est un enfant choyé, doué pour les études, son destin bascule quand il prend conscience qu’il est homosexuel et qu’il rencontre Phu Vuong. Avec ce jeune marginal pervers, il quitte son village pour Dalat puis Saigon. Malgré des rencontres bienfaisantes, mais honteux de sa lâcheté et de sa faiblesse, Thanh va se taire et aller en enfer. Pour un jour en sortir…
C’est dans le Viêt-Nam des années 80, dans ce pays bouddhiste où les homosexuels sont relativement bien acceptés, que Duong situe son roman :récit initiatique, construction atypique, subtile et efficace, qui surprend mais ne gêne en rien le fil de l’histoire, style flamboyant, description des paysages parfumés et colorés, personnages vivants, attachants. Duong, dans ce roman, est au sommet de son art. J’ai lu les 780 pages sans en lâcher une seule, du grand art !

FRAYN, Michael. - Bienvenue à Skios. - J. Losfeld. - Traduit de l’anglais. - 327 p. - 23,50€

Bienvenue à Skios, petite île grecque, où le ciel est d’azur, la mer est bleue, mais où les participants à un colloque organisé par la riche fondation américaine Fred Toppler vont en voir de toutes les couleurs !
Une fois par an, s'y retrouvent des universitaires, des scientifiques et des religieux pour s'interroger sur l'avenir de l'humanité. Malgré un programme bien préparé, une erreur de bagages va perturber le bon déroulement des événements.
A son arrivée à l’aéroport, Oliver Fox, un jeune homme séduisant qui venait passer ses vacances, sera pris pour l’éminent professeur Norman Wilfred. Quant au professeur Wilfred lui-même, il sera conduit en taxi dans la villa isolée où Fox devait se rendre ! Rebondissements et quiproquos vont se succéder.
Si endosser la personnalité d'un autre n'est pas facile, tenir une conférence sur un sujet inconnu et pointu l'est encore moins.
Une comédie anglaise burlesque.

GAMBOA, Santiago. - Prières nocturnes. - Métailié. - Traduit de l’espagnol (Colombie). -310 p. -20€
Accusé de trafic de drogue et emprisonné à Bangkok, Manuel, étudiant colombien en philosophie, risque la peine de mort s’il ne reconnaît pas sa culpabilité. Sa seule préoccupation est de revoir sa sœur, disparue. Touché par son histoire, le consul de Colombie, se lance à la recherche de la jeune femme pour convaincre Manuel de lutter malgré tout…
Le narrateur ressemble beaucoup à l’auteur : comme lui, il est né à Bogota en 1965 ; comme lui, il est diplomate et a travaillé en Inde et en Asie. L’intrigue oscille entre le huis-clos poisseux des prisons thaïlandaises et les horizons dégagés de la péninsule indienne, entre les masures des familles étriquées du bas Bogota et les cocktails des missions diplomatiques.
C’est un livre poignant qui relate une histoire tragique. La psychologie des personnages est finement ciselée dans un contexte particulier, dans lequel rien ne semble évident. Il faut se méfier des apparences, des solutions trop simplistes. La joute oratoire, qui oppose les deux protagonistes, l’étudiant philosophe et le consul désabusé, est assez jubilatoire… Une belle écriture !

GIBBONS, Stella (1902-1989). - Le bois du rossignol. - H. d’Ormesson. - Traduit de l’anglais. - 556 p. - 23€
Dans un petit village anglais de l'Essex demeurent deux familles de notables : les Wither et les Spring,les premiers conservateurs et puritains, les seconds plus modernes et souhaitant profiter des plaisirs de la vie.
Jeune veuve, Viola Wither va devoir quitter Londres pour venir habiter chez ses beaux-parents, qui l'accueillent par charité. Pour ce couple âgé Viola est trop jeune (21 ans) et trop jolie. Elle ne correspond pas à l'idée qu'ils se font d'une belle-fille, d'autant qu'elle n'était qu'une simple vendeuse, donc peu digne de leur rang social.
Les différentes classes sociales sont bien analysées, chaque personnage est décortiqué. On y trouve des ressemblances avec le style de Jane Austen, Elizabeth Gaskell.

GRAND, Emmanuel. - Terminus Belz. - L. Lévi. - 365 p. - 19€
Ukrainien, immigré clandestin, Marko, poursuivi par la mafia roumaine, se réfugie sur Belz, île au large de Lorient, coupée du monde. Mais l’accueil est plutôt rude. L’embauche est rare, les marins n’acceptent pas les étrangers. De curieuses histoires agitent le port : les hommes redoutent les signes de l’ange de la mort. Pour Marko, les vieilles légendes peuvent être aussi dangereuses que les flingues des mafieux.
Attention : chef d’œuvre ! Il y avait le polar avant Terminus Belz et il y a le polar après. Pour son premier roman, Emmanuel Grand marque les esprits en tricotant avec brio un huis clos inquiétant et une course-poursuite haletante, Il mène son thriller d’Est en Ouest à un train d’enfer.
Emmanuel Grand use d’un style précis, sans pathos excessif, pour évoquer la tragédie du trafic d’êtres humains sous toutes ses formes : trafic des clandestins exploités par les mafias, monde obscurci du travail, attaqué par le système ultralibéral. L’homme devient une marchandise, le travail n’est plus valorisé, l’humain se transforme en statistique.
Sur Belz, île battue par les vents, Marko va devoir affronter son destin, les Iliens vont devoir affronter les cruelles réalités d’un monde de plus en plus inhumain. Du Grand art !

GROSS, Gwendolen. - Elle a disparu. - L. Lévi. - Traduit de l’américain. - 270 p. - 20€
Linsey, une jeune adolescente, disparait de chez ses parents un beau matin. Sans explication, sans un mot... Ses parents s'inquiètent et la recherchent activement. Le quartier entier s’intéresse à cette affaire. L'occasion pour l'auteur d'alterner les chapitres dans chaque maison, de mettre en avant les problèmes derrière chaque façade : discrimination, problèmes de couple, adultère, maladie... Chacun a quelque chose à cacher. De questions en révélations, les réponses vont-elles permettre de retrouver Lindsey ? Que lui est-il arrivé ? Fugue ? Enlèvement ? Meurtre ?
Roman bien mené malgré la multiplicité des personnages. On a envie de connaître le sort de la pauvre Linsey, et l’on compatit pour ces "pauvres familles" riches de banlieue américaine. Au fond, elles sont comme tout le monde !

GUERAUD, Guillaume. - Baignade surveillée. - Le Rouergue. - 125 p. -14€
En 125 pages, Guillaume Guéraud met en scène un couple marseillais, Arnaud et Estelle, partis en vacances, avec leur fils Auguste, au bord de l'Océan.
L'ambiance estivale devient vite lourde, car le couple est sur le point d'éclater. En plus, Max, le frère d'Arnaud, débarque à l'improviste dans une voiture volée...
Arnaud cherche à comprendre les raisons de l'échec qu'il vit, en affrontant, en même temps, les problèmes de son frère.
Avec des phrases courtes et synthétiques et le rythme rapide, on découvre le style haletant de Guillaume Guéraud.
L'auteur lance les personnages, leur passé, leurs rêves, sans trop s'attarder dessus.

HARGLA, Indrek. - Le spectre de larue du Puits. - Gaïa. - Traduit de l’estonien. - 307 p. - 22€

Melchior est l’apothicaire de la ville de Tallinn, en l’an 1419. Il soigne les blessures des malades, mais entend surtout beaucoup de ragots dans son officine. Lorsque meurent dans des circonstances troublantes trois personnes, dont l’une est un marchand influent de la ville, Melchior ne résiste pas à ses instincts de détective et se lance dans l’enquête. D’autant que la légende de la maison Unterrainer et de son spectre fait peser sur la ville un climat angoissant…
Un roman thriller à l’époque médiévale très réussi. Le lecteur a l’impression qu’il ne se passe rien, et pourtant il est impossible de lâcher ce roman. C’est un beau panorama de l’Estonie médiévale, finalement peu connue des historiens et du grand public, dont l’auteur a su se servir pour nous offrir ce thriller saisissant, haletant et surtout très bien écrit.

HUDSON, Kerry. - Tony Hoganm’a payé un ice-creamsoda avant de me piquer maman. - P.Rey. - Traduit de l’anglais (Ecosse). - 304 p. - 19€

Les femmes Ryan, de la plus petite Janie jusqu’à la plus âgée, sa grand-mère, rebelles et courageuses- ont toujours lutté contre la pauvreté. Janie et sa mère Iris changent souvent de logement social, la petite fille grandit dans la violence, mais reçoit aussi beaucoup d’amour, pendant que sa mère essaie de trouver le bonheur en couple, en rencontrant des hommes agressifs et alcooliques. Le vocabulaire de Janie est cru, et sert surtout à se défendre contre les autres qui la dénigrent à cause de sa situation sociale. Telle une éponge, elle absorbe tout ce qu’elle voit et entend, la tendresse maternelle et la gentillesse de l’animatrice du centre d’accueil, mais également les coups que reçoit sa mère durant les excès de colère de Tony. Sa vie change avec la découverte de la bibliothèque publique ; à l’âge de 6 ans, elle se sent enfin en sécurité.
Un roman sur la pauvreté, ayant pour décor les bas-fonds écossais, dans les années 80, où les chômeurs boivent et échangent leur drogue dans les couloirs des HLM couverts de graffitis, sur le combat quotidien tenace, réglé par une longue file d’attente au bureau de poste pour récupérer l’allocation hebdomadaire.
Une réflexion sur la monoparentalité, sur le mauvais choix de partenaire et le manque d’amour. Une histoire bouleversante de passage à l’âge adulte, de la construction de soi.

KERANGAL, Maylis de. - Réparer les vivants. -Verticales. -281 p. - 19€

Cette demi-citation de Platonov est au cœur de ce roman exigeant. C’est l’histoire de plusieurs vies qui se croisent, et celle du corps d’un jeune homme, Simon, adorant la vie, le surf, excessif dans ses choix, mais mort dans un accident de voiture. C’est celle de ses parents, des personnages, surtout celle du père, parents aimants qui doivent prendre une décision. C’est celle d’une équipe médicale aux urgences du Havre. C’est enfin celle du coordinateur qui lance le processus qui permettra à Claire de continuer à vivre. Dans cette galerie de Personnes, avec un P majuscule, on trouvera aussi les chirurgiens, préleveurs ou greffeurs. Chacun existe, a une vie, des passions, des problèmes.
La naissance d’un pont était une épopée de constructeur et de découvreur, puisque le pont relie un lieu à un autre à découvrir. Dans cette épopée, il s’agit du mystère de la vie et de la possibilité de réparer l’existence et la continuer la vie.
Le souffle de l’écriture en longues phrases nous transporte comme sur une vague qui s’est formée au loin et qui s’échoue sur la plage. En exergue et en conclusion de ce souffle, des phrases brèves nous ramènent dans la réalité. D’autres passages sont techniques, médicaux même. Cela constitue une œuvre très riche, très ou trop travaillée. On regarde de l’extérieur cette histoire de notre temps, un peu en entomologiste, même si chacun de nous est concerné. Le récit est très dense, pourtant elliptique parfois ; il laisse une forte empreinte en soi.
Prix Etudiants France Culture-Télérama 2014& Grand prix RTL-Lire 2014.

KERNINON, Julia. - Buvard. -Le Rouergue, La Brune. -199 p. - 19€

Caroline N. Spacek, 39 ans, devenue une auteur phare et accomplie, après avoir rencontré un poète pygmalion dans sa jeunesse, accepte de recevoir Lou, un étudiant fasciné par ses romans, qui souhaite l’interviewer afin de mieux connaître le travail d’un écrivain… Alors qu’elle vit habituellement en recluse, elle va se livrer entièrement à lui, et le garder auprès d’elle, le temps d’une biographie en marche…
Julia Kerninon, rend un bel hommage aux écrivains, à travers différents portraits d’auteurs, en devenir ou accomplis. Ce livre est aussi un formidable plaidoyer pour les auteurs, en montrant ce que représente la littérature dans leur vie, comment ils travaillent, quelle place occupe l’écriture dans leur quotidien, ce que représentent leurs œuvres auprès des lecteurs, sans oublier d’épingler les groupies d’auteurs et les journalistes voyeurs…
En tant que lecteur, on ne peut pas s’empêcher d’essayer de deviner la part d’autobiographie et celle de la fiction dans ce premier roman. Étrangement, Julia Kerninon a choisi de faire naître ses deux personnages principaux, Lou et Caroline, dans des familles où le livre n’avait aucune existence. Et ce sont pourtant eux que l’on voit devenir des auteurs.
« Buvard » est une métaphore de l’auteur… : comme un buvard qui épongerait l’encre de l’écriture, l’écrivain se nourrit de l’influence d’autres plumes, de rencontres, et de parcours de vies, pour en extraire l’essence de sa littérature et le trame de ses fictions.

FUGIEL-KUZMINSKA, Malgorzata &KUZMINSKI, Michal. - Le secret de Cracovie. - ZDL. - Traduit du polonais. - 415 p. - 25€

Durant le carnaval juif en 1939, un antiquaire se retrouve en possession d’un manuscrit très précieux, que lui confie une confrérie secrète. Une guerre féroce va opposer différentes puissances, dans une lutte sans merci pour récupérer ce parchemin.
Un suspense garanti, des bouleversements et péripéties à ne plus pouvoir les compter… L’intrigue est captivante, très enrichissante culturellement et historiquement parlante sur la vie juive à Cracovie. Même si l’on peine à s’identifier parfois aux personnages et que l’on puisse regretter le manque d’ésotérisme sous-entendu dans la quatrième de couverture, il n’en reste pas moins que ce roman est un bon thriller historique.

LAPERTOT, Céline. - Et je prendrai tout ce qu’il y a à prendre. - V. Hamy. - 185 p. - 17€

Et je prendrai tout ce qu’il y a à prendreest le récit bouleversant de Charlotte, jeune fille de 17 ans qui narre le secret de sa vie durant ses dix dernières années. L’héroïne a tué son père, et pour ce crime, elle sera jugée. Ce livre est donc un témoignage, une lettre d’auto-défense adressée au juge pour expliquer les raisons de cet acte. Si Charlotte a été dorlotée jusqu’à ses 7 ans, son père a brusquement décidé de la maltraiter, de la priver de sa chambre et de l’enfermer dans une cave humide et sale pendant dix ans, sous les yeux d’une mère impuissante et effacée, elle-même victime du bourreau.
L’histoire est dure, mais l’écriture tellement juste et belle, qu’on ne peut qualifier l’atmosphère de sordide. Au contraire, l’on ressent tout au long du livre un sentiment d’espoir et de délivrance.
Coup de cœur LGL.

LEVI, Célia. - 10 yuans un kilo de concombres. - Tristram. -264 p. - 20 €

Voici un roman qui raconte la rupture entre la société chinoise d’hier, fermée, et cerlled’aujourd’hui, ouverte au capitalisme et à la culture de masse. Ce serait un récit comme un autre si ce n’est l’auteur qui raconte cette métamorphose des yeux de Xiao Fei, un homme mélancolique et contemplatif qui semble s’être trompé d’époque.
Ce roman laisse une grande place à l’observation et notamment à une prise de conscience des conséquences que cette mutation sociale a engendrée sur les chinois exilés ou natifs de ce pays.
La contemplation du héros se confronte alors à l’incompréhension, au mépris et à la rupture.
Voilà c’est un livre sur la rupture, où l’auteure a réussi à construire un personnage que l’on aime et déteste à la fois, par son esprit de révolte et par son inertie.
Les descriptions sont parfois assez pesantes, mais il faut les dépasser pour découvrir un témoignage poignant sur l’aspect social de la Chine contemporaine.
Celia Levi, comme à son habitude, pose dans ce livre encore beaucoup de questions sur la société et nous interroge sur notre propre approche qu’elle soit critique ou pas…

MAREK, Anna Lisbeth. - Les conversations. - Phébus. - 170 p. - 15€

MATHIS, Ayana. - Les douze tribus d’Hattie. -Gallmeister, Americana. - Traduit de l’américain. - 313 p. - 23€

Hattie a quitté sa Géorgie natale pour vivre à Philadelphie, où elle épouse August, flambeur, coureur, buveur, mais leur lien physique demeurera toujours essentiel. Elle a onze enfants. C’est à travers leur histoire et celle de sa petite fille que l’auteur de ce premier roman nous fait le portrait, en creux. De 1923 à 1980, chaque chapitre s’attache à un élément de ses « tribus ». Le destin de chacun est différent. Alors que Hattie n’est qu’une toute jeune femme, deux bébés meurent dans ses bras, puis se succèdent un trompettiste, un prédicateur, une malade mentale, un fils au Viêt-Nam, un enfant de l’amour…Hattie voudrait fuir et vivre sa vie qui lui échappe, mais elle reste ou revient, à cause d’un lien inexplicable avec son vaurien de mari. On la sent combative, acharnée, vindicative et peu aimante. Cette dureté a appris à certains de ses enfants à se prendre en charge. A travers cette fresque familiale, se profilent toute l’histoire de l’Amérique, du problème de la ségrégation et de la pauvreté.
Ce livre a le côté frais et, peut-être naïf, d’un premier roman, mais il est attachant et ne sombre pas dans le pathos. Le ton est lyrique, l’écriture est fluide, détaillée et « nature ». On est pris par le charme certain de cette histoire, même si le sujet n’est pas original.

MONNERY, Romain. - Le saut du requin. - Au Diable vauvert. - 265 p. - 17€

POUR : Méline est une jeune femme grosse, mal dans sa peau, qui rencontre Ziggy grâce à Internet. Celui-ci est un mufle, qui se prétend artiste, alors qu'il ne fait rien du tout, mais c'est mieux que rien. Elle n'y trouve pas son compte, et demande conseil à sa copine Noémie pour apprendre comment se comporter avec les hommes. Noémie lui conseille de prendre un amant, pour rendre les deux jaloux ! Alors Méline drague Fabrice et ne sait pluslequel choisir ! Quant à Ziggy, se retrouvant seul, il déprime et s'aperçoit qu'il est amoureux : la honte ! Comment reconquérir celle qu'il méprisait ? Un roman d'amour très actuel, sur fonds d'Internet, de satire sociale.
C'est à la fois amusant, et amer. Il n'y a pas d'amour, de sincérité, mais tout vaut mieux que la solitude. Original.

CONTRE :
Méline et Ziggy sont deux trentenaires qui se sont rencontrés via adopteunmec.com. Méline travaille dans une agence de communication, elle rédige des messages publicitaires. Ziggyse dit artiste, mais est en fait mégalomane de profession. Il n'aime pas grand-chose en dehors de lui-même.
Leur histoire, il l'avait prévenue : un passe-temps limité aux week-ends. Un couple c'est un CDD, les hommes et les femmes ne sont pas faits pour vivre ensemble. Je te trompe, tu me trompes, l'erreur est humaine. Lassée de Ziggy et de son caractère fantasque, Méline se tourne vers Fabrice un collègue de travail. Elle change de look, s'offre une nouvelle vie certes, mais avec un Fabrice trop attentionné à son goût. Elle a envie de souffler un peu, elle le quitte.
Après une longue séparation, elle retrouve Ziggy. Ils repartent de zéro, dîner romantique,...
Entre Ziggy et Fabrice, qui choisir ? Elle prétend être enceinte et guette leurs réactions à chacun pour se décider. La réponse ne se fait point attendre, elle a trouvé son mari.
Pas de requin dans le roman, « le saut du requin » désigne ce moment fatidique, où une série télé bascule dans le « n'importe quoi ».

MORGIEVE, Richard. - Boy. - Carnets nord. - 276 p. - 18€

Boy, 19 ans, vit seule avec son père quasi grabataire. Celui-ci, ancien écrivain, n’a pas achevé des dizaines de romans. Sa fille, pour essayer de lui redonner vie, en a fait des jeux de rôle. Via Internet, elle recrute des joueurs. Ainsi dans des scénarios improbables, elle est le soldat Boy, en Indochine, au Vietnam ou ailleurs. Elle est très connue sur la toile pour sa combativité et son sens du jeu… Dans la réalité, lorsqu’il était valide, son père l’a élevée seul et… comme un garçon ! Boy sait qu’elle est une fille mais refuse sa féminité, toute sexualité et semble ignorer qu’elle est extrêmement belle.
Elle est blessée dans un de ses jeux et doit se rendre aux urgences. Elle y rencontre Franz, un interne dont elle tombe amoureuse ! Dans la boîte de nuit pour filles où elle travaille en tant que videur, elle se rend compte qu’elle est filée par deux flics qui lui apprennent qu’un tueur psychopathe s’est fait connaître sur le net et risque fort de s’en prendre à elle…
Une écriture hachée pour un vrai roman noir. On ne s’ennuie pas une seconde dans cet univers cinématographique. Si le style très cru peut choquer, il sert parfaitement le récit. Cependant, l’invraisemblance des situations peut finir par lasser.

NEUMAN, Andrés. - Parler seul. - Buchet Chastel. - Traduit de l’espagnol (Argentine). - 166 p. - 17€

SELECTION SALON DU LIVRE ARGENTINE
Andrés Neuman est né en 1977 à Buenos Aires. Écrivain, chroniqueur, essayiste, il a publié de nombreux romans, recueils de nouvelles et de poésie en Espagne où il réside, et en Amérique latine.
Lito, 10 ans, part avec son père Mario, en camion, pour un road movie unique : il ne sait pas que son père est en train de mourir d'un cancer, et Mario veut lui laisser des souvenirs de bonheur. Elena, la mère restée seule, lit pour trouver des réponses et tenter d’oublier la rage, la douleur devant la maladie et la mort prochaine. Elle devient la maîtresse du médecin pour se sentir vivante, elle qui croyait vivre toute sa vie avec son mari.
Les chapitres se succèdent avec les trois voix des trois personnages, Lito, Mario et Elena, de style et de tonalité différents. Un roman initiatique prenant, où l'enfant est préservé jusqu'au bout. Les adultes doivent surmonter comme ils peuvent l'issue fatale.
Réussi, mais rien de typiquement argentin.

NUNEZ, Sigrid. - Et nos yeux doivent accueillir l’aurore. - Rue Fromentin. - Traduit de l’américain. - 405 p. - 23€

1968 : Ann et Georgette se rencontrent à l’Université. Rien ne les prédestinait à devenir amies. Anne, blanche qui rêve d’être noire, riche, brillante, exaltée, et « George », issue d’un milieu modeste, rescapée d’une situation familiale sordide, doutant d’elle et de la possibilité d’un avenir.
Des années plus tard, la vie aura conduit Ann en prison et George aura accompli sa vie professionnelle et amoureuse.
Plus qu’une histoire d’amitié, ce roman explore trois destins de femmes : Anne la militante, George la modérée, Solange, sa sœur, l’exaltée. Dans une Amérique en proie aux mutations sociales, raciales et à la contestation, elles essaieront, chacune à leur manière, de vivre selon leurs convictions ou, au moins, d’en préserver quelques-unes.
L’auteur construit un roman faussement simple, par les thématiques abordées et par sa construction mais qui reste très accessible grâce à son style. Les époques s’imbriquent les unes dans les autres, les destins se croisent et se complètent. C’est un puzzle de vies dont les clés nous sont données peu à peu, ménageant juste ce qu’il faut de surprises et de touches romanesques.
Passionnant, tendre, émouvant.

RAGOUGNEAU, Alexis. - La Madone de Notre-Dame. - V. Hamy, Chemins nocturnes. - 201 p. - 17€

Le lendemain de la grande fête et de la procession de l’Assomption, on découvre, sur un banc de la cathédrale Notre Dame de Paris, le cadavre de la jolie jeune femme, trop court vêtue, qui avait fait scandale la veille lors de la procession et avait été attaquée par un jeune intégriste excité. Ce dernier semble être le coupable idéal. La police est sur les dents. L’évêché ne veut pas de vagues ; Claire, une jeune procureur, fait arrêter le suspect. Le père Kern, curé de Poissy, remplaçant à Notre-Dame, mène l’enquête, assisté d’un détenu, au long cours à la Santé, qui l’aide dans sa réflexion, lors de ses visites. Malgré les douleurs articulaires qui le handicapent depuis l’enfance, le petit prêtre mène l’enquête alors que le suicide du jeune intégriste risque d’entraîner la fin de l’affaire.
On le suit à travers Paris, tout en découvrant la phase cachée de sa vie. On croise des personnages qui ont une réelle épaisseur et qui, chacun, essaie de faire face à ses failles. Quelques passages nous font faire un saut dans le passé et dans la honte de certains agissements dans le Djebel…On croise un clochard polonais, une brave femme à chapeau à grosses fleurs, toujours assise sur la même chaise et qui ne radote pas toujours, même si parfois il faut passer la serpillière sous elle, des étudiantes qui ont besoin d’arrondir leurs fins de mois. On découvre, également, que la cathédrale est gérée comme une entreprise.
On est pris par l’histoire tellement humaine de ces personnages, qui peuvent se laisser dépasser par leur passé.
Un très bon moment de lecture (2 avis !).

SANTIS, Pablo de. - Crimes et jardins. - Métailié. - Traduit de l’espagnol (Argentine). - 266 p. - 20€

SELECTION SALON DU LIVRE ARGENTINE
Né à Buenos Aires en 1963, Pablo de Santis est auteur pour la jeunesse, scénariste de télévision et de BD et éditeur. Il a écrit, entre autres, La traduction, Le cercle des douzeet La soif primordiale.
Buenos Aires, 1894 : le détective Craig meurt et son assistant, le narrateur, Mr Salvatrio, lui succède. Pour sa première enquête, un poète lui demande de retrouver son ami IsidoroRanier, antiquaire disparu depuis quatre jours. Il découvre le corps plongé dans le bassin de son jardin, la statuette en marbre disparue attachée sur le ventre. Sa veuve est persuadée que les jardins sont maudits et l’enquête de Salvatrio s’oriente vers le club Sub Rosa réunissant des amateurs de jardins. DuxOlaya et Ranier sont partisans du jardin réel alors que d’autres veulent le retour au jardin primitif. Ils se confrontent entre les partisans de l’Éden -le jardin d’avant la Chute comme nature originelle, sauvage et inviolée- et ceux de l’Atlantide, cette île engloutie à la société idéale inventée par Platon -le jardin comme cosmos maîtrisé, dessiné et ordonné par le génie humain.
Quel est le rôle de ce club philosophique ? Le meurtrier est-il l’un de ses membres ? Va-t-il tous les éliminer ? Le tueur semble bien connaître le mythe de l’Atlantide et des références à Narcisse et aux personnages mythologiques.
Quelle est la place de la fille de DuxOlaya, un des adeptes, violée chez elle ? Les crimes et les fausses pistes se multiplient. L’auteur manie la mise en scène et le suspense et nous entraîne avec lui.
François Lestave, Paris-Match : «Un cluedo végétal d'autant plus inextricable que les cadavres s'accumulent et qu'un détective concurrent marche sur les plates-bandes de Salvatrio... Mystère et botanique : pour nourrir son enquête ludique, Pablo de Santis sème des graines de fantaisie et de poésie qu'il arrose de son érudition foisonnante... Au coin du bois, vous découvrirez que la mort est un engrais de premier choix pour la resplendissante rose Lictor, qui s'épanouit sur la charogne. Pas de doute, avec ce polar printanier amoureusement cultivé, l'auteur ne s'est vraiment pas planté !»

TEISSIER, Sébastien. - X. - Nouveau monde. - 223 p. - 15€

Lucas Moriani, médecin légiste, est appelé en pleine nuit pour faire l’expertise d’un cadavre, sauf qu’arrivé sur place, aucun policier ne l’attend. Encore plus étrange, tout semble l’incriminer. Quel choix lui reste-t-il ?  Se rendre et se défendre, ou faire disparaître le cadavre ?
Félix Vizzini est un enquêteur hors pair, grâce à son analyse fine des détails et à sa mémoire prodigieuse. Enquêter lui permet d’ailleurs de satisfaire sans moindre mal cette attitude à l’analyse pour lequel il a été suivi enfant.
C’est en détaillant sa liste de mails comme chaque matin qu’il remarque que l’agent Moriani a confirmé son départ sur intervention alors qu’aucun officier n’est chargé de l’enquête, pire que le crime n’ait pas été signalé.
Tous les signaux sont au rouge pour intriguer Félix. Et il est très loin d’imaginer ce qui l’attend…
MACHIAVELIQUE, INNOVANT, EXALTANT.
Un coup de cœur pour ce premier roman habilement mené.
L’auteur emmène son lecteur dans les méandres les plus profonds des possibilités du cerveau humain, qui peuvent conduire à la folie et au meurtre. Sébastien Teissier, chercheur en biologie moléculaire, a lu beaucoup de méthodes d’écriture, mais X est loin d’être un exercice littéraire. C’est un roman original qui tient en haleine par l’intrigue retorse et qui manipule savamment le pauvre lecteur !

VILLORO, Juan. - Récif. - Buchet Chastel. - Traduit de l’espagnol (Mexique). - 281 p. - 20€

Récif est le troisième livre traduit en français de l'écrivain mexicain Juan Villoro. Le roman se déroule dans une zone touristique à l'abandon de la côte mexicaine. Un complexe hôtelier, La Pyramide, y survit, en exploitant un concept nouveau, le tourisme de la terreur, avec « des programmes de loisirs conçus pour accélérer les pulsations ». Le touriste occidental blasé est là pour se faire peur et se prouver que, lui aussi, est capable de se mettre en danger.
Et les accidents, inévitables, ne font qu'accroître la bonne humeur des clients !
Un meurtre, un vrai, a lieu dans l'aquarium de l'hôtel. La quête de la vérité sera difficile dans ce monde où les apparences sont trompeuses.
Toni Gongora, ancien musicien de heavymetal et ancien drogué, débarque « en vrac » à la Pyramide, après des années d'errance dont il ne garde aucun souvenir. Il y retrouve Mario Müller, ex-leader du groupe, et propriétaire de l'hôtel. Toni est là pour tenter de se reconstruire, mais le peut-il réellement ? Comment peut-il être sûr que les souvenirs qu'il échange avec Mario n'ont pas été fabriqués par ce dernier ?
L'intrigue policière s'estompe. La crise existentielle que traverse chacun des personnages passe au premier plan, bouleversant les rapports humains tout en opacifiant l'intrigue de ce récit désenchanté.