Sélection Petits éditeurs - novembre 2015

BiB92 - Commission Petits éditeurs de novembre 2015

Version téléchargeable sur le site : cliquez ici.

Barbara, Vanessa. - Les nuits de laitue. - Zulma. - Traduit du portugais (Brésil). - 222p. - 17,50€
Depuis que sa femme est décédée, Otto est accablé ; il ne sort plus de sa maison et évite le plus possible de parler avec ses voisins. C’était Ada son épouse qui s’occupait d’entretenir des liens avec leur voisinage assez particulier : un préparateur en pharmacie qui répertorie les effets secondaires de tous les médicaments qu’il reçoit ; un facteur-chanteur qui livre le courrier aux mauvaises adresses afin de créer du lien social ; un vétéran japonais persuadé que la Seconde Guerre mondiale n’est pas finie ; une mystique catholique ouverte à toutes les spiritualités qui s’offrent à elles ; une dactylo proche du record mondial de frappe à la minute… Sa femme connaissait tous leurs secrets et refusait de les partager avec Otto, persuadé depuis son décès que ces derniers lui cachent quelque chose.
Un premier roman truculent d’une journaliste brésilienne qui doit son titre à la tisane de laitue qu’Ada préparait pour soigner les insomnies de son mari. Une galerie de personnages hauts en couleurs, tous plus loufoques et attachants les uns que les autres.
Méditation sur l’être aimé à la fois drôle et mélancolique, ce livre met de bonne humeur.

Blanc-Gras, Julien. - In utero. - Au Diable Vauvert. - 189p. - 15€
Quand un futur père décide de tenir un journal pendant la grossesse de sa femme, cela donne un roman plein d’humour et d’autodérision et à la fois touchant/ émouvant sur son quotidien et ses nombreuses angoisses.
Pendant neuf mois, l’auteur, écrivain voyageur, voyage au cœur de la grossesse et s’interroge sur la paternité et la maternité, compare la manière dont elles sont vécues dans d’autres civilisations et se prépare à être père.
Un regard intéressant sur la grossesse, avec un ressenti pas si éloigné au final de celui d’une femme.
Très drôle !!!!

Blavy, Rodolphe. - Le pardon. - Arléa, 1er/mille. - 149p. - 17€
Un homme décide de plaquer son travail et de laisser derrière lui le confort de sa vie pour partir en Afrique où il a vécu quelques années dans sa jeunesse. Il y croise plusieurs personnes qui, par leur histoire, l’amènent à s’interroger sur son propre parcours et sur ce qu’il a fait de sa vie. Il y a Purity, fille d’une enfant violée, qui est, elle aussi contrainte à monnayer son corps ; Raymond, un étudiant qui vient d’obtenir son diplôme d’ingénieur et fait la fierté de sa famille ; César, l’aîné d’une fratrie disloquée et livrée à elle-même depuis la mort de leurs parents.
Un voyage où il se laisse porter par le rythme et l’ambiance des pays traversés en fuyant les chemins balisés. Au bout du voyage, aux pieds des chutes Victoria, le rendez-vous avec une femme qu’il n’a pas vue depuis de longues années et dont il attend le pardon.
Le pardon est à la fois l’histoire d’un homme qui fuit une vie trop rangée pour se retrouver et marcher dans les pas de son enfance et un hommage touchant rendu à l’Afrique que l’on sent et voit à chaque page. Des passages durs côtoient des moments d’une grande tendresse. Loin des clichés, dans un style fort, ce premier roman m’a touchée, même si je me suis parfois perdue dans la narration, le fil des histoires de chaque personnage étant un peu décousu. À découvrir !

Castino, Didier. - Après le silence. - L. Levi. - 220p. - 18€
Le récit se présente comme un long monologue, presque une mélopée de Louis, ouvrier mouleur aux Aciéries du Midi. Ce monologue s’adresse à son fils le plus jeune. Il parle avec une voix pleine d’émotion de sa vie à l’Usine, de ses compagnons, de l’épuisement physique, de ses engagements syndicaux, du monde ouvrier d’avant 68. Il parle aussi de sa femme, de ses trois fils, auxquels il souhaite une vie meilleure. Il part en vacances avec sa 2 CH bleue, nous sommes plongés dans les années 50-70.
Il enchaîne d’un fait ou une idée à une autre, sans respirer, et c’est poignant. Cette partie se clôt sur l’accident qui lui a coûté la vie en 1974.
A partir de ce moment, il continue d’outre-tombe pour parler du deuil des siens et de la façon dont on s’est approprié sa mort : les proches et les amis pour prendre en main femme et enfants, les syndicats pour revendiquer d’autres conditions de travail et les patrons pour montrer le non-respect des consignes…
Ensuite, une autre voix apparaît, celle du fils. Il a été écarté de l’enterrement, il n’avait que sept ans, il a fait des études et est donc sorti du monde ouvrier. Il a besoin de s’affranchir de l’image idéalisée de son père qu’il a peu connu. Il fait part de l’ambivalence de ses sentiments, une certaine honte de son milieu, dont il s’est coupé. Il doit devenir un homme autonome et un père à son tour, sans trahir son propre père.
C’est un roman poignant et un brillant premier roman pour ce professeur de français du Havre.

Coupland, Douglas. - La Pire. Personne. Au monde. - Au Diable Vauvert. - Traduit de l’anglais (Canada). - 360p. - 20€
Un Douglas Coupland très en verve pour son dernier roman au langage… pour le moins «fleuri».
Raymond Gunt, loser qui s’ignore, mais surtout odieux personnage, raconte sa dernière mission de cameraman aux Kiribati : en croyant toujours au meilleur, il erre pourtant de Charybde en Scylla, depuis son envol vers ces îles prétendument paradisiaques jusqu’à un retournement final délirant.
Comme toujours avec Coupland, on ne se soucie pas de réalisme, mais on se laisse porter avec un malin plaisir dans des péripéties insensées.

Daull, Sophie. - Camille mon envolée. - P. Rey. - 185p. - 16€
Sophie Daull, comédienne, va au théâtre le 19 décembre 2013, avec sa fille de 16 ans. Le lendemain, Camille a de la fièvre et ne va pas en cours. Elle agonise durant quatre jours, sans obtenir de soins. Camille est emportée par une fièvre fulgurante, aussi violente que mystérieuse. Pourquoi et comment sa vie a basculé ?
Sous forme de journal, l’auteur nous livre les quatre derniers jours de son enfant, les démarches, l'enterrement pendant le réveillon. Les parents bénéficient du soutien des personnes qui trouvent les mots justes : Manu des PFG, ses collègues de théâtre, les amis, les copains et copines de Camille. Il faut assumer le manque, subir les dates anniversaires, survivre. Continuer à se lever, travailler, faire les courses, rencontrer des gens quand l'esprit est bloqué comme un disque dur qui mouline. Il ne reste que le vide et les pensées envahissantes. Ce sont les heures faites des tâches anesthésiantes, suivies d'une nouvelle vie qui se poursuit malgré tout.
Suite à ce drame inconcevable, Sophie s’adresse à sa fille, elle lui parle tantôt de sa vie après sa mort, tantôt elle lui relate sa maladie. Elle se remémore leur complicité, leurs rires. Ce roman est un cri d'une mère face à la perte inacceptable de son enfant, qui nous broie et nous assomme ; impossible de ne pas se mettre à la place de cette mère détruite. L'urgence est de raconter, d’évacuer la révolte, la culpabilité, chercher la faute. Les mots spontanés, forts et percutants sonnent justes. Il y a parfois de l'humour dans certains passages (« Tu sais comme je suis organisée. »).
Un roman qui témoigne de l'insupportable. L'émotion m'a submergée du début à la fin... Camille laisse une trace indélébile au lecteur. Très beau témoignage d'une peine inénarrable et éternelle, illustré par les « Nuages blancs » d’Eugène Boudin. Un livre-thérapie pour leurs auteurs, comme ceux de Philippe Forest ou d’Isabelle Monnin.

Druesne, Anna. - La Vénus aux kakis. - S. Safran. - 443p. - 24€
Emma, jeune parisienne en rupture d’amour, rencontre Charles dans une librairie. Elle est décoratrice et se fait embaucher par Charles pour restaurer une bastide en Provence, trop heureuse d’échapper à un chagrin d’amour.
Au cours de son travail, elle met à jour des secrets de famille liés à l’origine de Charles, mi-tzigane, mi-dignitaire nazi. En même temps, le lecteur est baigné dans une culture digne des beaux magazines de décoration. La vie de famille de Charles est un peu compliquée. Emma est tombée amoureuse…
Jusque-là, c’est un roman sentimental, qu’il serait mal venu de comparer aux héros de Flaubert du même prénom. Ce qui caractérise ce roman, c’est son côté franchement érotique qui survient brusquement, dès le début du livre. Ce besoin irrépressible de faire l‘amour des deux protagonistes, avant même de se connaître un peu plus. Cela survient de rencontres en rencontres et, après le roman reprend son cours. Le récit des ébats est dynamique et joyeux, rien de vulgaire. Les personnages sont plutôt sympathiques malgré une psychologie élémentaire. L’ensemble est bien écrit.
Emma n’a rien à voir avec le personnage sulfureux et pervers de la Vénus à la fourrure !

Gab’1, Jean. - A l’Est. - Don Quichotte. - 218p. - 17€
Charles est un «mauvais garçon», un petit voyou de Paname, adepte de trafics en tous genres. Mais la capitale devient un terrain de jeu trop petit pour lui. Avec des complices, il prend la route de l’Est. Nous sommes en 1988, et à Berlin, le rideau de fer n’est pas encore tombé. Malgré tout, il y a de la place pour des «affaires» et de l’argent facile. La bande de treize gars très hétéroclite qui se forme pour écouler des voitures volées à Istanbul va rencontrer bien des déboires sur sa route et Charles, qui n’est pas trop fan de Midnight express, décide de s’envoler vers Chicago. Mais cette ville n’est-elle pas aussi une capitale du crime ?
On ne peut pas parler de ce livre sans évoquer son auteur. Jean Gab’1 ou MC Jean Gab’1 (son nom de rappeur), né en 1967, a eu une enfance particulièrement difficile, marquée par un événement tragique : le meurtre de sa mère par son père. Puis Charles M’Bouss (son vrai nom) a connu bien des galères (la DDASS, la prison…). Ce roman, truffé d’expressions argotiques et imagées, évoque une tranche de sa vie alors qu’il est un petit trafiquant d’une vingtaine d’années. Le rythme est enlevé, mais au final il faudrait presque avoir un dictionnaire sous la main pour traduire certains mots. Pas toujours facile à lire donc, mais vraiment intéressant ! Du Audiard contemporain, en quelque sorte.

Gautier, Pascale. - La clef sous la porte. - J. Losfeld. - 190p. - 16,50€
Ce roman a quatre personnages principaux, qui n’ont rien en commun à priori, si ce n’est la volonté de mettre «la clef sous la porte». Tous les quatre sont en effet à bout de nerfs ! Ferdinand est pris en tenaille entre une femme volage et une fille adolescente insupportable ; José est un retraité solitaire qui passe son temps devant la télé ; Auguste, un célibataire de 50 ans, subit ses parents (une mère tyrannique et un père faible) ; et Agnès, célibataire aussi, ne supporte plus rien, ni ses voisins, ni sa mère agonisante…Comment échapper à ce quotidien pesant, à cette vie terne ?
Le sujet des relations familiales n’est, certes, pas très original, mais ce livre est agréable, bien qu’il soit moins réussi que le best-seller Les vieilles en 2009.
Un roman facile à lire, dont l’esprit caustique fait souvent mouche ! Et puis, en cette rentrée littéraire, les livres drôles ne sont pas si nombreux…

Gwyn, Aaron. - La quête de Wynne. - Gallmeister, Noire. - Traduit de l’américain. - 307p. - 23€
Habile dresseur, Russell sauve un cheval pris au cœur d'un échange de tirs sur le front irakien. Cet acte héroïque lui vaut d'être chargé par le capitaine Wynne, commandant une unité affectée dans les montagnes afghanes, de dresser une quinzaine de chevaux qui doivent lui servir à accomplir une mystérieuse mission.
Jeune paysan blessé par la vie et trop tôt devenu un homme dans les rangs de l’armée américaine, Russell ne peut résister lorsqu’il voit un cheval en danger, paniqué par les tirs croisés des ennemis qui s’affrontent. Le voilà qui fait le buzz, malgré lui, sur les réseaux sociaux. Il craint de passer en cour martiale pour insubordination. Mais il est appelé auprès de Wynne, capitaine tête brûlée d’un corps d’élite, spécialisé dans les missions d’infiltration.
Comme beaucoup de jeunes à la dérive, Russell se rattache aux souvenirs heureux, son grand-père et les chevaux avant de sombrer dans le chaos de cette guerre violente et absurde, où personne n’est à l’abri d’un coup de folie… ou d’un coup de génie…
L’auteur a parfaitement campé ses personnages, il en fait un portrait psychologique subtil et nous les rend attachants. Malgré la violence des situations, on les suit jusqu’au bout de leur démarche.
Intéressant et original, ce livre tient de Fitzcarraldo et d’Apocalypse now par sa démesure. C’est une excellente surprise, un réel coup de cœur.
A consommer sans modération, en écoutant la voix de Jim Morrison.

Haderlap, Maja. - L’ange de l’oubli. - Métaillié, Bibliothèque allemande. - Traduit de l’allemand (Autriche). - 234p. - 20€
Une petite fille raconte à son niveau d’enfant la vie quotidienne qu’elle vit dans les montagnes de Carinthie dans le sud de l’Autriche à la frontière de la Slovénie, zone où l’Histoire a été très compliquée entre les Autrichiens nazis et la population d’origine slovène. Elle vit hantée par les récits de sa grand-mère, ceux de son père résistant et les fantômes de tous ceux qui ont été assassinés.
En grandissant, puis partant à l’université faire des études théâtrales, elle se construit et se repositionne par rapport à l’Histoire. Comme beaucoup de ses contemporains et des membres de sa famille, elle écrit des poèmes qui transcendent le vécu.
Elle devient une jeune femme capable de comprendre ses parents, leur douleur et leurs manques qui expliquent leur comportement. La tendresse de sa grand-mère lui a permis de s’épanouir.
Le récit nous immerge dans les coutumes locales, la beauté sauvage des paysages qui contrastent avec l’horreur des souvenirs. C’est un livre remarquable dans lequel, malgré la complexité historique et sociale, on rentre de plain-pied. L’écriture est travaillée, mais fluide et poétique.
Premier roman salué par la critique en Autriche et Allemagne.

Hudson, Kerry. - La couleur de l’eau. - P. Rey. - Traduit de l’anglais. - 352p. - 20€
Vigile dans un grand magasin de chaussures, David surprend une jeune fille en train de commettre un vol. Il choisit de ne pas la dénoncer et la laisse quitter le magasin. Le sandwich qu'ils partageront ensuite sera le début de leur histoire commune...
Seul depuis la mort de sa mère et la séparation avec sa femme, Dave sait reconnaître les êtres qui souffrent. Alena le touche par son comportement, il sent qu'elle fuit sa vie d'avant, mais ne pose aucune question. Leur amour est tellement pur qu'il transforme le quotidien en rêve, ils s'étonnent d'envisager un avenir heureux, peut-être, commun. Hélas, il est impossible de tourner la page, Alena, s'étant échappée au réseau ukrainien de prostitution auquel elle avait été vendue pour venir à Londres, est recherchée par la mafia et le bureau de l'Immigration...
Un roman très fort en émotions.
Kerry Hudson est une romancière militante pour un renouveau dans la littérature et l'édition anglaises, pour une diversité raciale et thématique. Comme dans Tony Hogan m'a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman, ses personnages sont issus d'un milieu pauvre ou de l'immigration et veulent s'en sortir avec courage.

Köhlmeier, Michael. - Deux messieurs sur la plage. - J. Chambon. - Traduit de l'allemand (Autriche). - 249p. - 22€
Le récit d’une relation plausible entre Charlie Chaplin, comédien et Winston Churchill, homme politique. Tout les sépare : leur métier,  leurs convictions politiques, tout sauf leur maladie : une dépression décrite comme « le chien noir » et un pacte secret passé entre eux en 1929, celui de s’appeler lorsque le « cabot » se montre trop mordant.
Deux messieurs conversent avec humour sur la plage de Santa Monica. Ils devisent sur la mort, sur la meilleure façon de se suicider. Une rencontre sur fond de nazisme et de Seconde Guerre mondiale. Une bataille menée « par l'un avec les armes du rire, pour l'autre avec des armes de guerre ».
Le narrateur, clown dans la vie, nous fait découvrir l’envers du décor. Il nous décrit les causes de leur stress : pour Chaplin, c'est le passage au cinéma parlant, pour Churchill, fini l'alcoolisme, car il faut gagner la guerre, ainsi que la pression les entourant : d’un côté, Hollywood avec ses rumeurs, la vie dissolue de Charlie Chaplin, de l’autre Churchill, mis à l’écart dans les années 30.
Vérité ? Fiction ? Quoiqu’il en soit, un récit intéressant sur l’amitié insolite entre deux monstres sacrés du XXe siècle, deux personnages tourmentés, accros à l’humour noir, mais aussi à l’alcool.
Le père de l'auteur était un spécialiste de Churchill, il connaissait le secrétaire de ce dernier.

Mc Bride, James. - L’oiseau du bon Dieu. - Gallmeister. - Traduit de l’américain. - 441p. - 24.80€
Tout part d’un quiproquo. En 1856, Henri Shackleford, un petit métisse de douze ans qui ne se soucie pas plus que cela de sa condition d’esclave, croise la route du célèbre abolitionniste John Brown, un vieil illuminé à la tête d’une bande de «crève la faim». Suite à une échauffourée avec le propriétaire d’Henry qui entraine d’ailleurs la mort du père de l’enfant, Brown décide d’enlever le jeune esclave qu’il rebaptise Henrietta, car il le prend pour une fille. Bien malgré lui, Henry, affublé d’une robe et d’un bonnet, se retrouve embarqué dans les pérégrinations du vieux Brown, qui se prend d’affection pour lui et le rebaptise « L’échalote ». Face à cette personnalité pour le moins exaltée et imprévisible, l’unique but d’Henry est tout simplement de sauver sa peau…
Une très belle épopée riche en événements. Le lecteur est emporté dans un véritable tourbillon où il croise des personnages hauts en couleur, rudes mais attachants. Malgré la gravité du sujet, on rit beaucoup. A noter que ce livre s’inspire d’une histoire vraie. Le personnage de John Brown (1800-1859) a réellement existé. Considéré soit comme un fanatique, soit comme un martyr, son activisme et sa fin tragique sont l’une des causes de la guerre civile américaine.
Ce livre a reçu le National Book Award en 2013. Il faut absolument le lire.

Manoukian, Pascal. - Les échoués. - Don Quichotte. - 297p. - 19€
Dans les années 90, Virgil, d’origine moldave, arrive en France, où il survit caché dans la forêt. Il découvre la liberté, puis la misère. Assan fuit la Somalie en guerre avec sa fille Iman, excisée à sept ans. Chanchal, 19 ans, lui, est originaire du Bangladesh, venu caché dans un camion-citerne.
Ces quatre personnages de nationalités différentes ont supporté des milliers de kilomètres de transport dans des conditions inhumaines, ont frôlé la mort. Ils survivent dans la forêt, dans des squats ou des campements de fortune avec d'autres immigrés. Ils vont bien sûr se rencontrer, essayer de trouver du travail, échanger leurs mœurs, et se soutenir dans les épreuves. Les trois hommes partagent l'âpreté du quotidien, entre marchands de sommeil, employeurs sans scrupules, drames et petits bonheurs. Chanchal veille sur la petite fille tandis que les adultes travaillent comme des esclaves. Virgil se bat pour aider ses amis et se révolte. Mais il doit accepter d’être exploité pour pouvoir envoyer de l’argent à sa famille. Il parvient à obtenir des faux papiers mais perdra son travail.
Les échoués dénonce sans pathos les conditions inhumaines que vivent les migrants. Etre immigré clandestin, c'est être à la merci des passeurs et des exploiteurs de la misère pour qui cette main d'œuvre est une aubaine.
Un premier roman à la fois facile à lire et éprouvant. On sent l’empathie de l’auteur pour ses personnages. Un livre très fort et hélas toujours terriblement d’actualité.

Mauméjean, Xavier. - Kafka à Paris. - Alma. - 267p. - 18€
En 1911, Kafka et son camarade Max Brod quittent leur Prague natale pour Paris, après une première tentative qui s’est soldée par un échec. Tous les deux bras cassés, ils n’ont jamais quitté leur pays.
Nos jeunes Pragois ayant promis à leur éditeur de revenir avec un guide touristique, ils déambulent dans la capitale et vont de rencontres surprenantes (Apollinaire arrêté pour le vol de la Joconde) en déconvenues.
Ce roman écrit sur un ton léger avec un vocabulaire choisi et sophistiqué est l’occasion de s’immerger dans le Paris du début du XXe siècle et dans un univers kafkaïen (succession de situations absurdes, personnage perdant ses repères, ...).
L’esprit décalé du roman est plaisant, le rend facile à lire et donne envie de se (re)plonger dans l’œuvre de Kafka.

Melville, Herman. - Les iles enchantées et l’archipel des Galápagos de Darwin. - Le mot et le reste. - Traduit de l’américain. - 190p. - 17€
Ouvrage inclassable, cet opus signé par le père de Moby Dick, tient davantage du documentaire que d’une fiction pure. Il s’agit d’un récit de voyage, de pérégrinations dans l’œuvre de Darwin, d’inspirations tirées de récits d’explorateurs et de considérations scientifiques de l’époque.
Intéressant à lire, car Melville est un conteur extraordinaire qui sait captiver son lectorat… Le style est fluide, vivant. Malgré le handicap des notes à aller lire en fin d’ouvrage, ce qui casse sérieusement l’envie de poursuivre la lecture.
Le dossier d’une trentaine de pages qui conclue ce livre apporte un éclairage original sur ces « Iles enchantées ». Michel Imbert établit les résonances/discordances qui unissent et séparent les recherches scientifiques de Darwin et l’œuvre de Melville, romancier passionné par les sciences et par le monde dans lequel il vit.
A découvrir ! Plongeons-nous dans cette aventure écologique…

Meur, Diane. - La carte des Mendelssohn. - S. Wespieser. - 483p. - 25€
Diane Meur, journaliste et germaniste, part sur la piste d’Abraham Mendelssohn (1776-1835), désirant découvrir qui était le fils du philosophe allemand des lumières, Moses et le père de Félix le compositeur (1809-1847).
Commençant son enquête à Paris, elle la poursuit à Berlin et découvre de nombreux ouvrages sur ses sujets. Pour ne pas faire une énième biographie, elle transforme son sujet en un récit de sa propre quête. De découverte en découverte, elle rencontre plus de 700 personnages et son travail de recherche l’amène à composer plutôt qu’une généalogie, une « carte » de cette famille.
C’est étonnant de lire avec quel talent d’écriture et lucidité, elle arrive à passer d’un personnage à un autre avec les itinéraires les concernant. Elle fait une vaste fresque, tout en nous confiant sa démarche et comment elle la vit et s’inscrit dans cette carte.
En suivant ses personnages, elle travaille aussi par thèmes et croisent son sujet avec d’autres personnages. Elle réalise un livre curieux, extrêmement cultivé et original. Ce n’est pas une lecture facile, et est plus complexe qu’une simple biographie. On peut picorer d’un thème à un autre, d’un personnage à l’autre.

Pigani, Paola. - Venus d’ailleurs. - L. Levi. - 170p. - 17€
Au printemps 2001, Mirko et sa sœur Simona, fuyant la guerre du Kosovo avec l’aide d’un passeur, se retrouvent dans un centre de transit à Chambon sur Lignon, avant de se fixer à Lyon où chacun trouve du travail, elle dans une boutique et lui sur un chantier.
Tous deux essaient de se reconstruire à sa façon. Mirko vit dans un foyer, se lie peu avec ses compagnons de travail qui sont, comme lui aussi, venus d’ailleurs ; il paraît plus blessé que sa sœur du vécu de la guerre et souffre de la séparation avec les rescapés de sa famille. Il cultive sa nostalgie en errant dans Lyon et rejoignant des groupes de graffeurs, dans la banlieue, où il va rencontrer Agathe. Simona, elle, a choisi de s’intégrer, suit des cours de français, se débrouille avec les méandres des documents administratifs, se lie facilement et le vigile, le debout-payé de la boutique qui la prend un peu sous son aile. Elle a choisi son avenir : la France, alors que Mirko rentrera au pays après la cessation des hostilités.
En une succession de courts chapitres, l’auteur nous dépeint le quotidien de ces exilés et nous fait entrer dans leurs pensées, loin de tous les poncifs sur le sujet. Le style est très travaillé et poétique, presque lyrique par moments, ce qui me semble un peu décalé par rapport à la réalité des personnages.
Mais ce livre montre combien chaque exil est un cas particulier avec ses douleurs et ses espoirs.

North, Anna. - Vie et mort de Sophie Stark. - Autrement. - Traduit de l’américain. - 376p. - 22€
Dès l’enfance, Sophie Stark montre un caractère passionné. Elle ne ressemble pas aux camarades de son âge. Froide et distante, elle voue très vite une passion obsessionnelle pour la caméra et devient au fil des années une jeune réalisatrice brillante. Mais pour parvenir à ses fins, elle n’hésite pas à sacrifier ses acteurs, souvent des proches, sur l’autel de l’art. Car si Sophie Stark, étoile montante du cinéma indépendant, est géniale et troublante, elle peut se montrer aussi manipulatrice et intrigante. La vie de ceux qui la croisent sur leur route ne sera plus jamais la même après son passage…
Un roman très réussi, dont l’originalité tient beaucoup à sa construction. En effet, la personnalité de Sophie Stark est uniquement mise en lumière via les témoignages de ceux qui l’ont côtoyée. Par touches successives, on découvre son parcours, on comprend qui elle est, on devine ses blessures intimes, on admire son génie. Le paradoxe est que l’on s’attache vraiment à Sophie Stark dont la voix ne se fait pourtant jamais entendre, hormis dans les dialogues avec ses proches. Au final, elle est omniprésente mais demeure insaisissable. Et on a bien du mal à réaliser que Sophie n’est finalement qu’un personnage de fiction !

Raufast, Pierre. - La variante chilienne. - Alma. - 263p. - 18€
Pascal, professeur de littérature, a loué un petit gîte pour les deux mois de vacances d’été, il souhaite s’isoler pour écrire des articles comme il le fait tous les ans. Il emmène avec lui la fille d’un de ses amis, Margaux, une adolescente solitaire, qui est persuadée d’être responsable de la mort de sa mère. Ils rencontrent Florin, un vieil homme un peu étrange qui collectionne des cailloux. Depuis un grave accident dans sa jeunesse, ses souvenirs s’effacent progressivement. Il assimile chacun des moments de sa vie dont il souhaite se souvenir à un caillou. Il en possède une immense collection qui représente toute sa vie.
Florin raconte à Margaux et Pascal l’histoire de son village en ressortant ses cailloux. Des histoires les plus farfelues les unes que les autres s’enchaînent, du potier persuadé qu’il peut entendre la voix de Clovis dans une très vieille poterie au village dans lequel il a plu sans discontinuité pendant douze ans. Florin nous conte des histoires totalement délurées. Une lecture divertissante et drôle.

Ravey, Yves. - Sans état d’âme. - Minuit. - 189p. - 12,50€
Gustave Leroy, un chauffeur de poids lourds, aime Stéphanie, une barmaid. Mais Stéphanie aime John Lloyd, un riche américain qui est venu s’installer dans leur village.
A la mort de son père, Gustave est victime d’une opération immobilière manigancée par la mère de Stéphanie. Stéphanie et Gustave sont pourtant amis d’enfance et voisins.
Puis, un soir, John disparaît. Stéphanie demandera donc tout naturellement à Gustave de mener l’enquête. Gustave acceptera, mais tentera néanmoins de brouiller les pistes. Ce qu’il veut c’est sauver la maison de son père d’une destruction programmée.
C’est sans compter sur l’arrivée d’un autre Américain, portant le même nom de famille que John et à la recherche de son frère.
Yves Ravey fait monter la tension, une fin surprenante. Un petit bijou, certes, mais très noir.

Seurat, Alexandre. - La maladroite. - Rouergue. - 121p. - 14€
Diana, huit ans, a disparu. Ceux qui l’ont approchée dans sa courte vie viennent prendre la parole et nous dire ce qui s’est noué sous leurs yeux. Institutrices, médecins, gendarmes, assistantes sociales, grand-mère, tante et demi-frère… Ce chœur de voix, écrit dans une langue dégagée de tout effet de style, est d’une authenticité à couper le souffle. Un premier roman d’une rare nécessité.
« Diana. Un nom de princesse - mais de princesse brûlée vive. Comme si c’était aider l’enfant qui partait déjà mal dans la vie… - La grand-mère »
120 pages pour relater ce fait divers, La maladroite n’est malheureusement pas qu’un roman. L’auteur s’est inspiré de l’affaire Marina Sabatier, grandement médiatisée à l’époque où le drame s’est déroulé. Suite à la disparition de l’enfant qu’il appellera Diana dans son récit, Alexandre Seurat donne la parole à ceux qui l’ont connu, ceux qui ont été témoin sans pouvoir agir. C’est au fil de leur témoignage que la toile prend forme. L’auteur passe sur les détails sordides du calvaire que l’enfant a vécu tout au long de sa courte existence pour raconter, sans expliquer, le cadre et les circonstances de ce destin tragique. Le récit est court, mais poignant. Le choix de l’auteur de faire parler l’entourage, permet de prendre une certaine distance, de raconter sans placer le lecteur dans la posture du voyeur. Y est transcrit la difficulté d’intervenir, récurrente, dans les cas de maltraitance. Malgré les bleus, les bosses apparentes, l’entourage et même les grandes instances ne seront pas capables de faire cesser les actes de mauvais traitements, freinés par le cadre et les protocoles.

Slocombe, Romain. - Un été au Kansai. - Arthaud. - 20€
Friedrich Kessler est un jeune diplomate allemand, en poste à Tokyo, à l’ambassade du Reich, de 1941 à 1945. Il est fidèle à son Führer, convaincu de la légitimité du Troisième Reich et du bien fondé de ses actes, sans croire à leur atrocité. C’est aussi un rêveur, cultivé, amateur de jazz, féru d’art japonais, collectionneur d’estampes d’Hiroshige, et grand admirateur de la culture japonaise. Il est arrivé à Tokyo en vainqueur en 1941, il en repartira vaincu.
Dans ce roman épistolaire, Friedrich raconte à sa sœur Lieselein, restée à Berlin, sa vie insouciante à l’ambassade où ne résonnent que des échos lointains de la guerre. Le Troisième Reich s’effondre, Berlin est détruite presque entièrement par les bombardements.
Le Japon, épargné par la guerre, est à son tour bombardé, jusqu’à la destruction totale, par l’aviation américaine, de Tokyo le 10 mars 1945. Friedrich, devenu « l’ennemi » pour les Japonais est contraint de fuir sur l’île de Kansaï.
Au fil de ses lettres à Lieselein, nous voyons Friedrich évoluer, d’abord insouciant, badin, puis effaré, inquiet, atterré, et finalement anéanti. Romain Slocombe, dans ce roman très vivant et bien documenté, raconte, à travers la guerre de Friedrich, le quotidien des perdants de la Seconde Guerre mondiale.

Turkheim, Emilie de. - Popcorn Melody. - H. d’Ormesson. - 18€
Popcorn Melody raconte la vie de Tom qui tient une supérette dans un petit bled poussiéreux du Midwest américain. Mais ce n’est pas un commerçant ordinaire : il se plaît à composer des haïkus sur les clients qui entrent dans sa boutique, il les écoute se confier à lui, confortablement installés sur l’ancien fauteuil de barbier de son père… Parallèlement, on découvre l’environnement de Tom et de ses voisins : l’usine de popcorn voisine, le désert, la chaleur et l’ennui…
Nous suivons les histoires de plusieurs personnages : la vieille géologue Fleur, amatrice de whisky japonais ; Matt, l’instituteur du village jusqu’à un âge avancé ; la mère de Tom aux origines indiennes ; Dennis, l’agent littéraire un brin escroc ; en attendant que tout se recoupe, mais le texte est parfois long et on perd le fil dans toutes ces histoires. Il y a peu d’action, le récit n’est pas linéaire et surtout on ne voit pas d’intrigue principale, à part la vie de Tom qui défile par à-coups. Cependant, l’écriture presque poétique et parfois loufoque rend agréable la lecture, même si j’ai parfois dû me forcer à terminer le chapitre.

Winter, Solomonica de. - Je m’appelle Blue. - L. Lévi. - Traduit de l’américain. - 236p. - 18€
C’est l’histoire d’une adolescente de 13 ans, traumatisée par la mort de son père. Elle s’appelle Blue, de son véritable prénom, Mélodie. Ses parents Ollie et Dany tenaient un restaurant. Elle était heureuse jusqu’à ce que ses parents s’endettent auprès de James, qu’elle voudra tuer pour se venger. En effet, pour le rembourser, Ollie braque une banque et se fait tuer. Puis, sa mère se drogue.
Cinq années se sont écoulées, Blue se sentant délaissée deviendra « une fille sans mots, mais son esprit n’est pas lent ». Son refuge, un livre, dernier cadeau de son père : Le magicien d’Oz, son bien le plus précieux. Grâce à la lecture, elle s’évade, oublie le monde réel. Elle développera un amour obsessionnel pour cette nouvelle famille, surtout pour Dorothy. Elle tombe amoureuse de Charlie, l’épicier, lui aussi passionné par le magicien d’Oz. Elle confie ses rêves, ses peurs, ses obsessions de vengeance, tout cela par écrit à son médecin.
Le premier roman d’une jeune auteur de 18 ans, dans lequel fiction et réalité sont indissociables. Le titre original est Over the rainbow. C’est au-delà de cet arc-en-ciel, dans ce monde imaginaire, que Blue aime se réfugier.