Sélection Petits éditeurs - mars 2018

BiB92 - Commission Petits éditeurs Mars 2018

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Almendros, Vincent. - Faire mouche. - Minuit. - 128p. - 11,50€
POUR :  (2 avis)
Laurent se rend au mariage de sa cousine Lucie, qu’il n’a pas vue depuis longtemps. Il profite de ce séjour pour présenter sa compagne à ses proches, Constance, dont il attend un enfant.
Mais l’apparence lisse des choses ne tarde pas à se lézarder : Constance n’est pas Constance, mais Claire, une amie de longue date, et n’est peut-être pas enceinte... Les retrouvailles avec la mère sont glaciales : le souvenir de la mort du père de Laurent plane encore sur eux tous, et la mère, qui a refait sa vie avec le frère du défunt, a une pratique toute personnelle de la cuisine... Et puis, il y a aussi les appels de Luc, le frère de Constance, qui s’inquiète de ne pas réussir à joindre sa sœur…
Une réunion de famille qui fait ressurgir des secrets enfouis. Une ambiance qui tourne irrémédiablement au vinaigre.
Un vrai régal !!! Un peu dans la même veine que les romans d’Yves Ravey, avec moins d’humour et davantage de noirceur...

CONTRE :  
A l’occasion du mariage de sa cousine, Laurent revient dans son village natal, accompagné d’une jeune femme qu’il fait passer pour sa compagne. Il retrouve sa mère, à qui il a été enlevé petit pour maltraitance, et son oncle.
Roman plutôt bien construit : une grande économie de moyens qui installe une atmosphère d’étrangeté et qui fait penser au Bret Easton Ellis de Moins que zéro. Beaucoup de lieux communs psychologiques et une chute devinée assez rapidement empêchent d’être vraiment séduit(e).

Bernard, Michel. - Le bon cœur. - La Table ronde. - 233p. - 20€
En 1429, une jeune fille, paysanne illettrée, venue de Lorraine, entend des voix célestes dans son jardin. Dès lors, elle se consacrera à sa mission divine : libérer Orléans des Anglais et mener Charles VII à Reims pour qu’il soit sacré Roi de France. Jeanne d’Arc !
Je ne suis pas entrée rapidement dans l’histoire, la narration descriptive et teintée de lyrisme ne m’a pas captivée. Toutefois, le récit n’est pas mal construit. A la manière d’un chroniqueur de l’époque, Michel Bernard relate cet épisode de l’Histoire de France et donne vie à Jeanne d’Arc. Le livre est ponctué de jolies cartes pour chaque étape de son périple. Le lecteur retiendra l’image d’une femme audacieuse et droite, qui entame la libération de la France, alors que celle-ci restait soumise et divisée. Haïe pour cela des Anglais, lâchement accusée d’hérésie par les hommes, la Jeanne d’Arc dépeinte par l’auteur n’est pourtant pas une fanatique, mais bien plus une femme dotée d’une foi solide, dont la droiture et l’audace inspire le respect : un beau symbole pour les Français.
PRIX FRANCE TELEVISION (ROMAN)

Bérot, Violaine. - Tombée des nues. - Buchet-Chastel. - 160p. - 16€
Nous sommes dans un village pyrénéen. Marion ne sait pas qu’elle est enceinte et le découvre au moment où elle donne la vie dans une baignoire, en urgence. Elle est dans ce qu’on appelle un déni de grossesse. L’auteur nous raconte l’événement à travers le récit des villageois (Dédé, le montagnard, Tony, l’ami, la sage-femme, l’ancienne institutrice et enfin le mari) et d’une façon atypique.
Ce récit se fait par une lecture double. D’abord, nous pouvons faire une lecture classique ou traditionnelle, linéaire, du mardi au vendredi, ou bien nous pouvons faire une lecture guidée par personnages et par petits chapitres en suivant les renvois numérotés entre parenthèses. C’est en cela que ce roman est créatif et original. Les voix de chaque personnage s’imbriquent les unes dans les autres tel un puzzle. Chaque personne a sa version de l’événement et joue sa partition au milieu de « l’orchestre ».
Au début, on est un peu perdu, puis on reconnaît chaque voix à son style et ça devient ludique par ce jeu d’écriture. La lecture est fluide, rythmée, intense.
L’auteur ne nous donne pas d’explication à ce déni.
Ce troisième roman de Violaine Bérot est aussi bon que les précédents.

Biancarelli, Marcu. - Le massacre des innocents. - Actes Sud. - 293p. - 21€ 
En 1629, le Batavia, un navire affrété par la Compagnie hollandaise des Indes Orientales, s’échoue sur un récif, au large de l’Australie. A son bord, plus de trois cents personnes, marins et soldats, mais aussi des passagers, dont Lucretia Jans. De très nombreux rescapés trouvent refuge sur les îlots de l’archipel, avant que le subrécargue et quelques officiers ne les abandonnent pour tenter de rejoindre Java sur une embarcation de fortune.
Le temps que les secours arrivent quelques semaines plus tard, plus de cent personnes innocentes sont massacrées sous les ordres de Jeronymus Cornelisz, assistant subrécargue. De nombreux naufragés, terrorisés, participent à la tuerie sous la contrainte, tandis que Weybbe Hayes, un soldat, tente de s’opposer à ce massacre. Il organise la résistance sur l’île dans laquelle on l’a relégué avec ses compagnons.
Les responsables du massacre sont alors jugés et condamnés, et Weybbe Hayes est considéré comme un héros.
Inspiré d’un fait réel, Le massacre des innocents donne la part belle à la psychologie des trois personnages principaux, Jeronymus Cornelisz, Weybbe Hayes et Lucretia Jans, sans jamais tomber dans le manichéisme. Weybbe Hayes, notamment, est hanté par son passé de soldat. Il pense trouver la rédemption en s’opposant à Jeronymus. Lucretia est une femme forte et battante, qui doit pourtant se donner à Jeronymus pour survivre. La naissance de sa relation avec Weybbe est très finement décrite.
Le roman est construit en dix-huit tableaux. L’écriture est très visuelle. On est emporté dans le rythme du roman et on ne le lâche pas.

Didierlaurent, Jean-Paul. - La fissure. - Au diable vauvert. - 327p. - 18€
Xavier Barthoux, père de famille et agent commercial dans une entreprise de nains de jardin, mène une vie ordinaire. Un jour, il découvre une fissure dans la façade de sa maison de campagne. C’est alors que cette fissure semble s’étendre sur tous les aspects de sa vie : sur ses figurines, sur son chien qui se brise une patte, etc… L’un de ses nains de jardin commence même à lui parler. Il décide alors de chercher l’origine de la fissure : dans le mur, dans les fondations,  jusqu’à l’autre côté de la terre.
Le héros ne fait jamais face aux conséquences de ses actes (qui ne sont pas forcément irréprochables). Un petit roman assez absurde, mais très plaisant à lire.

Graff, Laurent. - La méthode Sisik. - Le Dilettante. - 154p. - 15€
Dans un futur très lointain, on nous apprend que le monde vit un scenario apocalyptique : les gens passent en permanence aux capteurs de pensée, ce qui entraîne de nombreuses dérives sécuritaires. 60 % de la population est incarcérée. Par exemple, on punit par avance les meurtres commis en pensée à la peine de prison éternelle. Pour cette invention, les scientifiques se sont inspirés de la vie d’un homme qui a atteint cent vingt ans. Ce vieillard asocial, Grégoire Sisik, ancien archiviste à la retraite depuis 1995, s’est organisé une vie routinière, composée de journées parfaitement identiques, faites de répétitions maniaques. En abolissant toute émotion, il a réussi à abolir le temps lui-même : « A force de se répéter, de se réitérer à l'identique, les choses et les jours se figeaient, toute chronologie disparaissait au profit d'un seul et unique événement : une journée. J'entrepris de corriger ou de supprimer tout agissement non reproductible au quotidien. »
Sa méthode de neutralisation du temps en une journée est utilisée aussi pour un voyage vers une nouvelle planète habitable. Mais un jour, ce parfait système se dérègle et remet  tout en cause…
Entre fable philosophique et roman d’anticipation, ce petit livre très drôle, mais satirique et même parfois grinçant qui n’a l’air de rien, aborde des sujets fondamentaux.
Ce livre se lit « sans faim » et c’est un régal !
2eme avis :
Un homme, Grégoire Sisik, a réussi, à force de répéter inlassablement, jour après jour, les actions et les gestes du quotidien, à figer le temps : l’administration finit par se rendre compte qu’il est quasiment devenu « immortel ». Les experts s’intéressent à son cas et tentent de reproduire l’expérience sur un groupe de volontaires…
Ce roman est divisé en trois temps : un premier dans lequel un homme qui a tué sa femme et ses enfants est condamné à l’atemporalité (pire que l’éternité), un deuxième temps (le plus long) dans lequel la méthode de Grégoire Sisik pour « figer » le temps est expliquée, un dernier temps dans lequel l’expérience est proposée à des volontaires.
Une belle réflexion sur le temps qui passe : un temps qu’on redoute mais qui donne finalement du sens à notre existence, qui nous permet de construire notre humanité. De la SF soft, lisible par tous. Un roman original.

Guay-Poliquin, Christian. - Le poids de la neige. - L’Observatoire. - 249p. - 19€
C’est l’hiver, il neige de façon quasi ininterrompue, et il n’y a plus d’électricité depuis plusieurs semaines. Un homme est victime d’un accident alors qu’il venait rendre visite à son père. Il se retrouve dans une maison isolée, à l’écart du village. Il est soigné par Matthias, un vieil homme venu de la ville, échoué là par hasard et à qui on a promis, en contrepartie des soins prodigués, de pouvoir retourner chez lui. Bientôt les réserves de nourriture s’épuisent, la solidarité entre les habitants se fissure et la mort guette…
Au fil des pages et par touches successives, l’auteur parvient habilement à faire monter la tension. Il use pour cela d’un style concis, parfois minimaliste, mais qui a pour effet de rendre le calme apparent de plus en plus oppressant. La lenteur avec laquelle se met en place l’intrigue n’est pas gênante. Elle colle parfaitement à l’image de cette neige qui ne cesse de tomber : étouffante, mais implacable. Le malaise s’installe, la curiosité également.
Ce roman dégage une « certaine atmosphère » qui nous poursuit bien après l’avoir refermé. Passionnant et inquiétant… mais surtout très réussi !

Hornakova-Civade, Lenka. - Une verrière sous le ciel. - Alma. - 205p. - 18,50€
Sur le quai de la gare de l’Est à Paris, en 1988, Ana balance un court instant avant de refuser de monter dans le train qui la ramènerait vers Prague. C’est le jour de ses 18 ans, elle vient de récupérer son passeport à la fin d’un camp d’été passé en France. Et le premier choix de sa toute récente majorité sera de dire « non », non au retour dans son pays.
Ana nous livre alors le récit poignant de cette vie imprévue, où elle pense avoir fait le choix de la liberté, et qui sera d’abord une errance à la rencontre d’un pays dont elle ignore tout, à la rencontre de ceux qui la prendront de près ou de loin en amitié, à la rencontre de l’art, -poésie, peinture, sculpture- et enfin à la rencontre d’elle-même.
L’écriture, sensible et impressionniste, nous fait partager au plus près les ressentis de la jeune fille livrée à l’inconnu, et capable de saisir toutes les opportunités qui s’offrent à elle pour simplement grandir, et se découvrir. Au prix des chagrins, des séparations, son regard qui s’ouvre au monde lui permettra de relier son passé au futur.
Un récit un tout petit peu long parfois, mais c’est vite oublié dans la deuxième partie et jusqu’à la fin.

John, Elnathan. - Né un mardi. - Métaillé. - Traduit de l’anglais (Nigeria). - 259p. - 18€
Un soir d’émeutes, pris en chasse par la police, Dantala doit s’enfuir. Sans famille, il trouve refuge à Sokoto, auprès d’un imam salafiste. Il apprend l’anglais avec son ami Jibril, tombe amoureux, psalmodie l’appel à la prière, lit tout ce qu’il peut. Le gamin naïf mais curieux découvre l’étendue de ses contradictions et la liberté de la pensée, et gagne sa place et son nom dans un monde chaotique et violent. Alors que les tensions entre communautés ne cessent de croître, un imam irascible fait sécession et part à la campagne fonder une secte extrémiste.
Loin de l’exotisme et du tiers-mondisme bien-pensant, Elnathan John nous emmène dans une région dont on ignore presque tout : harmattan, poussière des routes, vendeurs de koko, et le goût du dernier morceau de canne à sucre -le meilleur. On brandit des machettes, on assiste à des matchs de lutte, on prend toutes sortes de transports, on marche, on court, on aime, on est Dantala de bout en bout, passionnément.
Un roman fort et inoubliable qui raconte l'enfance, puis l'adolescence de Dantala, dans un contexte de misère, de brutalité et de cruauté.
Elnathan John a le don d'utiliser, sans alourdir son style, des expressions d'origines linguistiques différentes.
Premier roman, bien écrit, au rythme soutenu, qui fait découvrir le Nigéria et la montée de l’intégrisme religieux à travers le prisme d’un adolescent.

Josse, Gaëlle. - Une longue impatience. - Noir sur Blanc, Notabilia. - 190p.- 14€
Les journées d’Anne sont faites d’attente : elle attend désespérément le retour de son fils aîné, Louis. Quand elle a accepté d’épouser Etienne, il lui avait promis de considérer Louis comme son propre fils, mais la réalité est parfois différente de la volonté. Etienne a été trop violent lors de leur dernière incartade, Louis ne l’a pas supporté, il a quitté la maison et s’est embarqué en tant que marin pêcheur, comme l’était son propre père.
Depuis, Anne attend…
Un récit tendre et poignant sur les relations humaines, durant lequel le lecteur ressent et partage les sentiments d’Anne.

Lambert, Jérôme. - Chambre simple. - L’Iconoclaste. - 180p. - 17€
Ce huis clos se déroule dans une chambre d’hôpital, autour du personnage central, Julien, qui vient de subir une terrible crise d’épilepsie qui l’a envoyé en service de neurochirurgie. Pour éviter toute nouvelle crise, Julien doit rester allongé, immobile, et observer impuissant les jours et sa vie défiler. Le roman nous narre également les pensées d'Ellia, infirmière dévouée qui, même après des années d'exercice, ne parvient pas à ne pas penser à ses patients après son travail ; de Maxime, infirmier lui aussi, qui arrive de moins en moins à tenir le choc ; de Marco, un autre patient qui ne compte plus ses séjours à l'hôpital ; et de Roman enfin, l’ex-amoureux transi qui raconte ses visites tout en se remémorant avec beaucoup de tendresse leurs moments de bonheur absolu. L’intérêt du livre est de nous faire ressentir au plus près les états d’âme et les souffrances des patients, mais également des soignants et des proches. Un livre triste mais aux accents très justes et plein d’humanité.

Mytting, Lars. - Les seize arbres de la Somme. - Actes Sud. - Traduit du norvégien. - 421p. - 23,50€
En 1991, Edvard Hirifjiell, 23 ans, vit avec son grand-père, dans une ferme en Norvège. Ses parents sont morts en 1971, au cours d’un voyage en France. Les circonstances de leur décès sont étranges : pendant qu’ils se noyaient dans un étang de la Somme, Edvard, alors âgé de trois ans, disparaissait pendant quatre jours. Il n’a aucun souvenir de ces événements.
A la mort de son grand-père, le jeune homme apprend que ce dernier doit être inhumé dans un magnifique cercueil en bois précieux, arrivé des îles Shetland, en 1977. Il aurait été confectionné par Einar, son grand-oncle, un ébéniste de renom. Edvard est perplexe. Officiellement, Einar est censé avoir été abattu en 1944, par la Résistance, à l’endroit où ses parents trouveront la mort, vingt-sept ans plus tard.
Que s’est-il passé à Authuille pour que trois membres d’une même famille y perdent la vie ? Edvard mène l’enquête, s’échappant, pour quelques semaines, de son destin tout tracé de producteur de pommes de terre. Des îles Shetland mélancoliques aux champs de bataille minés de la Somme, il parcourt l’espace et le temps. Exhumant des secrets de famille enfouis depuis des décennies dans la gangue de l’Histoire de l’Europe, Edvard ressortira grandi de cette quête aux origines.
Une plume magnifique, empreinte de nostalgie. On ne sort pas indemne de ce roman qui décrit si bien les secrets du bois et le destin tragique des hommes, emportés par le souffle de l’Histoire.
Un petit bijou norvégien.

Osorio, Elsa. - Double fond. - Métaillé. - Traduit de l’espagnol (Argentine). - 397p. - 21€
Le corps sans vie d'une femme est retrouvé sur une plage près de Saint-Nazaire. Il s'agit apparemment de Marie Le Boullec, médecin. Accident ? Suicide ? Meurtre ?... La journaliste qui traite les faits divers pour un journal local se lance dans une enquête plus complexe qu'il n'y paraît. Car Marie Le Boullec, qui a des origines franco-argentines, est morte noyée, plusieurs de ses membres ayant été brisés, ce qui n'est pas sans rappeler le sort réservé à un grand nombre d'opposants à la dictature argentine, qui se débarrassait à l'époque assez souvent de ses prisonniers en les jetant d'un avion survolant la mer, anesthésiés...
Un roman très bien écrit et très prenant, qui mêle enquête historique, suspense policier et histoires d'amours et de familles. L'auteur a profité d'une résidence à la Maison des écrivains pour écrire sur un moment de l'histoire de son pays qui lui tenait particulièrement à cœur (plus facile pour elle d'écrire sur ce sujet en France qu'en Argentine).

Oultremont, Odile. - Les déraisons. - L’observatoire. - 219 p. - 18€
Adrien est en procès. Ancien employé de la société Aquaplus, il a passé un an loin de son travail, sans que personne ne s’en rende compte. Durant toute cette année, il s’est occupé de Louise, sa femme, artiste peintre et fantasque, atteinte d’un cancer.
Les personnages sont, au départ, assez clichés. Mais on compatit rapidement avec Adrien et on suit l’histoire de son procès et de son histoire d’amour avec intérêt. La relation entre lui et Louise est émouvante.

Paris, B.A. - Défaillances. - Hugo. - Traduit de l’anglais. - 394p. - 20€
Un soir d’orage, Cassandre prend un raccourci à travers la forêt pour rentrer plus vite chez elle. Sur cette route isolée, elle dépasse une voiture garée sur le bas-côté. Après des hésitations, elle décide de continuer son chemin, sans proposer son aide à la femme qui se trouve seule à l’intérieur. Le lendemain, quand elle apprend que celle-ci a été assassinée et qu’en plus, c’est une de ses amies, Cass est rongée par la culpabilité et ne dit à personne qu’elle était sur le lieu du crime. Très vite, elle reçoit quotidiennement des coups de fil anonymes, ce qui la persuade que l’assassin l’a vue et la traque. Et puis, ses nombreuses pertes de mémoires (ses défaillances) lui font craindre qu’elle bascule dans la folie, maladie dont souffrait sa mère. Mais ni son mari Matthew, ni sa meilleure amie Rachel ne comprennent ses angoisses.
C’est un thriller psychologique (on suit de loin l’enquête sur le meurtre). L’auteur décrit parfaitement la tension et les angoisses de Cass : devient-elle folle ou simplement paranoïaque ? Et même si on se doute qu’il y a une machination, on ne sait pas de qui elle émane... Malgré quelques maladresses (quelques longueurs dans le récit, des réactions de l’héroïne très différentes entre le début et la fin, mais je ne peux pas en dire plus sans dévoiler la chute), le roman est fluide, l’histoire fonctionne bien : j’ai d’ailleurs lu les 200 dernières pages d’une traite, tant j’avais hâte de connaitre le dénouement plutôt surprenant...

Pascal, Caroline. - Juste une orangeade. - L’Observatoire. - 245p. - 19€
L’éternel thème des relations mère/fille constitue l’épine dorsale de ce joli roman tendre  mais cruel, et très bien construit.
Raphaëlle, quinquagénaire heureuse en ménage, est mère de deux grands enfants. Elle s’épanouit dans son métier d’agent immobilier. Elle est pourtant sujette à des crises d’angoisse et possède une imagination fertile, mais morbide. Très liée à sa mère, septuagénaire veuve depuis fort longtemps suite au décès tragique de son mari, Raphaëlle échafaude les pires scénarios quand celle-ci n’est plus joignable. Ses proches essaient de la rassurer car Laurence, sa mère, aime par-dessus tout la liberté et peut se montrer fantasque, voire imprudente. Absente, elle est pourtant le personnage central de ce récit où l’inquiétude monte crescendo. De cette figure maternelle complexe, Raphaëlle découvre parfois avec douleur qu’elle connaît finalement bien peu de choses…
Une grande justesse psychologique caractérise cette fiction et l’écriture élégante et soignée en souligne la qualité émotionnelle.

Perry, Sarah. - Le serpent de l’Essex. - Bourgois. - Traduit de l’anglais. - 378p. - 20€
Angleterre, fin du XIXème siècle : Cora Seaborne vient de perdre son époux. Elle pourrait être triste, sauf que son récent veuvage est pour elle une libération. Son défunt mari était en effet un pervers narcissique. Il a sapé toute la confiance qu’elle avait en elle.
Passionnée de sciences et résolue à vivre son veuvage comme elle l’entend, Cora quitte Londres pour s’installer à Aldwinter, dans l’Essex, où l’on vient de découvrir des gisements de fossiles. Elle est accompagnée de Francis, son fils autiste, et de Martha, sa nourrice, dévouée corps et âme à la jeune femme. Cora est régulièrement visitée par le Dr Luke Garrett, médecin de famille, qui l’aime secrètement.
Aldwinter est loin d’être une petite ville tranquille. Les gens murmurent qu’un serpent monstrueux, surgi de l’estuaire du Blackwater, aurait tué un homme le jour de l’An. La peur s’installe. Chaque personne qui a vu le monstre le décrit de manière différente. Cora décide de mener l’enquête, n’hésitant pas à braver les conventions sociales. Elle fait alors la connaissance de William Ransome, pasteur et père de famille. Ils apprennent à se connaître. S’ensuivent entre eux des débats enflammés portant sur la science et la religion.
Un roman d’ambiance victorienne, avec de petites touches de fantastique. Le monstre n’est qu’un prétexte.
L’histoire est lente, mais intéressante. Elle décrit la reconstruction d’une femme, autrefois écrasée par son époux.

Rock, Peter. - Les indécis. - Rue Fromentin. - Traduit de l’américain. - 243p. - 23€
Léon, Chris et Kayla sont trois adolescents un peu à part. Ils traînent dans les rues de Portland, observent le monde et les adultes avec fascination. Nathalie, une femme énigmatique vivant dans une caravane, leur propose de collecter des fils électriques, ce qu'ils acceptent. Mais le jour où Léon est électrocuté, son comportement change, particulièrement vis à vis de Nathalie.
Peter Rock nous livre ici une touchante histoire d’amitié entre jeunes ados, qu’il traite avec bienveillance, hors des clichés condescendants. Ajoutons à cela une intrigue nimbée d’étrangeté brumeuse, à mi-chemin entre réalisme et fantastique, un mystère qui, à défaut d’installer le récit dans un suspense terre à terre, tient malgré tout en haleine de bout en bout.

Scianna, Giorgio. - Manquent à l’appel. - L. Lévi. - Traduit de l’italien. - 206p. - 18€
Quatre adolescents sans problèmes ne rentrent pas de leurs premières vacances entre ados, en Grèce. Aucune nouvelle n’arrive. Ils sont recherchés et les dernières nouvelles données par les autorités, les situent en Turquie. En novembre, l’un d’eux, Lorenzo, réapparaît un soir, lors d’une réunion régulière de tous les parents qui échangent sur l’enquête. Il est choqué, silencieux, comme une ombre. Il brisera son silence en apprenant l’assassinat, en Syrie, de Roberto.
Il raconte leur recrutement par l’intermédiaire d’une lycéenne tunisienne, Nadine. Lui a été refoulé par le passeur, en montagne, à cause d’une jambe qui boîte. Les images sur le site internet montraient les centres d’entraînements comme de super camps sportifs de jeunes, « d’enfer » …
Lorenzo reprend contact avec Nadine pour avoir de l’argent, et, discrètement, en pleine nuit, repart à Athènes, puis sur l’île de Kos. Il espère y retrouver ses amis survivants, car ils s’étaient promis de s’y retrouver, à Noël, au cas où tout échouerait, ou s’ils étaient séparés. La réunion a lieu et les trois garçons, bien qu’amochés par ce qu’ils viennent de vivre, sont toujours partant pour continuer la route… Pourtant à aucun moment, ils ne parlent de Daech.
C’est un sujet sensible, très actuel, il ne s’agit plus de la route de Kerouach, pas non plus du Joueur de flûte de Hamelin (titre du premier chapitre) avec le jeune boiteux qui est abandonné. Mais c’est un mythe, une insatisfaction profonde, et encore, qu’est-ce qui attire des jeunes sans problèmes apparents vers cette fuite de leur quotidien vers des horizons qui ressemblent à des mirages ou à des cauchemars ?
L’auteur est Italien et a déjà publié un livre parlant de la jeunesse.

Seurat, Alexandre. - Un funambule. - Le Rouergue. - 83p. - 16€
Un jeune homme se réfugie au bord de la mer, dans la maison de vacances familiale. Alors qu'il se sent comme un funambule qui marche au-dessus du vide, tout est organisé pour qu'il parte rejoindre ses parents pour la fête des mères. Mais il se trompe de train. Après une nuit d'errance dans une gare, il se rend avec son père à un rendez-vous médical dont il ignore tout.
Ce troisième roman d’Alexandre Seurat est surprenant. Le narrateur omniprésent occupe tout l’espace, toute la page, et même au-delà. Ses réflexions et son rapport au monde (avec toute la violence que cela représente pour lui) entraînent le lecteur dans une sorte de spirale du vide. Le style concis, net et tranchant illustre de façon paradoxale le sentiment d’incertitude totale et de perte de soi-même dans lequel il se trouve. Aussi, la lecture de ce roman peut être parfois étouffante ou angoissante, tant le rien ou le néant peuvent sembler tout engloutir et emporter sur leur passage.
A conseiller à des lecteurs en forme moralement !

Szabouski, François. - L’amour est une maladie ordinaire. - Le Tripode. - 256p. 17€
« Ce qu’il faut dans la vie c’est donner de l’amour, pas être obnubilé par celui qu’on reçoit des autres. »
François aime Marie. Pour conserver son amour intact, il décide de disparaître, jusqu’à devenir invisible. Son complice se nomme Didier, enfin c’est un prénom d’emprunt, car cet homme est amnésique…
La tonalité de ce roman relève de l’absurde, c’est un style grinçant parsemé d’humour noir. Il y a des jolies métaphores filées sur l’invisibilité dans notre société, sur la schizophrénie. Une pépite à déguster et à partager.

Tonnelier, Fanny. - Pays provisoire. - Alma. - 249p. - 18€
Fanny Tonnelier, dans ce premier roman documenté, s’intéresse au destin, peu connu de ces Français, nombreux, partis tenter leur chance en Russie aux XVIIIe et XIXe siècles. Ils y étaient appréciés et ils y ont souvent réussi.
C’est le cas d’Amélie Servoz, partie seule à Saint-Pétersbourg, reprendre la boutique de modiste d’une tante émigrée depuis de nombreuses années. Amélie a du talent, sa boutique est florissante, jusqu’à la révolution de 1917...
Le récit alterne entre présent et passé, péripéties du voyage de retour en France et les débuts d’Amélie, plumassière, puis modiste à Paris.
La fuite dans une Europe à feu et à sang est rocambolesque à souhait, le personnage d’Amélie courageux et lumineux. Aucun obstacle ne lui résiste !
C’est un pan de l’histoire qu’on découvre avec plaisir. L’intrigue est bien menée. De plus, Amélie nous fait partager sa passion pour son métier.
Un roman plein d’optimisme, à l’écriture fluide,  très agréable à lire !

Zaoui, David. - Je suis un tueur humaniste. - Paul & Mike. - 232p. - 16€
Babinsky, né dans un orphelinat a hérité d’un don : celui de ne jamais rater sa cible ! Il tire et vise comme personne. Il se fait adopter par Cyrus, son professeur de sport qui s’avère être un professionnel, travaillant pour un syndicat du crime… Il va dès lors le prendre sous son aile et lui apprendre les ficelles du métier de tueur à gages. Babinsky accepte ce métier. Personnage atypique, il décide tout de même d’avoir une certaine éthique en tant que liquidateur ; il est humaniste et le restera. Pour cela, il met un point d’honneur à rendre les gens heureux avant de les tuer !
Un premier roman amusant, léger, original, qui se lit rapidement avec un personnage principal attachant qui soulève des sujets intéressants. L’écriture est simple et efficace, les dialogues nous font rire. J’ai passé un bon moment de lecture.