Commission Petits éditeurs de janvier 2019

Commission Petits éditeurs BiB92 – Sélection Janvier 2019

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A la fin du XIe siècle, le narrateur, après avoir combattu, est désormais jardinier dans un couvent près de Montpellier. Il nous raconte ses pérégrinations, lorsqu’il était le page et serviteur de Raimondus, lui-même au service du Comte de Toulouse. Son maître lui apprend le provençal, à lire et à se battre, car il part en pèlerinage lors de la première croisade (1096-1099) menée par Raymond de Saint-Gilles et son armée de Provençaux, pour libérer Jérusalem des infidèles. Dieter évoque l’affrontement avec les Turcs au cours duquel son seigneur est tué. Fait chevalier, il se rapproche inexorablement de Maria de Toulouse, la veuve du comte, qu'il aime depuis toujours...
Même si Le pèlerinage est un passionnant roman d’aventures, de batailles, c’est aussi une réflexion sur la loyauté, la trahison et la perfidie humaine. On s’interroge sur la légitimité des croisades où l’on tue au nom de l'amour d'un dieu, sur la mort, la liberté de penser et de croire. Les personnages sont forts, mais en plein doute. Ils combattent dans des conditions effroyables ; on tue ou on est tué. Dieter, amoureux et croyant, ne sait plus qui sont les infidèles, mais doit continuer à combattre aux côtés de son maître. Il découvre l'amitié virile, qui lie les hommes à mort et qui oblige à faire confiance.
Un roman au travail minutieux, documenté et bien rendu, judicieusement découpé en petits paragraphes pour faciliter la lecture. Pour écrire ce roman, pendant dix ans, l’auteur a étudié et a visité les principaux lieux de bataille en Terre Sainte. Il a prévu une suite, ce qui explique que le roman ne se termine pas à la fin…
Le pèlerinage a reçu en 2010 le Prix de littérature de l'Union européenne.
Aleksejev, Tiit. - Le pèlerinage. - Intervalles, Sémaphore. - Traduit de l’estonien. - 344p. - 23€

Valentine, 48 ans, divorcée, séjourne en Corrèze, chez sa mère et Léon le chat, afin de fuir des angoisses et de lâcher prise. Elle essaie de rédiger un guide d’éducation sexuelle pour les ados. Elle est rejointe par son frère Fred, au bord du divorce.
En fouillant dans la bibliothèque familiale, elle retrouve des photos de classe. Intriguée par une silhouette entièrement recouverte au marqueur noir, Valentine entreprend des recherches pour découvrir le secret. Elle plonge dans ses souvenirs des années 70, bercés par les soirées à l’Eden-club et l’inoubliable Diabolo menthe. Au fil de la narration, elle mûrit et décide d’affronter la réalité.
C’est Fred qui la met sur la piste de l’identité de l’enfant et son importance pour eux. En pleine tourmente, Valentine et Fred doivent "digérer" des secrets de famille, secrets d'autant plus violents qu'ils les obligeront à effacer l'image idéalisée de leurs parents. Les liens fraternels sont au cœur du livre.
Ce roman touchant et nostalgique dépeint avec tendresse et humour des personnages plein de doutes, mais d'énergie aussi. Suite à un épilogue inattendu, c’est un nouveau départ pour une héroïne attachante avec ses complexes, une héroïne forte malgré ses faiblesses.
Bondoux, Anne Laure. - Valentine ou la belle saison. - Fleuve. - 406p. - 19€

Dans les deux premiers tomes de cette série, Sera a appris qu’elle avait été conçue par Diotech pour être supérieure aux humains. Ce laboratoire effaçait régulièrement sa mémoire afin de manipuler ses souvenirs. Elle décide de s’échapper avec Zen, le fils d’une des scientifiques. S’ensuit une longue course pour se soustraire au laboratoire.
Au début du troisième tome, Sera est de nouveau chez Diotech, sa mémoire a été altérée. Elle est maintenant persuadée que Zen l’a manipulée et tenté de détruire Diotech. Elle se prépare à devenir l’image des nouveaux produits qui seront vendus par le laboratoire. Mais Sera se pose de plus en plus de questions sur Diotech et ne peut s’empêcher de penser à Zen.
Ce dernier tome finit très bien cette trilogie. Chaque livre nous permet de comprendre les aspects de la manipulation du laboratoire Diotech.
Un bon roman de SF Young adult.
Un film serait en préparation.
Brody, Jessica. - Inaltérable, série Unremenbered, vol. 3. - Au diable vauvert. - Traduit de l’anglais. - 518p. - 20€

POUR :
Dans sa préface, Graeme Macrae Burnet veut nous faire croire qu’un Raymond Brunet aurait écrit l'histoire d'Adèle Bedeau en 1982, ensuite mise en scène par Claude Chabrol en 1989, film qui aurait «fait l'objet d'un certain culte». Les amateurs d'anagrammes apprécieront cette supercherie, mais curieusement ni Brunet ni le film n'existent !
De plus, l'écrivain écossais nous étonne en nous immergeant dans une petite ville alsacienne, dans les années 80, en créant un sentiment d'immobilisme qui transpire à chaque page, avec des protagonistes englués dans leur routine.
Manfred Baumann est l'archétype du vieux garçon transparent et introverti. D'une timidité maladive, s'habillant de façon neutre, craignant le regard d’autrui et les moqueries, il n'a jamais pu nouer une relation avec une femme et doit fréquenter une maison close. Il veut se fondre dans le décor et passer inaperçu. Ce célibataire vit une existence morose, emplie de rituels immuables. Toute sa vie est réglée au millimètre, sans fantaisie.
Le responsable de banque est un habitué du restaurant La Cloche, où il prend toujours le plat du jour, assis à la même place, tout en fantasmant sur Adèle Bedeau, la serveuse. Quand celle-ci disparaît, l'inspecteur Gorski s'empare de l'affaire avec une certaine avidité. Le flic taiseux et tenace considère Manfred comme suspect crédible. L’auteur relate les interrogatoires, les positions des deux protagonistes, qui jouent au chat et à la souris. Leur face à face se transforme en duel psychologique : détermination et obstination pour l'un, affolement et perte de contrôle pour l'autre. Jusqu'à la fin, on s’interroge sur ce qui est arrivé à Adèle Bedeau.
Cette histoire pourrait paraître banale, mais l'auteur instaure une atmosphère pesante, avec un côté suranné, digne de Simenon. C'est là tout l'intérêt de ce roman brillant et atypique. Burnet décortique les mœurs provinciales d'une petite ville endormie. Ce récit psychologique tient par l’observation fine des deux personnages principaux, tous deux meurtris par la vie. A défaut d’action, l'auteur dissèque ses personnages, avec la minutie d'un médecin légiste. Il donne chair à ses « héros » figés dans leurs habitudes, on suit avec attention les deux protagonistes complexes, au passé familial chaotique. Burnet explore avec acuité les non-dits, les blessures morales qui engendrent les souffrances cachées, les blocages qui empêchent de se construire.
Graeme Macrae Burnet signe un polar passionnant, sans cadavre ni violence, au dénouement surprenant, mais qui est une sorte de libération pour les deux personnages.
CONTRE :
Dans ce roman noir à l’ambiance digne d’un Simenon, trois personnages se retrouvent disséqués sous la plume de l’auteur. Adèle, serveuse dans le bar d’une petite ville d’Alsace où il ne se passe jamais rien. Manfred, banquier asocial, secrètement amoureux d’Adèle, pilier du bar où travaille Adèle. Gorski, policier de son état. Un jour, Adèle disparaît. Gorski est alors chargé de l’enquête. Très vite, Manfred le discret devient le principal suspect.
La trame sombre, extrêmement détaillée, explore un face à face entre deux personnages cabossés par la vie. Malheureusement, le récit très psychologique ne laisse que peu de place aux rebondissements. Le rythme terriblement lent pourra ennuyer le lecteur s’attendant à davantage d’action.
A réserver aux amateurs du genre.
Burnet, Graeme Macrae. - La disparition d'Adèle Bedeau. - Sonatine. - Traduit de l’anglais. - 280p. - 21€

En 1984, au cœur des Pyrénées, un torrent en crue restitue des morceaux de corps qui appartiennent à deux femmes, disparues depuis longtemps. Les Neyrat, famille de notables, sont plongés au cœur d'un drame lorsque l'une des victimes est identifiée. François Neyrat croit qu’il s’agit de son amie Emilie, introuvable subitement sans explication.
Le SRPJ de Toulouse enquête sur l’affaire du «Dépeceur». Pierre Neyrat, chirurgien à la retraite, est arrêté. Tout semble l’accuser : les rumeurs circulent sur cet homme peu loquace, mais surtout, sa fille Marie l'accuse dans une lettre de dénonciation ! Qui est cet homme qui n'aime guère évoquer son passé ? Comment prouver son innocence et sauver sa famille ? Ses trois enfants reçoivent le verdict de manière différente.
François s’est exilé à Paris depuis qu'Émilie s'est volatilisée. Il retourne dans son village et retrouve sa sœur Valentine, elle aussi médecin. Suit le récit d’une enquête pour connaître la vérité, dans laquelle s’imbrique celui d’une confrontation au passé du père. Le fils cherche à comprendre et peut-être innocenter son père... François, coupable de douter de l'innocence de celui-ci, et Camus, policier à la retraite, l’ami indéfectible de Pierre, qu’il a accompagné durant la guerre, la Résistance et l'épuration, « l’oncle » des enfants, remontent le cours de l’histoire familiale, enchevêtrée dans la grande Histoire. Ils touchent par leur franchise, leur simplicité.
L’auteur a choisi la narration à trois voix : François, Pierre, ou Camus, nous entraînent dans les méandres des secrets de famille. Entre passé et présent, l'intrigue se noue à travers la vision de ces personnages qui se dévoilent. Christian Carayon explore les mensonges, les non-dits, la haine, la trahison, le silence et l'incompréhension, le poids du passé, les conséquences de la guerre sont autant de thèmes de ce thriller. L'atmosphère se tend au fil des pages. La psychologie des personnages est un des points forts, notamment la description des doutes du père qui sait que ses mensonges vont s'écrouler. La relation entre parents et enfants fait aussi partie de l'intérêt du roman.
Au-delà d’une intrigue qui rebondit jusqu’à l’épilogue inattendu, Torrents est un roman plein de sensibilité. Un superbe thriller à l’écriture alerte, bien construit, qui tout de suite nous embarque dans le décor montagnard, l'ambiance de huis clos et la psychologie très fine des personnages attachants et détestables. Plus roman d'ambiance que polar, ce roman se lit d'une traite.
Un polar inspiré du réel « Dépeceur de Mons », mené avec brio, qui nous captive et que l'on ne lâche pas !!!
Carayon, Christian. - Torrents. - Fleuve. - 333p. - 20€

Comment l’installation d’éoliennes dans un petit village de la Belgique flamande va provoquer des catastrophes en chaîne. La première « victime » sera le boucher que le bruit des éoliennes, qu’il semble seul à entendre, rend insomniaque. Il s’endort dans son pâté (produit phare très apprécié des villageois) et provoque par la mise en vente de celui-ci -imposée par sa cupide épouse- une intoxication alimentaire mémorable. Par ricochet, celle-ci entraînera une plainte contre le facteur pour atteinte aux bonnes mœurs et une série de meurtres…
Une galerie de personnages « succulents » à l’image des préparations du boucher. Ce roman d’une drôlerie féroce n’épargne personne. Amateurs d’humour noir et de critique sociale incisive, précipitez-vous, vous allez vous régaler.
C’est le deuxième opus d’un jeune auteur néerlandais très prometteur, qui maîtrise à merveille l’art de la construction du récit.
Dehouck, Bram. - Un été sans dormir. - Mirobole. - Traduit du néerlandais. - 250p. - 19,50€

Ce recueil de douze nouvelles est destiné "à toutes les femmes assassinées, à toutes celles victimes de violences" et écrit en prison par le leader du Parti démocratique des peuples, incarcéré par Erdogan en 2016 pour 142 ans...
Avec beaucoup de poésie et parfois de l'humour, l'auteur décrit la Turquie actuelle se concentrant sur la position de la femme, toujours effacée derrière l'homme, qu’il soit père, frère ou mari. Il dénonce la violence qu'elle subit à cause de l'ordre établi par la religion musulmane et par l'injustice sociale. Il parle des vies volées et des rêves enfouis. De l'intérieur de sa prison, il combat l'oppression évoquant la dignité : "si tu marches droit devant toi avec courage et détermination, tu arriveras plus vite que beaucoup de voitures".
Un livre engagé et militant, qui rappelle L'aurore, le journal où Émile Zola a publié son célèbre «J'accuse» lors de l'affaire Dreyfus. L'aurore est également le nom de Seher, (traduction de « aurore » en turc aussi bien qu'en kurde), une jeune femme d'une des nouvelles, victime d'un crime d'honneur. L'aurore, c'est aussi la promesse d'espoir d’une journée agréable.
Un beau moment de lecture, des textes féroces et poignants.
Demirtas, Selahattin. - L’aurore. - E. Collas. - Traduit du turc. - 140p. - 15€

Tout commence à Madrid où l’on découvre le corps de Célia Rodrigo, le jour où, à Buenos Aires, on commémore l’anniversaire de la mort de son frère Alex, abattu vingt ans auparavant, selon le même mode opératoire.
Diego Martin, journaliste-radio, connaît la victime rencontrée à Buenos Aires lorsqu’il avait couvert l’assassinat d’Alex Rodrigo, abattu parce qu’il avait pris en photo un homme puissant qui souhaitait rester anonyme. C’est donc tout naturellement qu’il se lance dans cette enquête entre l’Espagne et l’Argentine.
C’est un roman passionnant où l’on retrouve ses personnages fétiches, Diego, Ana, Isabel et Léa, rencontrés dans ses deux précédents livres : Mala vida et Guerilla social club. Les histoires sont indépendantes et on n’a aucune difficulté à suivre celle-ci. L’auteur, qui part d’un fait réel, s’attaque dans ce roman à la liberté de la presse et de penser, la corruption, les pressions politiques, la justice et la vérité. Le style très journalistique est percutant, incisif, dynamique et vif. On est immédiatement pris dans cette enquête et on a hâte de découvrir le fin mot de cette histoire.
Un très bon moment de lecture qui donne envie de lire les autres romans de l’auteur.
Fernandez, Marc. - Bandidos. - Préludes. - 314p. - 16€

Une jeune mère célibataire s'occupe de son fils de deux ans. Sans crèche, sans famille pour l'aider, sans argent pour payer une baby-sitter, elle s'épuise à s'en occuper et n'arrive plus à joindre les deux bouts. Elle l'aime, mais est excédée par la fatigue, les journées de travail, les nuits sans sommeil, le père absent.
Pour échapper à l'étouffement, elle s'autorise à fuguer certaines nuits, de façon à souffler pour ne pas craquer. Elle consulte de forums de mères célibataires qui ne la rassurent pas. Jusqu'à quand tiendra-t-elle ?
C'est un ouvrage coup de poing, à la fois sociologique et féministe qui nous interpelle et nous fait réfléchir sur la maternité. Le récit est poignant, car sobre et authentique, et l'écriture sèche est très convaincante.
Fives, Carole. - Tenir jusqu'à l'aube. - Gallimard, L’Arbalète. - 176p. - 17€

Benoît Lauzanne, représentant de commerce, vient d’être licencié par son entreprise. Son épouse Suzanne ne le sait pas encore, Benoît est en déplacement. Lui annoncer ? Pour se sentir encore plus minable ? Pour affronter son angoisse, ses reproches, son mépris ? Pourquoi ne pas prendre plutôt un nouveau départ ? Disparaître, oublier… avec les indemnités de licenciement et cette enveloppe, glissée discrètement sous le bureau, pour acheter son silence…
Il s’attarde au buffet de la gare de V… Il croit reconnaître une silhouette familière, Irina, son grand amour de jeunesse, disparue brutalement sans laisser de traces et qu’il n’a jamais oubliée.
Benoît trouve un travail de jardinier au Précy, une propriété où le silence et la nature sont rois. Mais un meurtre et la découverte d’un sac d’or troublent la sérénité du lieu.
On retrouve dans L’eau qui dort les thèmes chers à Hélène Gestern : la mémoire, l’absence d’êtres chers et la difficile quête de soi. Le personnage de Benoît est très attachant, les personnages secondaires complexes, l’intrigue parfaitement maîtrisée jusqu’à la dernière page. L’écriture est belle, ciselée avec de très belles pages sur la nature.
Un régal.
Gestern, Hélène. - L’eau qui dort. - Arléa, 1er/mille. - 374p. - 22€

Veuve depuis sept ans, la narratrice entreprend de vider sa cave. Elle retrouve 700 diapos du voyage au Japon avec son mari, puis remonte un carton entier de lettres. En les relisant, elle revit leur histoire. Elle classe les 382 lettres, 25 poèmes, puis les lettres après leur mariage. Les émotions affluent. Bien sûr, le lecteur a droit à des extraits.
Quand le couple apprend que Raphaël est malade, la narratrice sait qu’elle devra surmonter la mort de son mari qu’elle connaît depuis cinquante ans.
Une écriture poétique et attachante pour ce faux roman épistolaire, puisqu’il n’y a que les lettres du mari.
Un roman sans doute en partie autobiographique, évoquant uneenfance au Portugal, des voyages en Italie et une carrière théâtrale.
Goldenberg, Paula. - Et toi, tant de choses à me dire. - Do Bentzinger. - 159p. - 22€

De quoi seriez-vous capable pour créer une bibliothèque à votre image ? C’est la question que pose Allison Hoover Bartlett en explorant le monde des librairies de livres anciens confronté à un collectionneur voleur de génie. Fraude, jeu de dupe et arnaque émaillent ce portrait sans concession du milieu des amateurs de livres. Tout en offrant un portrait en filigrane de la société américaine et les travers du self made man. Et vous, aimez-vous trop les livres ?
Le style est fluide, même si trop journalistique parfois. Se passant aux Etats-Unis, l’auteur analyse le marché du livre ancien typique de cet état continent. Cela donne un livre exigeant sur les connaissances en littérature. De ce fait, un défaut apparaît : l’omniprésence du rapport à l’argent et à l’économie de ce marché spécifique qui, personnellement, ne m’a pas parlé outre mesure.
Une lecture rafraîchissante, entre reportage et polar, qui questionne la place du livre ancien et son marché, tout en réfléchissant à la folie (?) de la collection.
Hoover Bartlett, Allison. - L’homme qui aimait trop les livres. - Marchialy. - Traduit de l’américain. - 311p. - 21€

Récit de Nour, 12 ans, qui est née et a vécu à Manhattan. A la mort de son père, elle retourne vivre en Syrie, pays d’origine de ses parents, avec sa mère, qui dessine des cartes, et ses deux sœurs plus âgées, Houda et Zahra. Deux histoires se superposent alors :
- celle fantastique (que lui racontait son père), de Rawija qui se fait passer pour un garçon sous le nom de Rami, partie à Fès au XIIe siècle pour trouver le cartographe d'al-Idrisi, en vue de devenir son élève et participer à l'expédition destinée à cartographier l'ensemble de la Méditerranée ;
- et celle de l’exil tragique de sa famille qui, peu de temps après leur arrivée à Homs, est obligée de fuir le pays où sévit la guerre (un bombardement détruit leur maison et blesse Houda).
Dans ce roman d’aventures, foisonnant et très documenté, l'auteur nous fait voyager dans le temps et dans l’espace. Les parties du livre correspondent aux sept mêmes pays de la Méditerranée que Rawija et Nour ont traversés à neuf siècles d’écart : Syrie, Jordanie, Egypte, Lybie, Algérie, Maroc, Espagne. Le destin de Nour nous émeut particulièrement, car elle doit faire face avec sa famille à des événements dramatiques qui, malheureusement, font écho avec l’actualité.
Pour un premier roman, c’est une vraie réussite. L’auteur d’origine syrienne a sûrement mis beaucoup de sa propre histoire dans ce récit.
Jourkhadar, Jennifer Zeynab. - La carte du souvenir et de l’espoir. - Les Escales. - Traduit de l’américain. - 423p. - 22€

Laura Kasischke nous immerge à « Eden Springs », version réactualisée du jardin biblique du XXe siècle, qu’a occupé la communauté religieuse de la « maison de David » au cœur du Michigan en 1903.
Le prédicateur Benjamin Purnell, élevé au rang de souverain suprême par la colonie de jeunes filles dont il aime tant s’entourer, promet la vie éternelle à ses adeptes. Outre la vie singulière de la secte dans laquelle on se vêt uniquement de blanc, où on ne se coupe pas les cheveux, ni ne mange de viande et où l'on ne doit pas avoir de rapports sexuels, l’intérêt du roman réside dans les relations d’interdépendances et de fascination entre le gourou et ses jeunes adoratrices. La pluralité des points de vue éclairant l’histoire est l’un des points forts de cette fiction documentée ponctuée de coupures de presse, de témoignages et d’extraits de procès de l’époque.
Résolument actuel par les enjeux qu’il aborde, tels que le culte de la beauté, l’emprise religieuse et la puissance de la domination masculine, Eden Springs est un roman étonnant qui dresse en 150 pages une allégorie de l’Amérique.
Kasischke, Laura. - Eden Springs. - Page à Page. - Traduit de l’américain. - 170p. - 18€

Karl et Geneviève, un couple de jeunes bobos trentenaires vivent à Londres dans un appartement minuscule et bien au-dessus de leurs moyens. Ils sont surendettés et Karl se prête à des opérations frauduleuses.
Rattrapé par le fisc, Karl devra aller en prison ou participer pendant six mois, avec sa femme, à un programme et réhabilitation appelé « la transition », et durant lequel ils devront habiter chez un couple de mentors. Le couple accepte sans hésiter cette deuxième option.
Tout semble simple, agréable, les mentors charmants : presque des amis. Mais Karl est très vite envahi par un doute qui lui est confirmé par des messages anonymes lui conseillant de fuir…
Luke Kennard, nous plonge dans un univers inquiétant qui n’est pas sans faire penser à la série « Le Prisonnier », tout en nous montrant les dérives de notre société de surconsommation et notre individualisme.
Un premier roman, très bien écrit, ironique et construit comme un thriller, suspense garanti jusqu’à la fin.
COUP DE CŒUR !
Kennard, Luke. - La transition. - A. Carrière. - Traduit de l’anglais. - 365p. - 21€

A 80 ans et après 23 ans de silence, Helen croise Franck par hasard dans les rues de Londres.
Le roman s’ouvre alors sur le choc de cette rencontre et se déroule sous la forme du long monologue d’Helen comme une confession. Elle y retrace leur rencontre à Rome, les moments passés ensemble à Amsterdam, ses sentiments et surtout cette relation d’amitié amoureuse si complexe et particulière.
Mais attention, ce roman est pour autant très rythmé avec un style envoûtant, on se laisse littéralement happer par l’histoire, les personnages, et surtout par la passion d’Helen pour Franck et l’ambiguïté des liens qui les unissent.
Julia Kerninon nous offre un vrai roman psychologique, dans lequel elle maîtrise parfaitement le suspense et nous régale avec son style fluide et précis. De plus, outre le thème de l’amour, on retrouve en toile de fond une ode à l’art et à l’écriture.
Kerninon, Julia. - Ma dévotion. - Le Rouergue, La brune. - 304p. - 20€

En exil, Jamilla se confesse à un écrivain (sans doute Tabish Khair) qu’elle vient de rencontrer à Bali. Son histoire commence dans une banlieue du nord de l’Angleterre. Jamilla suit les préceptes du Coran à la lettre et porte le niqab. En revanche, Ameena, fume, boit, porte des mini-jupes, sort avec des garçons. Meurtrie par une déception amoureuse, Ameena se confie à Jamilla qui la prend sous son aile. Ensemble, elles vont intensifier la pratique de leur foi, délaissant leurs groupes d’amis pour les réseaux sociaux. Elles rentrent en contact avec Hejjiye, l’épouse d’un combattant de l’Etat islamique, qui dirige un orphelinat en Syrie et qui les convainc de venir la rejoindre. Les deux filles ne trouvent plus de sens à leur vie en Angleterre. La pratique de leur foi, leur tenue les isolent. De plus, Jamilla n’obtient pas de bourse pour ses études, tandis que sa famille la presse d’accepter un mariage arrangé. Les deux amies partent en Syrie…
Ce roman montre, de l’intérieur, les impasses dans lesquelles se trouvent certains jeunes, leur quête de sens, le processus sournois de la radicalisation qui les embrigade avec tant d’efficacité. Il met en lumière avec quelle facilité et quelle rapidité la vie de deux jeunes adolescentes peut basculer. L’écrivain auquel s’adresse Jamilla devance notre propre questionnement, notre incompréhension, notre indignation parfois. Le récit est passionnant, la démonstration magistrale.
Khair, Tabish. - Filles du djihad. - Le Sonneur. - Traduit de l’anglais (Inde). - 307p. - 19€

Nous sommes en 2015, en Afrique du Sud. Des années durant, Masechaba a souffert de douleurs chroniques liées à une endométriose. Le sang a forgé son caractère, non seulement il a fait d'elle une personne solitaire, presque craintive, mais il l'a aussi poussée à devenir médecin.
Quand débute le roman, elle est interne dans un hôpital. Dans le flux ininterrompu des patients, elle s'interroge sur sa capacité à les aimer tous, à leur donner toutes ses forces, tout son dévouement. Elle doute souvent, à l'opposé de sa meilleure amie Nyasha, son modèle qui bien souvent pourtant l'ignore, voire la rudoie. Nyasha est Zimbabwéenne, or l'Afrique du Sud vit alors une époque de racisme brutal.
Un jour, après avoir été accusée par son amie de ne pas avoir pris assez soin d'un patient étranger blessé lors d'émeutes xénophobes, elle décide de publier une pétition demandant le retour à la tolérance et à des valeurs humanistes. En retour, elle sera violée par trois hommes, pour lui apprendre à rester à sa place.
Ce roman est écrit sous forme de journal, il raconte le gouffre de cette jeune femme médecin, les stigmates de la ségrégation, du racisme ordinaire, mais également sa renaissance.
Un très grand roman à découvrir.
Matlwa, Kopano. - Règles douloureuses. - Le serpent à plumes. - Traduit de l’anglais. - 147p. - 18€

Le narrateur est un jeune écrivain qui a publié son premier livre. Malheureusement, il ne sait écrire que les premières phrases de ses histoires. Alors qu’il a dilapidé l’avance offerte pour son prochain livre, son éditrice lui fait une proposition pour effacer sa dette : aider André Maillencourt, le plus grand écrivain français du XXe siècle, à écrire ses mémoires. Mais celui-ci n’a ni envie de réaliser ce livre, ni de raconter quoi que ce soit à son nègre improvisé. Le jeune écrivain doit donc chercher qui est vraiment André Maillencourt.
Un court roman fort sympathique ! Je m’attendais à quelque chose de très littéraire, frisant avec le pompeux. Au contraire, j’ai trouvé ce roman facile d’accès et plein d’ironie (le narrateur étant assez lucide sur son talent relatif). Pour un sujet pareil, j’aurais aimé voir un peu plus d’audace et un mystère avec une résolution un peu plus originale. Mais un livre plaisant quoi qu’il arrive.
Merle, Jean-François. - Le grand écrivain. - Arléa, 1er/mille. - 263p. - 20€

Nous retrouvons dans cette quatrième enquête aux multiples ramifications, le capitaine Anato, dans le Haut Maroni, territoire des Amérindiens. Le roman commence par l’arrestation du chef de bande soupçonné de rançonner les garimpeiros, chercheurs d'or clandestins brésiliens, qui pillent la Guyane sans se soucier de l’effet nocif de leur activité sur l'environnement.
Le capitaine est confronté au meurtre d'un métropolitain et à la disparition inquiétante d'un adolescent amérindien, Tipoy, le fils de Tapwili Maloko, qui a disparu lors d’une fête. Les villageois redoutent qu’il se soit suicidé, car le pays souffre d’un taux de suicide dix fois supérieur à l’hexagone dès le plus jeune âge, de la violence et de la misère.
L’adjudante Angélique Blakaman, défigurée lors d'un attentat, revient à Maripasoula, son village. Elle ne peut plus envisager de relation amoureuse, même si elle se sent attirée par Tapwili, qui lutte pour protéger la biodiversité. Celui-ci souffre de voir son fils Tipoy se désintéresser des coutumes pour se tourner vers l'Occident. Malgré sa sensibilité, Blakaman est un bon flic, qui fait tout pour retrouver la trace du jeune Amérindien, le fils de l’homme qui la fascine ! A cette mystérieuse et très inquiétante disparition, s'ajoute une insécurité galopante : homicides, vols à main armée, violences entre bandes, braquages à domicile…
Dès les premières lignes de cette intrigue bien ficelée et documentée, l’auteur nous immerge dans le décor guyanais qu’il connaît parfaitement et nous dépayse. Nous apprenons beaucoup sur le pays, la géographie, la société, ses multiples facettes, ses ethnies aux croyances très différentes, ce qui rend la cohabitation difficile. Sur le ciel effondré nous fait découvrir également les problèmes socio-économiques : un chômage galopant, une grande misère, un désœuvrement qui tourne à la violence, alcool, drogue et l’incompréhension de l'Etat des problèmes sociaux.
Niel, Colin. - Sur le ciel effondré. - Rouergue, Noir. - 503p. - 23€

A 25 ans, Hatoko succède à sa grand-mère. Elle devient écrivain public et dirige la petite papeterie familiale. Héritière d’un art ancestral, la calligraphie, Hatoko se voit confier des missions pour le moins particulières : lettre de condoléances pour le décès d’un singe, faire-part de divorce, lettre d’adieu à un amour de jeunesse… Ecrivain public est un métier rare, en perte de vitesse, mais Hatoko possède un talent unique : celui d’aider, grâce à ses compétences, les habitants de Kamakura à résoudre leurs problèmes personnels. Au fil des saisons, Hatoko apprend, gagne en assurance, redécouvre sa grand-mère et fait la paix avec son passé.
La papeterie Tsubaki est un roman contemplatif qui immerge le lecteur occidental dans la culture japonaise. Si vous aimez les histoires ayant du rythme, passez votre chemin. Par contre, si l’odeur du papier et de l’encre vous submerge et que l’art de la calligraphie vous fascine, ce roman est fait pour vous ! Ito Ogawa décrit, avec une plume fine et élégante, les secrets d’Hatoko, la vie dans une petite ville balnéaire japonaise et le bonheur de prendre le temps de vivre, en toute simplicité.
Ogawa, Ito. - La papeterie Tsubaki. - Picquier. - Traduit du japonais. - 375p. - 20€

Algérie 1992 : l’armée interrompt le processus électoral présidentiel, la démocratie est en réalité un régime dirigé par les militaires qui ont besoin de légitimer leur pouvoir pour rester en place. L’Etat d’urgence est instauré, ainsi que la traque des islamistes. Une décennie de guerre civile s’ouvre.
Tedj Benlazar, agent de la DGSE, est chargé quotidiennement de récupérer les rapports du DRS (Département du Renseignement et de la Sécurité). Bien vite, il sent qu’on le balade. Mais Tedj est un agent de terrain intelligent et coriace. Il cherche des preuves et ce qu’il soupçonne dépasse l’entendement... La guerre est une ruse par laquelle des ennemis de camps opposés peuvent œuvrer dans une stratégie commune et importer le terrorisme en France.
La guerre est une ruse est un roman ambitieux et passionnant. :
Parce que ce roman d’espionnage traite de l’Histoire, celle de l’Algérie des années 90 et la montée en puissance du terrorisme islamique, avec de nombreux détails sur le contexte.
Parce que la multiplicité des personnages, agents de la DGSE, agents du DRS, personnalités politiques algériennes et françaises, les civils algériens, hommes et femmes, les Algériens de France, qu’ils soient réels ou fictifs, ont chacun leur place et participent à la richesse du roman.
Le lecteur découvrira aussi une vision de ce conflit complexe, qui ne va pas dans le sens du « politiquement correct ».
La guerre est une ruse est le premier tome d’une trilogie prometteuse.
Paulin, Frédéric. - La guerre est une ruse. - Agullo, Noir. - 368p. - 22€

Des destins, tragiques, glorieux, cocasses ou ordinaires, mais toujours empreints d’une très grande humanité. La plume d’Ota Pavel foisonne d’images à la fois poétiques et quotidiennes.
Pas d’argent roi ici, des hommes ou des femmes qui se dépassent, puis retournent à leur condition d’ouvrier ou de citoyens lambdas. Le sport comme ascèse, défi trop souvent au service de la propagande du régime communiste, mais bien loin des dérives actuelles.
Une lecture originale et touchante, qui témoigne d’un certain état d’esprit. Une réflexion sur la condition humaine à travers le prisme de l’effort physique.
Pavel, Ota. - A chacun sa part du gâteau. - Do. - Traduit du tchèque. - 225p. - 20€

Maria vient d’accoucher d’Adèle, elle reste douloureuse et épuisée de cet accouchement sans autres témoins que les blouses roses ou vertes qui s’occupent d’elle. Elle écrit une lettre, comme une mélopée, à sa fille pour qu’elle puisse rompre avec la chaîne familiale qui a cassé toutes les femmes dans toutes les générations, chacune cassant la suivante.
« Ma pauvre fille, je me suis sacrifiée pour toi, tu verras ce qui t’attends, moi, je n’ai pas pu… tu te crois fière de toi, tu m’en as fait voir, etc…etc. »
Du plus profond de son mal être, Marie lutte contre l’enfer de ces phrases assassines et reconstitue sa vie. On réalise qu’elle a fait des études universitaires et qu’elle travaille. Le père de l’enfant l’a quitté, mais elle n’était pas équipée psychiquement pour le garder. Peu à peu, son discours est moins douloureux jusqu’à la phrase finale : « toi va, tu n’es pas dans la lignée de ces femmes. »
Comment sortir de l’emprise familiale, comment ne pas reproduire ses schémas ancestraux ? Loin des attendrissements sur les joies de la naissance et de la transmission, ce roman est comme un coup de poing, il ne laisse pas indemne, c’est un combat contre sa lignée et contre elle-même, ce n’est pas seulement la naissance d’Adèle, mais la naissance d’une femme libérée.
Pourchet, Maria. - Toutes les femmes sauf une. - Pauvert. - 137p. - 15€

Onzième aventure de l'inspecteur Chen, homme taciturne et à l'âme de poète, ainsi que son acolyte Yu, ami et collègue fidèle.
Un tueur en série terrorise Shanghaï : trois meurtres en trois semaines. Quel est le lien entre les victimes, issues de milieux sociaux complètement différents ? Le numéro un de la police requiert la collaboration de Chen Cao et de son équipier. En effet, à la veille de la session de l’Assemblée, il est impératif pour l’image du Parti d’arrêter au plus vite le meurtrier. Chen doit aussi enquêter sur des écologistes qui élaborent un plan d’action contre les mensonges du Parti concernant les effets dévastateurs de la pollution. Mais les autorités chinoises refusent d’admettre cette situation.
Qiu Xiaolong reprend une fois encore ses éléments favoris : des meurtres, une enquête saupoudrée d’une pincée de gastronomie et d'une touche de poésie.
Ce roman découpé en journées donne un aperçu de Shanghaï, mêlant crise du logement, pollution, corruption, transport, transformation de la ville. L’omniprésence du Parti est constante et domine la vie politique. L'auteur critique la pollution de l'air de son pays (d'où le titre), mais aussi alimentaire. Il dénonce également la corruption dans les plus hautes instances du parti, ainsi que les méthodes peu orthodoxes souvent utilisées.
Une intrigue complexe au cœur des rouages du Parti dans une Chine écartelée entre traditions et modernisme.
Qiu, Xiaolong. - Chine, retiens ton souffle. - L. Lévi. - Traduit de l'américain. - 246p. - 19€

L'abbé Francis mène une vie paisible et monotone comme curé de village jusqu'au jour où il reçoit en confession un hacker venu de nulle part. Ce dernier est venu obtenir l'absolution de ses péchés avant de mourir, d'être assassiné plus précisément.
Ses péchés sont au nombre de dix, comme les dix commandements : " Tu ne commettras pas de vol, Tu ne commettras pas d'adultère"...
Ainsi, il se retrouve à écouter avec délectation et une certaine envie, les aventures incroyables, rocambolesques, et parfois tragiques de ce hacker de génie...
Avec Pierre Raufast, rien n'est laissé au hasard. Un roman ingénieux, drôle et très bien documenté sur les failles informatiques et internet. On aurait presque envie de ne plus utiliser internet et de se méfier de tout ce qui est informatisé.
L'auteur prouve une nouvelle fois ses talents de conteur et nous offre un roman jubilatoire jusqu'au rebondissement final dont lui seul a le secret !
Un coup de cœur pour cette histoire très bien construite, où tous les éléments du récit s'imbriquent et s'enchaînent parfaitement.
Raufast, Pierre. - Habemus piratam. - L. Lévi. - 225p. - 19€

La narratrice relate son histoire d’amour malheureuse. « tu étais l’un de ces hommes que je n’aurais jamais cru pouvoir aimer. » (p. 11) Pas de coup de foudre donc, mais une relation destructrice qui a duré huit ans, bien que tout les oppose : l’âge, la distance géographique.

Après une première rencontre où un homme veut porter son sac, de nouveaux congrès permettent de se revoir. Elle rompt avec Adam, et entame une relation avec l’homme sans nom, qui a vingt ans de plus qu’elle. Elle les surnomme Tristan et Yseut, lui la baptise Douce. Ce taiseux ne cherche pas à séduire la narratrice. Il réclame l’exclusivité, il prétend ne jamais avoir aimé comme çà.
Dès le début, elle a déjà des réserves sur cet amour. Douce regrette de s’être lancée dans cette aventure, elle sent le piège se refermer. Mais elle n’arrivera pas à s’extraire de son emprise et continue à subir son poison. L'envie d'y croire est plus forte que la raison. Douce l’attend, apprend à se contenter des miettes qu’il lui offre, ils ont des vies parallèles au lieu de former un vrai couple. Il invente que sa femme a un cancer pour ne pas avoir à s’engager ! La jeune femme sait que cette relation est une erreur, mais est incapable de le quitter. On a du mal à cerner les motivations de cet homme qui semble plutôt indifférent, mais sait la rendre dépendante.
Une histoire d’amour à sens unique avec une femme soumise, prise dans la toile tissée par un homme nocif et dont on a pitié D'une écriture fluide, douce ( !), Sylvia Rozelier réussit à dépasser une histoire banale pour atteindre une dimension universelle.
Rozelier, Sylvia. - Douce. - Le Passage. - 212p. - 18€

Miguel Dorey, Argentin atteint d'un défaut d'audition, est obsédé par les civilisations oubliées. Avec quelques camarades, il fonde un Cercle de cryptographes, qui devient réputé dans le monde. Mais l'instauration de la dictature dans les années 70 transforme le cercle en une organisation proche de la lutte armée qui tombe aux mains des militaires.

Intrigue historique, amitié entre collègues, relation amoureuse avec la belle Eleonora, Miguel doit choisir son camp entre idéaux politiques et sentiments personnels. Comment faire dans cette tourmente qui agite le pays ?
Ce roman est passionnant, assez dense sur le sujet (décoder les énigmes des messages secrets et trouver leur signification, qu’ils soient politiques ou historiques).
D’une plume alerte et talentueuse, l’auteur nous guide dans les méandres de la cryptographie dont l’issue ici, est une incroyable révélation…
Santis, Pablo de. - La fille du cryptographe. - Métaillé. - Traduit de l’espagnol (Argentine). - 340p. - 22€

Addie, la narratrice, a perdu sa mère avec laquelle elle entretenait une relation compliquée. Une jeune femme se présente chez elle, annonçant qu'elle est sa sœur ! Cette rencontre bouleverse sa vie. Venetia, l’autre sœur, refuse d’admettre cette « intruse », mais Addie, sidérée d’apprendre qu’elles sont nées toutes deux le 14 février 1960 à Brighton, entreprend des recherches pour connaître le secret du passé de leur mère, avec l’aide de Phoebe.
L’histoire alterne avec celle d’Elizabeth Holloway, lycéenne qui tient son journal en 1958. L’adolescente passe l’été dans un riche manoir sur la côte anglaise. Liz n'a pas été épargnée par la vie et la vérité permet à Addie de mieux comprendre le comportement de sa mère. Addie ressort grandie et libérée de son mal-être.
Le secret est lié à la condition des femmes à cette époque, tenues dans une totale ignorance de l'éducation sexuelle. Les roses de Hartland est un hommage aux « filles-mères » des années 50, considérées comme un fardeau et une honte dans une société très rigide, où l'honneur et le respect des convenances étaient primordiaux. Nikola Scott retrace le destin bouleversant d'une mère qui a tout fait pour retrouver l'enfant dont elle a été arrachée à la naissance. Elle dénonce la cruauté qui s'abattait sur ces « filles déchues » dont la seule option était d’accoucher en secret et de faire adopter le bébé. Rejetées par leur famille, ces femmes devaient « expier leur pêché ».
Roman émouvant dans lequel on s’attache aux personnages.
Scott, Nikola. - Les roses de Hartland (My mother’s shadow). - Charleston. - Traduit de l’anglais. - 445 p. - 23€

POUR :
Ellen Branford, riche avocate new-yorkaise prête à se marier dans quelques mois, vient dans un village côtier du Maine exaucer sa promesse faite à sa grand-mère : retrouver son amour de jeunesse et lui remettre sa dernière lettre. Après avoir été sauvée in extrémis de la noyade par Roy, elle le remercie en l’embrassant fougueusement et devient à sa grande honte la célébrité du village !
Ellen croit avoir réservé une suite avec vue sur mer et se retrouve dans une chambre médiocre, sans wifi ni spa. Elle est un peu agaçante et trop sure d'elle. Elle va au café manger les myrtilles les plus délicieuses de sa vie, qui lui rappellent sa grand-mère ! L'histoire de celle-ci et de son amoureux est plaisante. Ellen se libère de son caractère snob et méprisant et de la vie citadine. Elle évolue et se met à manger des doughnuts et des frites ! Finalement, elle survit dans ce village dont on peut faire le tour à pied, surtout avec la présence de Roy le charpentier qu’elle n’en finit plus de croiser. La jeune femme ne sait plus si elle a vraiment envie d’épouser son fiancé, ou si elle ne serait pas en train de tomber amoureuse du charpentier ? Hayden et Roy se disputent la belle : l'un beau parti, avocat briguant une carrière politique, issu forcément d'une famille aisée, alors que l'autre est un manuel simple et chaleureux. Est-ce l'appréhension du mariage et d'un avenir sous les feux des projecteurs qui l'effraie ?
Rien ne se passe comme elle ne l'avait imaginé. Son enquête sur le passé de sa grand-mère et la recherche du mystérieux Chet prennent plus des 24 heures prévues, ce qui lui permet de sonder ses sentiments. Ellen s'aperçoit que la vie trépidante de New-York n’a pas le même attrait que la campagne. Ses déboires sont racontés avec humour (séance de fléchettes au café du village) !
C'est une romance sans prétention, qui parle de snobisme et de préjugés, de choc des classes, des situations cocasses, de flirt et du changement inattendu de l'héroïne. L'ensemble est plaisant, même si le "happy end" est convenu. L'auteur nous propose une histoire d'amour un peu simple, mais pleine de fraîcheur. Avec une plume fluide, des personnages attachants, un cadre gourmand et bucolique, une jolie histoire de famille font de ce roman une agréable lecture. Mais il nous donne envie de muffins à la myrtille !
CONTRE :
Ellen Brandford, avocate new-yorkaise, perd sa grand-mère. Le dernier vœu de celle-ci était qu’Ellen remette une dernière lettre à son amour de jeunesse. La jeune et pimpante citadine part donc dans la petite ville côtière de Beacon, dans le Maine. Le triangle amoureux vécu par la grand-mère se répercute sur la petite fille. En effet, Ellen a un fiancé à New-York. Mais à Beacon, elle est sauvée de la noyade par le beau Roy qu’elle ne peut se retenir d’embrasser. Mais on les prend en photo et celle-ci est publiée dans le journal local ! Pas très discret quand on s’apprête à se marier avec un autre…
Je voulais redonner une chance au roman sentimental, mais vraiment ce n’est pas pour moi ! J’ai fini ce roman en diagonale accélérée. Le bandeau promettait un équivalent du Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, ça ne le mérite pas du tout. Quelques points intéressants : l’enquête sur la grand-mère, l’ambiance lumineuse et le parcours de l’héroïne qui hésite à changer radicalement de vie. Sinon, ce n’est qu’une romance ordinaire, avec les clichés habituels, qui ne peut pas séduire un public plus large que les amateurs du genre. En revanche, pour les amatrices de romance, l’histoire plaira très certainement.
Simses, Mary. - L’irrésistible histoire du Café Myrtille. - NIL. - Traduit de l’américain. - 421p. - 21€

Tiffany Tavernier est une grande voyageuse, une habituée des aéroports. Pour écrire son livre, elle a passé du temps à Roissy pour être précise dans ses descriptions et pour pouvoir capter cette atmosphère particulière où six mille personnes travaillent quotidiennement.
L’héroïne nous propose un voyage à travers Roissy, elle est devenue une « indécelable », sa mémoire s’est estompée, elle déambule à travers les terminaux, il ne fait surtout pas avoir l’air d’une sans domicile fixe. Elle s’invente mille et une vies, en fonction de ses rencontres pour passer inaperçue. Le hasard va changer son quotidien : un homme attend tous les jours le vol Rio-Paris.
C’est un livre fascinant, poétique, un vrai coup de cœur. Roissy est en cours d’adaptation cinématographique, en espérant le projet aboutisse.
Tavernier, Tiffany. - Roissy. - S. Wespieser. - 277p. - 21€

Benoît Lévesque voit sa vie basculer le jour où un vieil Indien lui confie un chiot, qu’il appellera Dan. Il quitte son appartement de Montréal et sa vie cossue pour s’installer dans un chalet au cœur du parc national. Dan devient un véritable compagnon de vie et ouvre le cœur de son maître à plus d’humanité. C’est pourquoi Benoît est bouleversé lorsque son chien, devenu vieux, tombe gravement malade. Il décide de tout faire pour le sauver et lui éviter de souffrir. Au même moment, des loups apparaissent sur le territoire des chasseurs et réveillent les querelles du village voisin.
Un petit roman en français québécois qui met l’ambiance au premier plan : une forêt sauvage, inquiétante et crépusculaire. La relation entre le maître et le chien est très émouvante. Malgré la simplicité de la langue, le texte reste assez littéraire par son rythme lent et son scénario tout en suggestion.
Tremblay, Lise. - L’habitude des bêtes. - Delcourt. - 125p. - 15€

En 1923, dans un petit village italien, Maria Vittoria, 25 ans, n'est toujours pas mariée. Elle est belle et dure à la tâche, mais personne ne la courtise, car les hommes ont été décimés par la guerre. Son père lui impose un mari. Par chance, Achille est solide, bel homme, travailleur, et rêve d'émigrer aux Etats-Unis. Lorsqu'il la demande en mariage, elle se réjouit de pouvoir améliorer sa condition. Le couple quitte la montagne et rachète une épicerie dans un village des Dolomites. Cette situation privilégiée à une époque où le rationnement est courant permet à Maria Vittoria de s'affranchir. L'affaire devient florissante, mais le fascisme et la guerre approchent. Le mari s’avère brutal, les grossesses s'enchaînent, certains enfants décèdent. Achille est arrêté pour avoir fait du marché noir, et Maria Vittoria se retrouve seule avec cinq enfants à nourrir et l'épicerie à faire tourner malgré la pénurie. Il faut s'adapter et se plier aux règles. La religion lui sert de refuge. Très croyante, Maria est taraudée par la culpabilité quand sa conduite ne se conforme pas aux enseignements de l'Église. Les supposées réponses de la Vierge Marie apparaissent en italique : c'est sa conscience, ce sont les réponses qu'elle espère, ou un rappel à l'ordre. Son cousin milicien lui propose son aide, mais à quel prix... Pour vivre en paix, ne faudrait-il pas s'exiler vers « La Mérica » ?
L'intérêt du livre est de suivre cette femme soumise qui découvre la vie de couple, la guerre, mais qui sait aussi évoluer. Comme beaucoup à son époque, Maria est prise entre la religion, le père, le mari, puis les fils, il ne reste que peu de liberté et d'autonomie. Mais une nouvelle vie est peut-être possible… Maria surmonte tous les obstacles avec détermination.
C'est une tranche de vie, de l'arrivée au pouvoir de Mussolini en 1922 à l'effondrement de la dictature et à la libération, un roman de femmes, dans un univers masculin, rural. Écrit à la troisième personne, presque exclusivement du point de vue de Maria, le roman offre une description très réaliste de la vie quotidienne dans un village. L'écriture est fluide, les personnages sont marqués, mais la guerre permet aux femmes de travailler, de s'affirmer et de prendre leur destin en main.
Portrait de femme courageuse et attachante, droite et ambiguë, qui regrette ses mauvais choix. Un roman émouvant sur la vie dure de gens simples. Une lecture agréable d'un milieu méconnu de l'Italie profonde. Un roman qui appelle une suite, puisqu'il se termine avec le départ pour l'Australie.
Valmorbida, Elise. - Maria Vittoria. - Préludes. - Traduit de l’anglais. - 448p. - 20€

Charles Lumley, jeune homme des années 60 a terminé sa licence d’histoire, mais ne veut pas entrer d’une façon « attendue » dans la vie active et sociale, non pas qu’il se rebelle ou qu’il soit un looser, mais il se présente comme un anti héros, placide.
Pour vivre, il commence une carrière de laveur de carreaux, puis de trafiquant de drogue, plus ou moins sans en avoir conscience, tombe follement amoureux d’une délicieuse jeune femme pas faite pour lui, est agressé, devient chauffeur privé, videur de boîte de nuit, puis est engagé par une ancienne connaissance dans une émission de radio.
Le livre se termine comme un conte dont on tire une moralité, avec lucidité. Charles réalise qu’il n’a pas réellement atteint son but, va-t-il atteindre cet état « neutre » qu’il attend ?
Ce livre est une réédition des années 50, époque où sévissait, en Grande-Bretagne le mouvement « des jeunes hommes en colère », comme en France la Nouvelle vague. Ces jeunes ne voulaient pas, après avoir subi la guerre retomber dans le destin bien-pensant et tout tracé de leurs parents. C’est une sorte de « Candide » avec un humour très anglais et décalé. L’écriture et la traduction sont très soignées. Cela en fait une œuvre littéraire originale, mais un peu désuète.
Wain, John. - Hurry on down : Les vies de Charles Lumley. - Typhon. - Traduit de l’anglais. - 309p. - 19€

C’est dans un pays imaginaire, dont l’auteur nous livre la cartographie, que se déroule ce récit qui est une fable à la fois moyenâgeuse et moderne.
Dans une zone rurale et pierreuse, vit durement un couple de paysans et leurs jumeaux, sous la férule d’un dictateur caricatural et féroce. Quand les parents s’aperçoivent que les jumeaux s’aiment un peu trop dans leur isolement et leur naïveté, le père envoie la fille chez son frère où la jeune fille continuera à satisfaire les diverses envies des hommes. La vie se poursuit avec son lot d’absurdité, abolir les soirées autour de contes, détruire la campagne, construire d’immenses supermarchés, des aéroports dans une nature qui n’en n’a pas besoin. Les paysans se rassemblent autour d’un personnage féminin qui tient un peu de la sorcière pour lutter et résister en construisant des ilots préservés.
C’est une sorte de conte, à la fois contre la dictature du monde moderne et de l’absurdité de certaines mesures et c’est aussi une sorte d’invitation à la désobéissance pour une vie plus proche d’idéaux et plus juste. On peut trouver de nombreux livres sur ce thème aujourd’hui, la recherche dans l’utopie d’un monde meilleur.
Wauters, Antoine. - Pense aux pierres sous tes pas. - Verdier. - 185p. - 15€