Commission Petits éditeurs de mars 2019

Commission Petits éditeurs BiB92 – Sélection mars 2019

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Brune a grandi au-dessus du Catulle, le café parisien où officiaient les sœurs Douce et Granita Rigal, ses grands-mères adoptives, originaires de l'Aveyron, qui l'ont élevée après la mort de sa mère. Juste avant de mourir, Douce confie à Brune son désir d'être inhumée dans son Aubrac natal. Accompagnée de Granita, la jeune femme découvre alors cette terre rude et la famille Rigal.
Voici un bon roman du terroir avec tous les ingrédients savamment dosés : l’immensité de l’Aubrac et ses paysages magnifiques, les vaches (de vrais personnages secondaires !), les rivalités de clocher et les secrets de famille, le tout autour d’une bonne table et d’un bon vin. Avis aux amateurs et bonne dégustation.
N’oublions pas non plus Brune, l’héroïne à la recherche de son identité auvergnate et ses deux grands-mères (indissociables, avec un caractère de « feu » et de sagesse), qui nous entraînent dans un récit agréable à lire et dépaysant. Une jolie balade.
Bamberger, Vanessa. - Alto Braco. - L. Lévi. - 240p. - 19€

Jean est fâché avec son père Denis, depuis les funérailles de Moïse, son grand-père. Il est surpris de découvrir, un jour, son père dans son cabinet médical. Celui-ci lui apprend que Moïse avait une vie cachée. Il vient de découvrir ses carnets dans le grenier : des copies de lettres envoyées à la même femme, Anne-Lise Schmidt, tous les 3 avril, pendant 42 ans… Denis est si bouleversé qu’il fait un malaise. Hospitalisé, il dépêche son fils sur les traces de Moïse, à travers l’espace et le temps. Denis veut à tout prix connaître le secret de son père, si distant et taiseux au quotidien. Une enquête difficile, quand la piste est à moitié effacée. Pour satisfaire les attentes de son père, Jean devra choisir entre mensonge et bonne conscience.
Un récit beau et triste, qui plonge le lecteur dans les secrets de famille. Un retour sur l’histoire du XXe siècle, dans les guerres qui broient le destin des hommes. On se laisse embarquer par le récit de Moïse. On espère vivement que Jean retrouvera Anne-Lise ! Une plume simple et efficace.
Beaulieu, Baptiste. - Toutes les histoires d’amour du monde. - Mazarine. - 473p. - 19,50€

Emilie vit à Chamonix avec Tom, alpiniste chevronné et renommé, qui a su lui donner le goût de la grimpe. Il décède lors d'une compétition. C'est en s'isolant que la jeune femme trouve consolation et apaisement.
Puis, elle part à Paris, devient rédactrice dans un magazine de décoration et donne naissance à leur fille. La jeune veuve entame une seconde vie, mais s'aperçoit qu'elle ne la comble pas. Au cours d'un reportage en Australie, elle rencontre Mark, architecte d'intérieur. Ils se quittent à regret, mais entament une correspondance où leurs sentiments se révèlent... Elle découvre un inconnu avec qui elle se sent des affinités et revit... Cela tourne un peu au Feel Good Book, mais sans mièvrerie.
L'auteur n'hésite pas à faire appel, pour stimuler notre réflexion, à la littérature et la philosophie avec Gaston Bachelard. Il y a aussi des références aux auteurs américains adeptes de grands espaces (Thoreau, Kerouac...) ou Zola, Eluard, Nicolas Bouvier, ou Anna Gavalda. Si l'on trouve des considérations sur l’environnement ou la société de consommation, il se dégage aussi un charme suranné par l'importance accordée aux mots, à travers l’échange d’une vraie correspondance plutôt que des mails.
Résumer ce livre est très réducteur. Les personnages secondaires sont également très réussis, par exemple Fatou ! Un roman lumineux malgré un deuil, une invitation à voir le monde de façon positive. On sent que l'auteur vit au milieu de la nature, elle nous en offre de belles descriptions. Un grand plaisir de lecture.
Bodet, Stéphanie. - Habiter le monde. - Gallimard, L’arpenteur. - 284p. - 21€

L’auteur situe son histoire dans un hôtel sur une île grecque, dont il dépeint les paysages variés avec précision. Sigrid, une femme entre deux âges, arrive à La Villa Manolis, palace d’un autre temps, qui garde tout son charme. Elle s’installe au calme pendant un mois, afin d’écrire sa nouvelle romance sentimentale. Selon elle, un roman c’est comme une recette de cuisine : il faut de bons ingrédients, épicer et que la sauce prenne !
Mais la quiétude n’est pas vraiment au rendez-vous : Sigrid est hypnotisée par une jeune fille mystérieuse qui porte une longue robe noire, une ombrelle et une voilette. Elle est obsédée par cette inconnue qui la fascine par ses tenues d’un autre âge. Pourquoi une telle attirance ? A-t-elle succombé à un coup de foudre ? Elle attend, aux aguets, l’apparition de « l’aimée », pour s’en faire une amie. Sigrid voue une passion dévorante et insensée à Gertrude. Elle ne parvient pas à se défaire de cet envoûtement. La romancière est même jalouse quand la jeune fille flirte avec le plagiste. Cette attraction entre les deux femmes nous rappelle celle de Tadzio dans Mort à Venise.
Parmi les estivants dans le huis clos de la villa Manolis, on croise aussi deux Anglaises, un couple de pharmaciens, un archéologue contemplatif, un amateur d’insectes, une cantatrice italienne dont l’émeraude disparaît, et Leandros, un employé de plage qui observe les femmes. Des émois amoureux traversent la pension de famille.
Sigrid est à la fois femme amoureuse et romancière. Le roman alterne donc entre ce que vit et ressent Sigrid et la romance qu’elle crée : Priscilla et Robert, fiancés de Boston, qui se connaissent depuis l’enfance, sont à quelques jours de leur mariage. Mais le désir de s’appartenir ne semble pas réciproque…
Christophe Carlier explore les désordres sentimentaux de Sigrid et de Priscilla, la complexité des intermittences du cœur. On sent que l’auteur a pris plaisir à bâtir cette mise en abyme avec des intrigues légères qui fleurent bon les vacances. Par le choix de ce sujet, il dénonce que la littérature sentimentale soit considérée comme « un genre mineur » sous-estimé, mais prisé par les lectrices.
On est emporté et charmé par cette ambiance surannée. Un roman baigné de lumière, servi par une langue poétique et délicate.
Carlier, Christophe. - L’eau de rose. - Phébus. - 231p. - 18€

Gaëlle Morvan, la soixantaine, est une avocate réputée à Nantes. Elle possède un cabinet avec son associée, elle a des liens profonds avec Lucas, son fils, médecin urgentiste. Mais elle sait que bientôt, elle va tout perdre... De plus, elle se sent surveillée.
Lorsque Lucas apprend la mort de sa mère, il ne croit pas au suicide, surtout qu’il reçoit très vite des menaces. Sa vie bascule, sans savoir que le cauchemar ne fait que commencer. Faut-il attendre que les proches disparaissent pour découvrir leurs secrets ? En remuant ciel et terre pour comprendre, il ignore qu'il met en danger ceux qui veulent l’aider. Mais pourquoi veut-on l'éliminer lui aussi ? Comment se remet-on du deuil, surtout en apprenant que sa vie est construite sur le mensonge ?
Loïc Mandé, lieutenant de police qui ne croit pas non plus au suicide, aide Lucas à comprendre et à trouver la vérité. Ce n'est pas facile, avec un père également flic, laxiste et peu intègre. Pourquoi celui-ci a-t-il ordre d'étouffer l'affaire ? La rencontre entre Lucas et Loïc sert de fil rouge, permettant d’aborder l'amitié, la confiance, l'amour paternel. La trame de l'intrigue se scinde entre les recherches de Lucas et les péripéties du vieux commissaire qui fera avancer l'enquête à sa manière.
L'ambiguïté des personnages nous fait douter. Qui joue double jeu ? Entre faux-semblants et manipulations qui poussent les personnages à se dévoiler, chacun semble cacher un passé douloureux ou des blessures. Les personnages réalistes et attachants sont bien travaillés. Les sentiments contrastés de déni, de colère, de peine face au deuil accompagnent le chaos de l'annonce. L’écriture de Cyril Carrère est fluide et percutante. Le froid c'est la sensation qui étreint Lucas à l'annonce de la mort de sa mère.
On est tout de suite propulsé dans une ambiance très visuelle avec ce périple qui nous fait voyager de Nantes vers des contrées plus à l'Est. Le suspense de ce thriller riche en rebondissements grandit au fil des pages, les chapitres courts obligent à continuer cette histoire politique bien ficelée. Véritable histoire haletante, l'intrigue est pleine de mystère, de secrets de famille et de péripéties. On ne peut pas rester de glace en lisant ce thriller addictif, qui peut laisser planer l’espoir d'une suite ! La couverture de Brian Merrant colle parfaitement au thriller qui annonce une ambiance oppressante…
Carrère, Cyril. - Grand froid. - Nouvelle bibliothèque. - 363p. - 18€

Une jeune femme décide du jour au lendemain de partir seule pour l’Iran. C’est sa fascination pour ce pays et pour ce peuple qui la conduit à Téhéran. Silhouette anonyme et voilée, elle déambule dans les rues de la ville et se laisse porter au gré du hasard jusqu’à sa rencontre avec Tala, mère d’une petite fille, mariée à un homme parti faire son service militaire.
Malgré la barrière de la langue, une complicité s’installe très vite entre elles. Elles deviennent inséparables et la narratrice entre dans l’intimité de Tala et de sa famille. La mère de Tala, véritable pilier familial, est décédée récemment, laissant derrière elle des carnets noircis de mystérieux robâiyats, des poèmes persans, qui conduisent la narratrice et son amie jusqu’à l’Ile longue, au large de la côte sud de l’Iran. Tala y découvre un pan caché de la vie de sa mère, loin de la femme qu’elle a toujours connue. Cette découverte, on le devine, l’aidera elle aussi à être plus libre.
Plonger dans cette lecture, c’est comme accepter de voyager avec une personne dont on ne sait rien, tant l’auteur est elliptique sur sa narratrice. C’est d’autant plus déstabilisant que le choix de la destination interroge. Mais on finit par se laisser porter par le mystère, par la poésie de ce roman. On ne comprend l’intention de l’auteur que dans la seconde partie du livre, en découvrant l’histoire de la mère de Tala qui témoigne à elle seule de la condition féminine sous la république islamique et du sort fait aux artistes ou intellectuels.
Un roman intimiste, poétique et original. Une jolie découverte.
Changy, Victoire de. - L’île longue. - Autrement. - 192p. - 17€

Ce roman narre avec fantaisie et humour le destin d'un livre personnifié, promis à un sort a priori enviable : celui de devenir un « petit chef-d’œuvre de littérature ». Mais l’ouvrage a du mal à trouver sa place. Le livre éponyme, personnage central, n’est pas publié tout de suite, car les éditeurs trouvent que le manuscrit n'entre pas dans leurs collections. Quand il est enfin reconnu comme un petit chef d'œuvre de littérature, il devient un best-seller, est traduit et adapté au cinéma.
Luc Chomorat explique ce qui est digne d'un chef-d’œuvre, sa place dans la société, ou ce qu’il suscite chez le lecteur. Il pointe au passage les différents acteurs du monde de l'édition : les éditeurs, les critiques, le public. Le libraire est chagriné par les gens qui ne lisent plus, ou des « navets ».
Le plaisir de l’auteur est palpable à bâtir ce récit décalé, où le livre se nomme à la troisième personne ; il brocarde la littérature facile, le milieu littéraire qui d'abord décrie le petit chef-d’œuvre, avant de l’encenser lorsque les ventes grimpent d’un coup. Il dénonce les stratégies commerciales des éditeurs, le rachat des petits éditeurs par les gros, la multiplicité des parutions et les titres qui tournent en librairie, la catégorisation absurde des livres, le rôle des médias. Sous ce portrait critique, Un petit chef-d’œuvre de littérature offre une déclaration d'amour à la littérature. Le petit chef-d’œuvre tutoie Proust, est vexé d'être à côté de Nothomb, discute avec les auteurs classiques de ce qu'est la vraie littérature. Ce livre inclassable est un petit bijou d'ironie, parsemé de références qui émaillent le récit. Un récit attachant, au ton plein de fraîcheur.
Chomarat, Luc. - Un petit chef d’œuvre de littérature. - Marest. - 136p.- 9€

Après 49 ans de mariage, Gene se replonge dans son passé, pour continuer à avancer après le décès de sa femme Maida. C’est lorsqu’il doit écrire l’oraison pour la cérémonie, que Gene revient à tâtons sur ces 50 années de vie commune, passées à Colton, mais aussi avec sa fille, sa petite-fille et ses amis de toujours, Ed et Gayle. Cette plongée au cœur d’une vie et de ses émotions engendre chez Gene un flot de questions autour de son amour, la sincérité, la réciprocité, mais aussi sur sa femme.
Ce roman d’une grande justesse retrace avec subtilité la période du deuil et nous pousse à nous interroger sur ce que l’on connaît de l’autre. Il s’agit aussi d’une réflexion sensible sur les relations de couple, les relations parents-enfants et l’amitié.
En bref, un premier roman lumineux, sensible, intime et introspectif qui questionne et en même temps apaise.
Dion, Katharine, Paola. - Après Maida. - Gallmeister. - Traduit de l’américain. - 264p. - 22€

Dans ce second opus (après Les chemins de la haine, Prix des lectrices de Elle) on retrouve l’inspecteur Zigic et sa partenaire, le sergent Ferreira. Tous deux appartiennent à la cellule chargée des « crimes de haine ». Ces super flics sont confrontés à une série de meurtres particulièrement sauvages, ayant pour cibles de jeunes hommes d’origine étrangère. C’est sans doute l’œuvre d’un groupuscule néonazi, en lien avec le député local d’extrême droite ? Rien n’est moins sûr. L’enquête parallèle sur la mort tragique de deux travailleurs immigrés fauchés par un chauffard, permettra-t-elle d’éclairer d’un jour nouveau cette suite de crimes racistes ?
Peterborough, ville sinistrée économiquement, voit monter les tensions intercommunautaires exacerbées par l’antagonisme nord/sud, immigrés des pays de l’Est, catholiques, opposés pour une frange extrémiste aux minorités de confession musulmane.
Cet excellent polar place au centre de son intrigue la réalité sociale et politique britannique juste avant le Brexit. Le duo de flics alliant prudence (Zigic) et impétuosité (Ferreira) fonctionne à merveille, les seconds rôles sont bien campés et le tout tient efficacement en haleine le lecteur. On retrouvera avec plaisir Zigic et Ferreira dans de nouvelles enquêtes : deux autres romans non encore traduits sont parus en Angleterre.
Dolan, Eva. - Les chemins de la haine. - L. Lévi. - Traduit de l’anglais. - 423p. - 22€

Pour rendre service à son professeur admiré, la narratrice, écrivain d’origine chinoise, lui présente Weng, « la Bonne Perle ». Cette lointaine cousine, pour préserver les liens familiaux, accepte de quitter son emploi bien rémunéré. La bonne tombe amoureuse du professeur, refusée par celui-ci, elle travaillera de maison en maison, jusqu’à être broyée par la vie.
Ce roman confronte le monde rural auquel veulent absolument échapper ces femmes et la modernité urbaine dont la bonne ne connaît pas les règles.
La Chine d’aujourd’hui terrible et terrifiante.
Huifen, Sun. - Cousine Perle - L’Aube. - Traduit du chinois. - 126p. - 14€

« Elle est espionne. Il est général. Elle est criminelle. Leur point commun : un geste, un mot, et c’est la mort ». Derrière cette quatrième de couverture pas forcément alléchante, et la magnifique illustration, se cache un thriller d’espionnage très intéressant, qui se passe dans la dernière année de Kim Jong-il au pouvoir.
Jenna, jeune femme afro-coréenne et professeur à l’université de Washington, a toujours cru que sa sœur jumelle, Soo-Min s’était noyée lors d’une excursion en Corée. Jusqu’au jour où un agent de la CIA lui annonce que Soo-Min a probablement été enlevée par des agents Nord-Coréens. Pour Jenna, le choix est vite fait : il lui faut retrouver la trace de sa sœur, et si possible, la sauver de l’enfer communiste. Elle subit donc l’entrainement à la Ferme pour devenir agent actif.
Pendant ce temps à Pyongyang, le colonel Cho, fils d’apparatchik du régime, est appelé pour négocier avec l’ONU des subsides, et éviter une nouvelle guerre de Corée. Parti en ambassade aux États-Unis, il découvre un terrible secret qui pourrait le mettre dans une situation mortelle…
Enfin, dans la campagne Nord-Coréenne, Madame Moon découvre un mystérieux ballon venu du sud de la frontière. Dedans, des biscuits. Le début d’une affaire en or sur le marché noir. Et d’une terrible prise de risque.
Le destin est en marche, et entre ces trois personnages se noue une toile de mensonges et de menaces qui risque de tous les amener au trépas.
Un véritable page turner. Écrit dans une langue facile et efficace, on ne s’ennuie pas dans ce gros roman. L’alternance entre les trois personnages tisse l’intrigue jusqu’au dénouement final. Ce dernier est de plus en plus prévisible, tout comme certains aspects de la personnalité de Jenna, un peu borderline, peuvent interroger pour une agente d’un service secret.
Le gros point fort du roman est de présenter un pays méconnu, et de décrire, en s’appuyant sur des sources présentées en postface, le terrible quotidien d’une masse silencieuse, mais aussi les craintes des pontes du régime qui, sur une simple erreur, peuvent finir en camp de concentration, ou bien pire.
John, D. B. - L’étoile du Nord. - Les Arènes, Equinoxe. - Traduit de l’anglais. - 611p. - 22€

Murdo, 17 ans, et son père quittent l’Ecosse et viennent en vacances aux Etats-Unis voir leur famille. Tous deux sont meurtris par le décès de la mère et de la sœur de Murdo, mortes du cancer. Sur la route, Murdo rencontre un groupe de musiciens. Comme lui-même est accordéoniste, ils lui proposent de participer avec eux à un festival en Louisiane. Arrivé dans sa famille, Murdo échafaude des plans pour pouvoir collaborer au festival, mais n’ose pas en parler à son père.
Un beau roman sur l’adolescence et l’amour père/fils. Le style parlé des dialogues, fondus dans la narration, donne un côté très réaliste et tangible à l’histoire.
Kelman, James. - La route de Lafayette. - Métailié. - Traduit de l’anglais (Ecosse). - 376p. - 22,50€

Raphaëlle, artiste peintre, est une jeune femme proche de la quarantaine. Célibataire, elle est déçue par les hommes et surtout par son père qu’elle ne voit plus depuis plusieurs années. Un jour, un notaire lui apprend que celui-ci est décédé, et qu’elle hérite du Clos des anges, la demeure familiale à Giverny. Raphaëlle hésite entre vendre et faire table rase d’un passé douloureux, ou garder la maison et entrer en résilience.
Avec l’aide de sa meilleure amie et de Paul, le gardien du Clos des anges, Raphaëlle se confronte à son histoire familiale et à ses blessures d’enfance. Elle décide d’ouvrir ce lieu à des personnes qui, comme elle, ont besoin de se réinventer.
On lit cette histoire comme on s’enveloppe dans un plaid douilet. Elle contient tous les ingrédients du feel good book : des personnages qui cherchent à réaliser leurs rêves, à rebondir après des événements douloureux, à se reconstruire.
Le traitement des personnages secondaires est cependant un peu superficiel, on aimerait en savoir plus sur leur passé. La dernière partie du livre est précipitée : un autre héritier fait surface et demande son dû, une correspondance entre Claude Monet et le grand-père de Raphaëlle sortie miraculeusement des archives familiales retourne la situation comme par magie...
Tout cela manque un peu de vraisemblance, mais les amateurs du genre apprécieront.
Khayat, Ondine. - Ecoute la petite musique du clos des anges. - Solar. - 269p. - 17€

Oumar est Tchétchène. Dans son pays, il n’existe pas de mot pour désigner les homosexuels. Il est ce qu’on appelle un « homme couleur de ciel », ce qui est passible de mort. Réfugié à La Haye, il se fait appeler Adam, passe son baccalauréat, boit des vodka-orange et embrasse des garçons dans l'obscurité des clubs. Mais il ne vit sa liberté que prudemment et dissimule sa nouvelle vie à son jeune frère Kirem, ainsi qu’à son cousin Makhmoud. Un jour, un attentat est commis dans son ancien lycée. Le terroriste présumé est un étudiant Tchétchène.
Roman choral écrit à la troisième personne, chaque chapitre présente tour à tour le point de vue d’Oumar/Adam, d’Alissa, de Kirem et d’Alex. Alissa est la professeur de russe de Kirem. Elle est Tchétchène, mais cache ses origines. Elle sert d’interprète à la police lors de l’enquête. Kirem, traumatisé par la guerre, est sous le joug de son cousin Makhmoud. Celui-ci avait rejoint une cellule islamiste dans le Caucase du Nord avant de retrouver sa famille. Alex a embrassé Adam\Oumar dans un bar la veille de l’attentat. Il se demande si Oumar ne serait pas impliqué dans cette tragédie.
Très beau roman qui nous parle de quête identitaire, d’intégration, de déracinement, d’intolérance, du poids des valeurs, d’honneur et de vengeance, de l’impossibilité du pardon. Comment faire lorsqu’on est déchiré entre deux cultures ?
On est ému, touché, révolté. C’est un roman qui fait réfléchir sur la notion de liberté. Et c’est aussi une intrigue, qui nous tient en haleine, jusqu’à la dernière page.
Llobet, Anaïs. - Des hommes couleurs de ciel. - L’Observatoire. - 209p. - 17€

Londres, 1908, trois personnages font parler d’eux : Olympe Lovell, suffragette courageuse ; Thomas Belamy, médecin original, tente de faire entrer la médecine chinoise à l’hôpital St Barthelemy ; Horace de Vere Cole, gentleman escroc, cherche à monter le plus grand canular de tous les temps.
Beaucoup d’énergie dans ce roman d’aventures historique. Les personnages sont assez caricaturaux et on n’échappe pas au côté « buffet à volonté » pour ce qui est des figures historiques (l’auteur voudrait convoquer tous les grands personnages incontournables de Churchill à Conan Doyle). Mais on se laisse porter par le rythme haletant jusqu’à la fin de cette histoire qui ravira tous les amateurs de littérature britannique.
Marchal, Eric. - Les heures indociles. - A. Carrière. - 604p. - 22,50€

C’est l’histoire d’un huis clos entre la narratrice (dont on ne connaît pas le nom) et son fils, Tristan, un adolescent de 17 ans. La narratrice est une mère de famille, en conflit avec son fils, une épouse qui se retrouve seule, car son mari a quasi déserté la maison à cause de ses déplacements professionnels. C’est surtout une femme seule, triste, qui se noie dans l’alcool à longueur de journée. Elle s’enivre sans relâche et ne s’en rend même pas compte. Elle ne sort plus de chez elle, elle boit tout simplement, du vin et des alcools plus forts, elle cache le vin dans des bouteilles de lait et elle ment à son fils, à sa voisine, à son époux. Elle devient paranoïaque, ne s’avoue pas à elle-même qu’elle est malade, car l’alcoolisme est une maladie.
L’histoire d’une femme en souffrance, qui s’abîme physiquement et mentalement. A la lecture de ce roman, on a mal pour elle, pour son fils, Tristan, qui assiste à la destruction de sa mère et qui tente du mieux qu’il peut de la sauver.
Un très beau roman, bien écrit, poignant, sur un sujet délicat. Toutefois, à aucun moment on ne saura pourquoi cette femme est tombée dans l’alcoolisme. La raison n’est peut être finalement pas importante, mais ce manque d’information nous ne permet pas de comprendre complètement le personnage. Il m’a manqué un petit truc pour être complétement sous le charme…
Michelis, Denis. - Etat d’ivresse. - Noir sur blanc, Notabilia. - 161p. - 14€

Leonardo Padura nous livre une nouvelle histoire avec son héros fétiche, Mario Conde, flic à la retraite.
Un ancien camarade de jeunesse fait appel à lui pour retrouver la trace de son petit ami qui l’a dépouillé pendant son absence, notamment pour retrouver une Vierge noire à laquelle il tenait beaucoup. Le voilà donc lancé dans une drôle d’enquête qui lui fera parcourir les quartiers plus que misérables, où survivent des immigrés de l'intérieur de Cuba et aussi les beaux quartiers ; naviguer entre le monde des petits voyous et celui des riches marchands d'art.
En parallèle, nous remontons le temps et l’Histoire, en suivant le trajet de cette statue de la Vierge qui a connu guerres et croisades, et est vénérée par certains pour ses pouvoirs magiques...
Ce qui touche particulièrement le lecteur, c’est le portrait attachant que dresse l’auteur de la Havane et de ses habitants. Malgré une ville à l’abandon et une pauvreté croissante, les personnages sont désabusés mais lumineux, et nous émeuvent par leur capacité à résister à la fatalité.
Plus qu’une histoire policière, La transparence du temps est une véritable fresque chaleureuse et ironique se mariant à merveille au goût du rhum et à un sens indéfectible de l'amitié qui font apparemment partie de l’univers de l’écrivain.
Padura Fuentes, Leonardo. - La transparence du temps. - Métailié. - Traduit de l’espagnol (Cuba). - 429p. - 23€

L’histoire d’un jardinier chinois au temps de Molière. Né de père conteur, l’auteur, en désaccord avec la famille, la quitte brutalement. D’abord serveur et vendeur de thé, il rejoint une troupe d’opéra et d’accessoiriste devient acteur. Sur les routes de Chine, les comédiens se produiront et vivront de leur art. L’invasion des Manchous dispersera la troupe et pour survivre, le saltimbanque deviendra jardinier dans un monastère.
Ce roman est très agréable, on perçoit très vite les différences entre la troupe de Molière (auteur et metteur en scène) et la troupe chinoise qui répète inlassablement des histoires du temps des empereurs. Bien documenté, (de nombreux contes chinois sont racontés) drôle et touchant, ce roman vif et plaisant se lit avec facilité.
Pimpaneau, Jacques. - Roman d’un saltimbanque. - Picquier. - 135p. - 14€

Pour ne pas rester au chômage, l’auteur s'inscrit en agence d'intérim, où on lui propose un contrat en Bretagne, dans une usine de poisson, puis aux abattoirs. Travail précaire qui peut s’arrêter le lendemain, horaires décalés, heures supplémentaires avant de rentrer exténué, recherche de co-voiturages. Joseph Pontus décrit le quotidien de la condition ouvrière : la monotonie des gestes répétitifs, le froid, les bruits, le corps en souffrance. Il faut tout au long de la journée ou de la nuit, tenir le rythme, trier, subir le tonnage imposé, attendre les pauses minutées. J. Ponthus commence avec les crevettes et les bulots, puis devient dépoteur de chimères ou égoutteur de tofu. Dans l’abattoir, c’est pire : il faut pousser des carcasses sur des rails, nettoyer le sang et les viscères.
Pour résister, il y a les tactiques qui aident à tenir : gagner du temps, les « pauses café-clopes », les moyens de chacun pour s'échapper en pensée. Pour le narrateur, ce sont les poèmes et les chansons : Apollinaire, Péguy ou Cendrars l'accompagnent, tout autant que les chansons de Trenet. Les pointes d'humour éloignent l'emprise de l'usine.
A la ligne, ce n'est pas seulement la ligne de production (le nom « moderne » du travail à la chaîne), mais aussi la construction du livre : au lieu de mettre des points, l’auteur va à la ligne. Chaque respiration se fait à la ligne, le récit acquiert un rythme propre. Celui du fracas discordant des machines, ou des chansons entonnées pour se donner du courage. Des références littéraires émaillent le récit, les auteurs deviennent des compagnons. En définitive, c'est la culture qui sauve. J. Ponthus tient grâce aux souvenirs de textes.
La description de l'enfer du travail en une sorte de poème scandé happe le lecteur. Il faut se laisser emporter par le rythme. Le texte ne contient aucune ponctuation, mais cela ne gêne pas la lecture. Pas de point, la phrase est sans fin, comme le travail. Une écriture originale, qui veut rendre l'automatisme et le bruit des machines. Bien que le sujet ne soit pas a priori très « attirant », la lecture est prenante. Joseph Pontus a su éviter l’écueil de la littérature prolétarienne, engagée et dénonciatrice. Pourtant, ce livre pousse à s’interroger sur le parcours des produits qui arrivent dans nos assiettes, on est loin d’avoir conscience de la pénibilité de toutes les opérations effectuées.
Un premier roman d'inspiration autobiographique, atypique et captivant. Un magnifique hommage aux intérimaires dont c'est le travail toute leur vie. Plus qu'un témoignage, c’est un cri de rage poignant.
PRIX RTL-LIRE 2019.
Ponthus, Joseph. - A la ligne : feuillets d'usine. - La Table ronde. - 266p. - 18€

Malacqua (mauvaise eau) met en scène la ville de Naples et une pluie incessante durant quatre jours pendant lesquels des drames, des événements étranges se déroulent.
N. Pugliese nous plonge dans sa ville, frappée par le déluge et la précarité. Son style répétitif et poétique nous fait sentir et presque entendre la pluie qui ne cesse jamais et devient obsédante.
Chacun des protagonistes attend que les averses se calment, et qu’un événement extraordinaire vienne les extirper de cette vie morne, de cette ville en carton qui s’effondre progressivement sous le poids de l’eau.
On se sent emporté par la ville de Naples, véritable héroïne et de fait, il devient évident de suivre et localiser sur une carte tous les lieux décrits dans ce roman étrange et envoutant.
Ce livre, paru en 1976 en Italie, est devenu culte, on comprend pourquoi.
Pugliese, Nicola. - Malacqua. - Do. - Traduit de l’italien. - 184p. - 19€

La toile de fond est posée : « En Afghanistan, le 11 mars 2001, les talibans détruisent les deux bouddhas de Bâmiyân ». Cela provoque la destruction de l’identité d’un peuple, annonçant une crise géopolitique majeure.
Ce même jour, nous suivons l’itinéraire de deux Afghans : à Kaboul, Yûsef, porteur d’eau, est fou amoureux de la femme de son frère. Il n’a jamais eu de vie affective, une mère que le lecteur soupçonne de castratrice. Il ne sait pas mettre de mots sur ses émotions.
Les chapitres alternent avec le personnage de Tom, exilé à Paris. Il choisit de quitter sa femme pour rejoindre sa maîtresse à Amsterdam.
L’auteur plonge le lecteur dans une narration qui se métamorphose en conte, alternant avec une histoire réaliste.
Un récit poignant poétique et polyphonique sur l’exil.
Rahimi, Atiq. - Les porteurs d’eau. - POL. - 282p. - 19€

« Trois ans après le décès de son père, Félix de Récondo, un artiste dont la jeunesse fut marquée par la guerre civile espagnole et l'exil, l'auteur évoque sa mémoire dans ce roman autobiographique composé de deux narrations entrelacées. Son père se souvient de son enfance à Guernica, de son amitié avec E. Hemingway et de ses activités politiques, tandis que sa fille témoigne de ses derniers jours. »
Ce roman est un hommage à son père Félix, c’est un récit intime « la lumière de mon enfance venait de disparaitre » (p. 62), à la suite de la mort de sa fille Dominique. C’est une narration à plusieurs voix, une conversation entre Félix et Ernest Hemingway.
Une tendresse infinie est décrite avec la fabrication d’un violon pour sa fille, surtout quand on apprend que l’écrivain est violoniste. Comme l’écrit si bien l’auteur, « Pour mourir libre, il faut vivre libre ».
Récondo, Léonor de. - Manifesto. - S. Wespieser. - 179p. - 18€

Les sœurs aux yeux bleus font suite à La gouvernante suédoise. Marie Sizun reprend la chronique familiale des Sézeneau et des Bergvist, là où s’achevait le premier volume, par le décès de la mère de famille, Hulda. Une mort mystérieuse.
Dans ce second roman, le voile sur la mort d’Hulda est vite levé. On comprend qu’elle s’est suicidée en raison de la relation adultère qu’entretenait son mari avec la gouvernante. Dès lors, on suit les sœurs au fil des différentes périodes de leur vie : l’enfance aisée en Russie auprès de la gouvernante aimante mais coupable ; la grande solitude de leur vie de jeunes femmes sous l’emprise de leur père ; puis le décès de celui-ci et alors pour elles une vie nouvelle à Paris.
Cette suite peut se lire indépendamment. Derrière les photographies de ces aïeux, car c’est de sa propre histoire familiale dont il s’agit, Marie Sizun réinterprète le drame familial, elle imagine ce qu’ont été les vies et les sentiments de ces hommes et femmes, qui vécurent au XIXe et au début du XXe siècles. Le roman illustre à merveille « cette société en pleine évolution et la dignité nouvelle trouvée par les femmes ». Chaque sœur a sa personnalité, chacune saisit à sa manière son émancipation tardive, chacune est singulière et touchante, des fois surprenante et toujours ensemble.
Sizun, Marie. - Les sœurs aux yeux bleus. - Arléa, 1er/mille. - 386p. - 20€

Kate Woodcroft, la quarantaine, est une brillante avocate pénaliste, conseillère de la reine. Sa vie bascule lorsqu’elle reçoit un brûlant dossier. James Whitehouse, politicien haut placé, marié et père de famille, est accusé de viol par Olivia, sa jeune collaboratrice. Il reconnaît avoir entretenu avec elle une liaison, mais réfute le viol. L’avocate doit prouver sa culpabilité.
Sophie, l’épouse de James, veut le sauver. Elle le connaît depuis près de vingt ans. Ils se sont rencontrés à Oxford. Elle croit le connaître. Elle ne peut douter de lui.
Olivia dit-elle la vérité ou ne supporte-elle pas d’être quittée ?
Kate aura fort à faire dans ce dossier, d’autant qu’il fait resurgir un passé qu’elle croyait enfoui au plus profond de sa mémoire.
C’est un thriller psychologique. Le scenario s’articule sur deux époques : les années d’études des protagonistes et le présent. Une belle écriture. Un roman qui se lit facilement et d’une traite. Les retournements de situation pourront surprendre. Le lecteur français plongera avec curiosité et délice dans les arcanes de la justice britannique. Un scandale autopsié au scalpel. Où est la lisière de la vérité ? Où commence le mensonge ? Dans l’après #meetoo, ce roman a une certaine résonnance.
Vaughan, Sarah. - Anatomie d’un scandale. - Préludes. - Traduit de l’anglais. - 444p. - 17€

Ce roman choral donne la parole à sept adolescentes chinoises toutes filles d’émigrés, arrivées aux États-Unis dans les années 80-90. Sans être complètement autobiographique, ce recueil de nouvelles est tiré de l’expérience éprouvante de cette jeune auteur, poète et artiste, quand elle fréquentait l’université.
« Mes parents étaient sur une route qui menait nulle part, au pied du mur, alors c’était à moi de devenir bonne, c’était à moi de briller, et ça me faisait peur, parce que j’aurais voulu rester en arrière avec eux, je ne voulais pas les dépasser ».
On nous l’annonce à l’avance sur le bandeau : le langage est trash, cru, provocant, avec des phrases coup de poing. Humiliation, mépris, racisme, pauvreté extrême, rivalités entre communautés. Nous plongeons dans un quotidien certes miséreux, mais aussi rempli d’énergie, où les filles racontent, pas toujours à hauteur d’enfant, leurs problèmes existentiels, mais surtout leur combat pour sortir de ce quotidien sordide. « À l’époque où mes parents et moi vivions dans un immeuble pris en sandwich entre squat de dealers et un autre squat de dealers […]? »
Le langage est parfois drôle, et on se surprend même à sourire parfois… mais avec des grincements de dents !
Ces jeunes filles sont cruelles, rebelles, en colère et n’épargnent personne.
Ce roman est aussi un portrait des États-Unis, de l’immigration et du rêve américain chinois depuis la dictature de Mao. D’ailleurs, de temps en temps, les récits sont coupés par des flashbacks déchirants de l’époque de leurs grands-parents.
Et pourtant… C’est presque toujours l’amour qui triomphe dans ce livre tragique souvent, mais toujours lumineux… Une pépite.
Zhang, Jenny. - Apre cœur. - Picquier. - Traduit de l’anglais. - 379p. - 22€