Commission Petits éditeurs de septembre 2020

Commission Petits éditeurs BiB92 - Sélection septembre 2020

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Cette histoire d'amour se joue des années et de la condition des personnages. Différences d'âges et de milieux, ces deux amoureux n'avaient aucune chance de se rencontrer. L'auteur montre comment une vie peut basculer. Après un passage en prison, l'un est mort et Mylène a refait sa vie dans le souvenir, à plus de 60 ans. Cette femme dont on connaît la vie bourgeoise, a connu la prison par amour pour Pascal, musicien de 20 ans son cadet, dont elle est tombé amoureuse. Elle croit Pascal mort, quand, un jour, elle trouve des affaires lui appartenant. Toujours éprise, elle veut absolument le retrouver. Mylène finit par douter. Qui était vraiment Pascal ? Pourquoi l'a-t-il séduite ? S'est-on joué d'elle ? Elle est décidée à aller au bout de ses recherches, n'hésitant pas à mobiliser trois amis avec qui elle travaille au dépôt-vente de Montreuil (qui sont les héros du roman précédent), mais aussi l'inspecteur Dagan. Plus que jamais, c'est le soutien de ses amis qui l’aidera. Peut-on revenir sur ses erreurs ? Mylène est contrainte par des événements inattendus, de revisiter son passé. Pascal est-il vivant ? Un esprit manipulateur toujours en avance sur l’action sème des indices faisant référence au passé de Mylène avec Pascal. « Alors regarde, regarde un peu » le talent d'Hervé Commère, écrivain trop méconnu, doué pour bâtir des histoires aussi surprenantes que poignantes. Ses récits sont toujours originaux, sombres et touchants à la fois, mêlant des  émotions puissantes. Une fable noire, mais humaine. Un page-turner efficace à dévorer, aux courts chapitres, ce qui fait qu'on les enchaîne, même si l'action n'est pas trépidante. Vivement le suivant !

Commère, Hervé. - Regarde. - Fleuve. - 306p. - 19€

 

Fatima est la petite dernière de la famille, la mazoziya, comme elle l’écrit, d’une fratrie de trois sœurs. La petite dernière d’une famille algérienne musulmane, et la seule à être née en France. Le roman va et vient entre son enfance et ses jeunes années d’adulte, évoquant tour à tour son milieu familial, scolaire, sa vie en Ile de France de Clichy à Paris, ou encore son rapport à la religion. Elle dresse ainsi un tableau à la fois social et intime de son quotidien. Très vite, on réalise à quel point ce dernier est pressé par les paradoxes et les contradictions. La narratrice se trouve déchirée entre son homosexualité, l’intolérance familiale à laquelle elle s’apprête à faire face et sa pratique assidue de la religion musulmane. Lors d’une interview sur France Inter, elle confie elle-même « Je suis dans le péché », soulignant ainsi le rapport punitif qu’elle entretien à l’égard de sa vie amoureuse. Ce récit bénéficie d’une belle écriture travaillée et poétique. Fatima Daas rythme et scande son texte par le biais de paragraphes et de phrases courts, percutants, cadencés par la ritournelle de certaines occurrences. Chaque chapitre est introduit par la même formule « Je m’appelle Fatima Daas », avec tout le poids social, religieux et sexué que porte cette phrase. L’auteure offre là un texte pour le moins paradoxal, allant vers l’ouverture d’esprit et la modernité, voire la rébellion, demeurant néanmoins sur l’idée d’un péché quant à sa sexualité… Fatima Daas laisse entrevoir ici la situation impossible et cornélienne à laquelle elle fait face. À quand la disparition des dictats religieux ?

Daas, Fatima. - La petite dernière. - Noir sur blanc, Notabilia. - 187p. - 16€

 

Vladivostok, début novembre. Nathalie, costumière, débarque de Paris au cirque de la ville alors que la saison touche à sa fin. Elle est recrutée pour confectionner les costumes d’un trio d’acrobates en pleine préparation de leur nouveau spectacle. Commence alors un roman en huis-clos, dont l’action se situe quasi exclusivement dans le cirque désert et en présence de cinq personnages : Nino et Anton, les deux porteurs, Anna l’équilibriste, Léon, le metteur en scène et Nathalie, narratrice du roman qui suit l’entrainement des acrobates. Si le début du récit m’a laissé perplexe -l’action très lente, voire timide maintient le lecteur dans l’attente d’un élément déclencheur, d’un rebondissement ou d’un drame- sa suite a tout à fait modifié mon point de vue et j’ai compris que Vladivostok Circus était un formidable roman d’observation. Elisa Shua Dusapin fait preuve d’une écriture intelligente, pleine de finesse et de pudeur. La narratrice demeure discrète, mais capte et met en lumière toutes les tensions, failles et autres blessures de chacun des personnages. Leurs rapports évoluent doucement, au fil des entraînements et du quotidien au cirque. Chaque personnage est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Point de personnalité monochrome ou stéréotypée ici, les rapports de domination ou de proximité ne sont pas unilatéraux et s’avèrent parfois très insidieux. Le lecteur épouse le rythme de Nathalie : il apprend à connaître les protagonistes en même temps qu’elle-même apprend à connaître son équipe. L’auteure a réussi, dans ce roman, à mêler parfaitement délicatesse et pesanteur. Qu’importe l’action si les personnages font preuve d’une grande richesse psychologique !

Dusapin, Elisa Shua. - Vladivostok Circus. - Zoé. - 173p. - 16,50€

 

Paul Morand gagne la confiance des habitants d’un village des Ardennes et devient le maire ; en même temps, il se fait un ennemi du maire sortant. Quelques décennies plus tard, il est soupçonné du meurtre du fils de son ennemi. Le roman s'ouvre sur le procès de Paul Morand, accusé d'avoir tué le journaliste qui avait fait de lui sa tête de turc. Pendant son transfert dans le fourgon, il se remémore ses années de mandat, son dévouement et sa volonté d'aider ses concitoyens. Vouloir faire venir des migrants dans son village lui a évidemment valu des ennemis. Chronique de tous les problèmes auxquels les élus doivent faire face : le racisme, le chômage, les magasins qui ferment, les habitants qui se sentent délaissés. Un livre juste et un sujet d'actualité sur la condition et le rôle d'un maire, pour faire prendre conscience de leur travail et problèmes. Un beau portait de la vie d'un maire aujourd'hui, de ses nombreuses responsabilités, qui s’achève dramatiquement.

Grégoire, Pascal. - Monsieur le Maire. - Le Cherche midi. - 173p. - 17€

 

La discrétion dresse le portrait de Yamina, immigrée algérienne arrivée en France au début des années quatre-vingt. Installée en banlieue parisienne avec son mari, Yamina se construit une nouvelle vie et élève ses enfants sans jamais oublier son pays d’origine et ses traditions. Malgré de nombreuses années sur le sol français, Yamina s’évertue à ne jamais faire de vague. La discrétion est devenue son leitmotiv. Elle suit les règles sans se plaindre malgré quelques situations inconfortables. Malheureusement, cette colère non exprimée se transmet inconsciemment à ses enfants. L’ouvrage reconstruit chapitre après chapitre l’histoire familiale de la discrète Yamina. Passé et présent se chevauchent pour mieux mettre en exergue l’histoire avec un grand H que partage la France et l’Algérie. Grâce à ce roman, l’auteure s’interroge sur l’évolution de notre société et décrit avec justesse le quotidien et les multiples questionnements d’une génération peu reconnue partagée entre deux cultures. Faïza Guène offre, ici, un texte essentiel sur la question de l'exil, de la transmission et de l’intégration. À lire absolument !

Faïza, Guène. - La discrétion. - Plon. - 256p. - 19€

 

Dans les Etats-Unis esclavagistes des années 1830, Lisbeth, petite fille blanche qui vient de naître, est élevée par Mattie, une esclave noire, car à l'époque la mère n'a pas le droit de s'en occuper. Mattie se voit obligée de délaisser son bébé pour élever le nouveau-né de ses maîtres. Un lien très fort se noue entre elles et Lisbeth refuse que Mattie s'éloigne. La famille de Mattie devient la famille de cœur de Lisbeth. La jeune fille grandit, puis doit faire un bon mariage, mais le destin en décidera autrement et Lisbeth affirmera sa volonté. La façon d'aimer de Mattie cette petite fille blanche permet à l'enfant de se forger un avenir et de dépasser les coutumes en s'opposant à sa famille. La violence fera sauter les œillères de la jeune fille de famille esclavagiste. C'est un roman intimiste sur la relation entre l'enfant et sa nourrice ; il n'est pas question de la vie dans la plantation. L'auteur nous épargne la violence de l’esclavagisme afin de mieux exprimer les liens entre les êtres. Laila Ibrahim signe ici un très beau roman sur l'appartenance, l'attachement et l'innocence. La petite fille blanche aime sa nourrice noire, sans voir la différence de couleur. La nourrice se prend d'affection pour cette fillette qu’elle protègera pendant des années... Deux mondes diamétralement opposés, que tout sépare sont reliés par cet amour. Deux femmes courageuses dont l'envie de liberté dépasse l'obéissance aux codes. Le crocus jaune est un premier roman poignant et très réussi. On attend la suite. Attention, sortez vos mouchoirs pour le dénouement !

Ibrahim, Laila. - Le crocus jaune. - Charleston. - Traduit de l’américain. - 249p. - 20€

 

Nous sommes à la fin des années soixante, au milieu de l’océan pacifique, plus précisément à Diego Garcia. La vie est simple au Chagos, on n’y possède pas grand-chose, mais ce que l’on a suffi. Marie Ladouceur, femme aux pieds nus et au caractère bien trempé y vit avec ses deux enfants et ses proches. Elle fait un jour la rencontre de Gabriel, Mauricien venu assister l’administrateur de l’île. Tout les oppose et cependant tout les conduit l’un à l’autre. Et puis, l’île Maurice obtient son indépendance, il devrait en être autant de Diego Garcia, mais certains en ont décidé autrement : elle est petit à petit vidée et affamée puis militairement investie par les Américains. Tandis que la liberté s’éteint, la misère et la colère s’éveillent et grandissent. Caroline Laurent nos offre un roman polyphonique, qui fait parler des générations et des ethnies différentes à travers une écriture enflammée et incisive. La colère, qui donne son titre à l’ouvrage, est plurielle et embrasse diverses échelles : c’est celle de Marie qui perd sa terre, mais aussi la colère de Gabriel, celle de leur fils, Joséphin qui investit sa vie dans la suite de leur combat, c’est la colère qui rend fou, à l’image de Christian et celle qui passe de l’échelle familiale à l’échelle insulaire. Largement inspirée de la réalité historique et géopolitique de cet archipel mutilé, l’intérêt porté à cet ouvrage et à l’histoire de son île m’a poussé à la curiosité : elle n’est aujourd’hui qu’un vaste terrain bétonné, où ne butinent plus que des avions de chasse et des cargos militaires américains…

Laurent, Caroline. - Rivage de la colère. - Les Escales. - 256p. - 20€

 

Dans le Nord de la France, un père veuf élève seul ses deux fils. Il fait au mieux, entre son travail, ses réunions avec ceux de la section syndicale, l’éducation des enfants. L’aîné, petit à petit, décroche scolairement et fréquente des jeunes ultras ; seuls le foot réunit encore le père et le fils. Le cadet « réussit » et part poursuivre ses études à Paris. Les frères s’éloignent l’un de l’autre malgré tout l’amour qu’ils se portent ; le père ne les reconnaît plus. La communication entre le père et eux devient de plus en plus difficile le père reste persuadé que si la « môman était encore là, elle saurait elle », et que rien ne serait arrivé. Ce roman n’est pas sans rappeler Nos enfants après eux de Nicolas Mathieu. C’est un récit sensible et pudique sans concession, écrit avec une extrême concision de style qui ébranle nos convictions de lecteurs, qui interroge.

Petitmangin, Laurent. - Ce qu’il faut de nuit. - La manufacture des livres. - 187p. - 17€

 

Dans un petit village de montagne, l'arrivée des Langlois, couple mixte très aisé, fait jaser. Ils attisent curiosité et jalousie auprès de leurs voisins. La vie de village est bien décrite : les fêtes, les ragots, le racisme... Anna et Constant sympathisent avec les nouveaux venus. Constant est fasciné par ce voisin à qui tout semble sourire. Mais une relation ambiguë s'établit entre les deux couples, créant un climat malsain. Constant confie les économies de ses parents au mari qui lui fait miroiter une rentabilité élevée mais lorsque Constant, subodorant une affaire pas nette, lui réclame son argent, il ne parvient pas à le récupérer. Obsédé par cet argent, symbole de ses échecs accumulés, aveuglé par la haine et la jalousie qui ne cessent de croître, il commet l’irréparable : il massacre toute la famille Langlois sur un coup de folie. Anna revient sur le drame qu’elle n'a pas vu venir. Les scènes de procès alternent avec les souvenirs d'Anna. Elle s'adresse à son mari dont elle tente (en vain ?) de comprendre comment et pourquoi survient le passage à l'acte. Quelques tranches de vie, des bonheurs simples, avant les incompréhensions, jalousies, vexations de non-dits montrent comment s’est construite la vengeance qui mènera au meurtre. Qu'est-ce qui pousse au meurtre ? Un homme "normal" peut-il tuer ? Ce roman met en avant le fossé entre des classes sociales différentes et la violence que peut engendrer le sentiment d'injustice sociale, la peur de l'étranger. C'est glaçant ; l'écriture est ciselée, tendue ; même si on connaît le dénouement dès le départ, on veut comprendre comment cet homme a pu se transformer en assassin. Samira Sedira s'est inspirée de l'affaire Xavier Flactif, en 2003, au Grand-Bornand. Elle traite ce fait divers avec pudeur, et lorsque le drame survient, on assiste impuissant à l'horreur absolue du massacre d'une famille entière. Ce roman coup de poing, lu d'une traite, est court et percutant.

Sedira, Samira. - Des gens comme eux. - Le Rouergue, La Brune. - 139p. - 17€

 

Célian est un garçon rêveur et surdoué que l'école ennuie, mais il est passionné par les étoiles. Sa mère, elle, ne parvient pas à surmonter une rupture amoureuse. Pour se guérir de leur peine, elle l'emmène sur une île suédoise où, à la Renaissance, l'astronome danois Tycho Brahe a construit un palais afin d'observer le ciel ; c’est le fondateur du premier observatoire. Certains pensent qu’Hamlet a été inspiré de la vie de Tycho Brahe. Sa proximité avec la reine du Danemark aurait pu inspirer le personnage de l'amant de la mère d'Hamlet. Ce personnage éveille l'admiration de Mary et Célian. Mère et fils explorent le monde sauvage pour trouver un remède à leurs blessures. Ce voyage en Scandinavie les aidera à prendre un nouveau départ. La voix de l'enfant a un rapport à la nature et une contemplation de son environnement extraordinaire, qui offre une renaissance à Mary. Dans ce texte magnifique, Maud Simonnot mêle l'astronomie, la famille et la poésie dans un cadre idyllique qui permet de panser ses blessures. Elle traduit parfaitement l'atmosphère qu’inspire la nature et parle délicatement de l'amour entre mère et fils. L'enfant céleste est un très beau récit poétique à deux voix. Les interventions de Célian en font un enfant attachant, et offrent un regard frais sur l'histoire. L'écriture est sensuelle, épurée et musicale ; elle décrit des sons, des odeurs, des couleurs, des visions enchanteresses. Les chapitres courts et envoûtants nous entraînent à partager cette retraite bucolique. C'est lumineux et magique : on en redemande ! Un coup de cœur qui nous laisse rêver la tête dans les étoiles. Une lecture qui continue de toucher une fois l'ouvrage refermé. Trop court !

Simonnot, Maud. - L'enfant céleste. - L’Observatoire. - 173p. - 17€