Commission Petits éditeurs de mai 2022

Commission Petits éditeurs Bib92 - Sélection mai 2022

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Kailegh a appartenu à la cohorte de modérateurs de contenu chargés de veiller sur les images et les textes qui circulent sur le web. Sur un ton froid et désabusé, la jeune femme répond par courrier interposé à l'avocat qui lui a proposé de participer à une action collective contre la plateforme Internet qui l'employait. En dépit de la somme de vidéos barbares et de commentaires haineux qui lui a été infligée le temps de ce travail précaire, elle refuse de se joindre à ses anciens collègues, mais souhaite raconter ce qui l'a personnellement traumatisée sur les lieux de ce travail. Commence alors le récit du quotidien éreintant de ces nettoyeurs du web, de l'indifférence avec laquelle ils se protègent jusqu'aux cauchemars qui les hantent. Le jour où apparaît la séduisante Sigrid, venue travailler avec eux, Kailegh semble perdre ses moyens. Que peut devenir une relation entre deux êtres au sein d'un univers où l'intimité est quotidiennement malmenée ? Telle est la question que pose Hannah Bervoets avec acuité, le temps d'un récit à la tension irrésistible. L’intérêt de ce roman est principalement le sujet abordé. Comme vu dans le résumé, il s’agit d’une bonne porte d’entrée dans la réalité de la modération des réseaux sociaux. Le travail sur les personnages permet de constater la déchéance psychique et intellectuelle qui sévit sur les employés après plusieurs semaines ou mois de visionnage. L’autrice emploie la plupart du temps une langue claire et raffinée, sans se départir d’analyse psychanalytique et sociologique sur le milieu dans lequel son personnage évolue. Si ce n’était un roman, ce serait une enquête journalistique que je comparerais à Johan Didion, pour sa rigueur et sa qualité immersive. Un dernier intérêt réside dans la relation qu’entretient le personnage principal et la nouvelle venue Sigrid. Ce qui semble être au départ une histoire d’attraction banal au sein d’un environnement stressant prend des allures de thriller à mesure que l’on s’approche de la fin du roman. Je recommande ce titre qui fait partie de la belle littérature appréciable par tous et toutes, ouvrant sur un monde dont l’on parle trop peu.
Bervoets, Hanna. - Les choses que nous avons vues. - Le bruit du monde. - Traduit du néerlandais. - 160 p. - 16 €

Alors qu’elle accueille chez elle sa mère atteinte d’un cancer, la narratrice (l’autrice ?) découvre le quotidien de la maladie. Une nouvelle réalité s’impose alors à elles deux, celle du corps : il exige son vocabulaire, ses gestes, ses nouveaux rituels et crée une intimité inédite entre la mère et la fille. Des secrets de famille sont alors dévoilés : la violence a déferlé sur des générations de femmes et a toujours été cachée. Un livre sensible et émouvant, qui aborde la question de l’accompagnement au soin avec beaucoup de pudeur et de délicatesse. Il lève également le voile sur les non-dits qui peuvent peser sur les familles. Avec ce quatrième titre, Colombe Boncenne s’est engagée sur un terrain personnel et fait penser aux récits autobiographiques d’Annie Ernaux. Autrice à suivre !
Boncenne, Colombe. - Des sirènes. - Zoé. - 200 p. - 17 €

Adam, 17 ans, vit dans une tour de 98 mètres d’un quartier de Londres, ironiquement nommée l'Eden, car s’y côtoient violence, misère, drogue et alcoolisme. Pourtant, les touristes adeptes de l'art brutaliste, qui sublime le caractère brut du béton, prennent en photo cet exemple d'architecture. Adam raconte le jour où sa mère est partie définitivement, après avoir reçue la raclée de trop de celui, que désormais, il ne considére plus comme père, mais comme "l'autre"... Cet autre qui retournera sa violence, son dégoût, son alcoolisme contre son fils. Adam avait alors 9 ans et Lauren 6 ans. L'enfance s'est arrêtée là. Depuis, c’est l’angoisse pour sa sœur de 14 ans ; pour sa mère qui les a abandonnés ; enfin pour l'avenir qui paraît sombre. Les enfants doivent vivre avec ce manque et cet abandon. Adam fait tout pour s'en sortir et provoque l'empathie. Il n'a qu'un seul objectif : protéger sa petite sœur, l'aimer du mieux qu'il peut ; il s'occupe d’elle en travaillant. Huit années pendant lesquelles Adam grandit "tiraillé, à mi-chemin entre l'angoisse et l'espoir". L'espoir lorsqu'il fait la lecture à Claire, une dame aveugle qui lui fait découvrir la littérature et se prend d'affection pour lui. La rencontre d'Eva sur un quai de gare bouleverse la stabilité précaire de sa vie. Il sauve la jeune fille prête à se jeter sous un train. Troublée, elle s'enfuit. Son regard reste ancré dans la mémoire et le cœur de l’adolescent. Aidé par ses amis, Adam est prêt à tout pour la retrouver. Cette lueur d'espoir lui sert de guide…
Dans un livre poignant et âpre, Olivier Dorchamps décrit une toile sociale qu'il semble connaître. Derrière sa noirceur, le texte est plein d'espoir. Un roman social, émouvant, d'une grande justesse, avec une fin inattendue et puissante.
Dorchamps, Olivier. - Fuir l’Eden. - Finitude. - 266 p. - 19 €

Pour ses 70 ans, Sverre, le patriarche d’une famille norvégienne décide d’organiser un voyage en Italie avec sa femme, ses enfants adultes, Liv, Ellen et Hakon, ses beaux-fils, Olaf et Simen et ses petits-enfants, Agnar et Hedda. Toute la famille est contente de se retrouver. L’anniversaire est organisé dans une villa italienne, mais Ellen trouve que sa mère a une attitude bizarre. Sverre prononce un discours et annonce à ses enfants qu’ils ont décidé de divorcer ! Pour Liv, Ellen et Hakon, les enfants adultes, indépendants financièrement, c’est un véritable coup de tonnerre. Ils ne comprennent pas ; rien dans l’attitude de leurs parents ne laissait présager une telle décision. Leur famille semblait si unie... Une famille moderne est un roman choral dans lequel alternent les voix de Liv, Ellen et Hakon. Une fois le divorce prononcé, Helga Flatland place les parents en retrait du récit pour donner toute leur place aux trois enfants. A tour de rôle, ils livrent leur ressenti sur la situation, confient leurs rêves, leurs projets, leur vision de la famille. Ce sont des personnages attachants. Ce roman se lit facilement et interroge sur les répercussions que peut engendrer un divorce sur la psyché des enfants adultes. Il traite aussi de la place dans la fratrie, des rivalités entre frères et sœurs, des valeurs éducatives. Même s’il n’y a pas beaucoup d’action dans ce récit, cette famille norvégienne devient pour nous, Européens du sud, un miroir de ce que beaucoup vivent aujourd’hui : l’existence d’une famille ordinaire.
Flatland, Helga. - Une famille moderne. - L’aube. - Traduit du norvégien. - 386 p. - 22 €

Si le deuil et la mort sont les fondements du récit, celui-ci se distingue par le portrait sensible et touchant que l’auteur fait de lui-même. On rencontre au fil des pages l’amour sincère et profondément beau qui le lie à sa défunte épouse depuis leur rencontre il y a 20 ans. C’est un homme sensible au milieu d'un entourage impassible face à sa souffrance. Il y a deux hommes : l'homme public, le Ministre de la Communication et l'homme privé, le veuf, l’orphelin. En public, il ne montre rien, on le devine fatigué, mais il tient ses fonctions de ministre, honore ses déplacements à l'étranger, ses réunions. L'homme privé, lui, pleure et fait des cauchemars, ne supporte pas le vide laissé par sa femme. Il s’accroche chaque jour à ses souvenirs heureux et à ses enfants, fruits de leur amour que la mort n’a pas su altérer. Meriem reste toujours vivante dans son cœur au quotidien. Ce récit revêt aussi un caractère sociologique intéressant car il s'inscrit dans une réalité sociétale très marquée. En Algérie, le mariage est vécu comme une convention sociale. Il s'agit souvent d'unions arrangées, sans qu'il n'y ait un quelconque attachement entre les mariés. Bien sûr, il existe des mariages d'amour comme en témoigne ce magnifique hommage de Hamid Grine. Et c'est justement le contraste entre ces différentes unions qui est saisissant. Puisque ces hommes sont époux par pure tradition sociale, ils ne peuvent comprendre l'étendue du chagrin du ministre et s'en raillent même. Ici, un religieux l'exhorte à fermer la "parenthèse" de sa défunte épouse et de passer à autre chose, trois jours après les obsèques. Là, c’est le président qui s'amuse de sa tristesse et lui fait remarquer, qu’après dix jours de deuil, il est plus que temps de tourner la page. Pour la majorité des hommes présentés dans le récit, les femmes sont interchangeables et le décès d'une épouse ne peut présager qu'un bonheur à venir dans le mariage avec une autre. C'est un contraste frappant face à la douleur de ce veuf peiné qui témoigne de son tendre amour envers Meriem jusqu’à la dernière ligne. Elle était pour lui unique et irremplaçable et il lui rend un hommage d’une rare émotion.
Grine, Hamid. - Dans la pièce d’à côté. - Gaussen. - 254 p. - 19 €

Ursa monte sur scène pour chanter le blues. Un soir, son mari, fou de jalousie, la roue de coup et manque de la tuer. Le roman s’ouvre sur la convalescence d’Ursa qui se remet doucement sur pied et qui cherche à se reconstruire. A travers le récit de sa reconstruction, ce sont aussi les souvenirs d’un passé hanté par l’esclavage et hérité de ses ancêtres qui se révèle comme conditionneur de ses choix du quotidien. Dans la voix d’Ursa, s’expriment aussi sa mère et sa grand-mère, ces femmes noires américaines héritières d’un passé esclavagiste qui les a ravagées psychologiquement. L’autrice se fait ainsi porte-parole de ces femmes qui ont été aussi été les esclaves sexuelles de leurs maîtres blancs. Dans ce roman, édité en 1975 par Toni Morrison, Gayl Jones révèle les traumatismes que ces femmes esclaves ont transmis à leurs enfants nés des relations qu’elles étaient forcées d’avoir avec leur maîtres qui étaient d’ailleurs souvent aussi leur père... L’histoire d’Ursa est le point de départ de la reconstitution d’un arbre généalogique féminin alourdi par le poids de l’esclavage et des atrocités humaines qu’elle a permis. La lecture est difficile, car l’écriture est crue et directe. Orale, elle mélange les discours, les souvenirs, les rêves des personnages si bien que le lecteur en est confus. J’ai eu beaucoup de mal à le lire tant certains passages m’ont heurtée et j’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois pour ne pas arrêter la lecture. C’est en lisant les critiques de Corregidora que j’ai pu prendre le recul nécessaire pour comprendre les tenants et aboutissants de ces histoires d’une violence traumatisante. C’est un roman fort intéressant sur un plan sociologique, sociétal et psychologique et qui a une grande portée dans l’histoire des femmes noires américaines, un peu comme ont pu l’être les écrits de Toni Morrison. Il met en lumière les conséquences de l’asservissement qui sont toujours ravageuses en raison des traumatismes que les femmes se transmettent encore, consciemment ou non, de génération en génération. Grand roman de la littérature afro-américaine féministe et cour de cœur de Daphnée !
Jones, Gayl. - Corregidora. - Dalva. - Traduit de l’anglais. - 254 p. - 21 €

Sabrina Kassa raconte l’histoire de Mima Ounessa, en France depuis 40 ans et qui décide de retourner en Algérie. Après la mort de son mari, cinq ans après leur arrivée en France, l’Algérienne doit élever ses quatre enfants seule à Belleville, se sacrifiant pour qu’ils ne manquent de rien. Mima est musulmane, mais elle aime Noël car cette fête lui permet de réunir ceux qu’elle aime. Elle annonce son retour au pays à ses enfants : ses filles, Lila et Rania, ses fils, Aïssa et Mokhtar, ainsi que sa petite-fille Eva. Pas un ne ressemble à l’autre, mais tous sont bouleversés par l’annonce de ce départ. Pour les convaincre de son choix, Mima Ounessa va devoir livrer quelques secrets… Au carrefour de plusieurs identités, les enfants de Mima Ounessa cherchent son attention et ne parviennent à se comprendre. Sabrina Kassa revisite la mémoire des exilés et permet une meilleure transmission de l’histoire aux générations suivantes. Le roman familial attachant est à la fois drôle et émouvant, sans clichés. Porté par une langue fluide, il nous donne à voir des personnages touchants. Un livre qu’on quitte à regret.
Kassa, Sabrina. - Un Noël chez les Zemmouri. - E. Collas. - 173 p. - 15 €

Edité en France pour la 1ère fois en 1951, ce roman anglais bénéficie d’une nouvelle publication en 2022. L’intrigue se situe en 1947, en Cornouailles. Un gigantesque morceau de falaise s’est effondré dans une crique, détruisant l’hôtel de Pendizack et entraînant la mort de tous ceux qui s’y trouvaient. Les jours précédant le drame, un festin fut organisé. Le récit démarre par des lettres des différents protagonistes qui occupent l’hôtel. Il confronte les mœurs bourgeoises des clients de l’hôtel et celles plus populaires du personnel de l’hôtel. Les nombreux personnages (famille avec enfants, couples sans enfants, célibataires, les gérants de l’hôtel et leurs employés) ont chacun leur caractère et font la richesse du roman. C’est le monde d’après-guerre, tous ce qui est rare devient cher, et toute la population fait ses courses avec des bons alimentaires. Les riches s’expatrient à Guernesey, pour échapper à l’impôt. Margaret Kennedy mérite d’être redécouverte. La couverture colorée du roman est très réussie, et donne une nouvelle jeunesse au Festin, qui devrait facilement trouver son lectorat.
Kennedy, Margaret. - Le festin. - La table ronde. - Traduit de l’anglais. - 470 p. - 24 €

Daniel rencontre Emily sur les bancs de la fac à Bordeaux, au début des années 90 et ils tombent amoureux. Quand la guerre civile éclate en Algérie, Daniel rentre en catastrophe dans son pays d’origine pour être au plus proche de ses parents pour lesquels il se fait un sang d’encre. A son retour, le voilà en plein cœur d’un conflit où les voisins et amis de toujours sont devenus les ennemis d’aujourd’hui. Henri, son père, cet ancien commerçant adoré de tout le voisinage, refuse de quitter le pays sous prétexte de devoir se protéger des intégristes musulmans qui se sont mis en tête de chasser les juifs d’Algérie. La famille Atlas devient vite l’emblème des derniers juifs d’Alger. Mais l’étau se resserre et la menace se fait de plus en plus pesante autour de Daniel et de ses proches. Il va devoir prendre une décision pour agir en faveur de son peuple et protéger ceux qu’il aime. Une décision qui les éloignera à jamais. Emily, restée en France est elle aussi juive, et sa famille est originaire du Minnesota. Elle raconte, dans les premières pages, la destinée de ses ancêtres exilés d’Europe de l’Est. C’est sa fille, Becca, qui viendra boucler la reconstitution de leur arbre généalogique. C’est un roman des origines qui ancre le peuple juif dans l’histoire d’Algérie en témoignant des liens d’amitié sincères qui les a toujours unis à leurs compatriotes musulmans. L’histoire d’amour entre Daniel et Emily prend finalement assez peu de place, même si c’est elle qui l’ouvre et le ferme. Alice Kaplan insère des passages documentaires comme le décret Crémieux de 1870 qui donnait aux juifs d’Algérie la nationalité française et qui fut abrogé sous le régime de Vichy. Ces passages s’entremêlent aux voix des différents personnages et rendent la lecture parfois un peu moins fluide. C’est un beau roman sur l’Histoire de l’Algérie dont les habitants ont dû faire face à des horreurs sous le colonialisme, durant leur lutte pour l’indépendance, puis la décennie noire. Le récit d’un peuple qui a su faire preuve d’une grande dignité et d’un grand courage face à l’oppression.
Kaplan, Alice. - Maison Atlas. - Le Bruit du monde. - Traduit de l’américain. - 267 p. - 21 €

Dans une ville de banlieue, Henri, comptable à la retraite, mène une vie tranquille. La disparition de Clara, sa jeune voisine, l'amène à rencontrer Soul et Brahim. Soul n'a pas pu réaliser son rêve de devenir policier et se charge de faire payer les mauvais payeurs, tandis que Brahim, le patron du restaurant Nueve cuatro, règne sur l'ouest de la cité mais commence à déraisonner.
L’auteur est scénariste, notamment celui de la série Validé, ce qui explique le style, le ton et l’ambiance du roman. Ce roman se passe dans une banlieue fictive, ouvertement caricaturale. L’intrigue monte en puissance à mesure des découvertes. Mais ce qui caractérise ce roman et qui réjouira certains lecteurs/lectrices, c’est son style, un parler banlieue inventif, truffé de jeux de mots et de répliques qui claquent. Des personnages qui tiennent leurs rôles jusqu’à la bouffonnerie, et d’autres touchants, entiers. L’auteur nous livre ici un western spaghetti sauce ghetto, c’est trash, drôle, gore, plein d’action et loufoque. Je le recommande pour un public plutôt jeune, il faut pouvoir apprécier les références, et ne pas être rebuté par un « parler banlieue » au premier abord.
Laquerrière, Nicolas. - Nueve Cuatro. - HarperCollins. - 437 p. - 19 €

Dans l’Antiquité, une jeune fille se déguise en garçon pour accompagner Ulysse sur les mers, à la conquête de nouveaux territoires. Malgré l’allégresse des combats, l’aventure n’est pas au rendez-vous. Son périple commence lorsqu’elle arrive sur une île peuplée de créatures mythiques et rencontre Shilo. Fascinée par ce personnage énigmatique, la narratrice la suit dans ses combats politiques et participe à sa lutte contre les rois de ce petit territoire. Le chant de Shilo est une réécriture contemporaine à la fois de l’Odyssée d’Homère et de l’Enéide de Virgile. Hommage direct à l’œuvre littéraire de Michel Tournier, ce récit initiatique propose un voyage épique et singulier au cœur de la mythologie grecque. Dans cette relecture, le personnage principal est une jeune fille guidée par sa soif d’aventure. Elle combat au côté d’Ulysse et l’accompagne dans son voyage. Tout au long du récit, elle suit son instinct. C’est son désir d’émancipation qui va la libérer de l’influence d’un roi en quête de pouvoir. Ici, le texte prend la forme d’un chant homérique. Les passages sont brefs et fluides. Le lecteur est dès le début plongé dans l’univers fait de mythes et de légendes. Portées par un souffle épique, les actions s’enchaînent. Les pages défilent rapidement. Sébastien Ménestrier signe là une œuvre envoûtante et originale. À lire absolument !
Ménestrier, Sébastien. - Le chant de Shilo. - Zoé. - 96 p. - 12,50 €

Un roman qui mêle fiction et étude ethnographique. Nedjla, qui vit à Istanbul, s’empare du carnet de son père, décédé depuis peu et qui avait mené une recherche ethnographique dans les années 60 sur le peuple français et sur les us et coutumes pendant la période de leurs vacances. J’ai trouvé ce roman très agréable à lire, car le ton est humoristique et parfois sarcastique. Les Françaises et les Français deviennent des « objets d’étude » et cela met le lecteur qui se reconnaitrait dans la catégorie de « français des années 1960 » face à ses habitudes et contradictions. Très intéressant parallèle entre regards de générations différentes, celle du père et celle de la fille.
Muhidine, Timour. - La fille de l’ethnographe. - E. Collas. - 267 p. - 17 €

C’est une histoire d’Algéries : l’Algérie d’Al Biar, l’Algérie des avocats, l’Algérie des rendez-vous la nuit, l’Algérie tout en pudeur, l’Algérie tout en amour... l’Algérie des rêves et l’Algérie des désillusions, l’Algérie de Sara et celle de Karim. Ce couple d’avocats qui se forme en cachette entre les deux rives de la Méditerranée. Karim incarne l’Algérien qui est installé à Paris et qui s’est « libéré », tandis que Sara est la jeune femme qui vit à Alger et à laquelle on collerait volontiers l’étiquette de « traditionnelle ». Pourtant, Karim se montre très attaché aux traditions et Sara, elle, affirme son désir de s’en libérer. Elle est le visage d’Alger la jeune, la moderne, la contemporaine quand Karim est l’exilé, l’immigré, le torturé. Cet amour auquel Sara se permet de croire éperdument est l’incarnation même de sa soif de liberté : Karim est marié et père de famille. Pourtant, elle rêve d’une vie à ses côtés, comme si les codes du mariage n’étaient finalement qu’une banalité dans un pays où il est pourtant un fondement de la société. Sara et Karim s’aimeront des années durant, leurs corps supportant la distance des continents. Elle en Algérie, lui en France, ils se retrouvent, protégés par les nuits étoilées de la ville blanche. Ils parcourent les rues d’Al Biar, se retrouvent dans la maison de vacances de la famille de Sara, qui deviennent les quartiers de leur amour interdit. L’écriture est très subjective. Les rencontres entre leurs deux corps ne sont jamais décrites, jamais dites, toujours sous-entendues. Cela donne une douceur poétique à ce roman dans lequel Mina Namous révèle son amour pour l’Algérie à travers ses personnages. On se laisse doucement porter par cette histoire où le cœur voudrait être à la première place. Mina Namous nous fait tantôt aimer Sara et Karim, tantôt les détester ; mais Mina Namous nous fait indéniablement nous éprendre d’Alger…
Namous, Mina. - Amour, extérieur nuit. - Dalva. - 224 p. - 19 €

Sculpteur réputé, Virgile vit dans un village des Alpes de Haute-Provence. Traductrice, Laura est mariée à un danseur, qu'elle suit dans ses tournées aux Etats-Unis, puis au Japon. Ils ne se connaissent pas, pourtant un secret les lie ainsi que deux territoires. Ce roman écrit à deux voix entremêle les destins de Laura et de Virgile, les deux récits parallèles se succèdent sans lien apparent. De magnifiques descriptions de leur lieux de vie, un appartement en rez-de-jardin aux Etats-Unis pour Laura qui se sent à la fois en osmose avec la nature qui l’entoure et oppressée dans ce lieu « ce terrier ». Virgile, quant à lui, observe les cieux et les montagnes tout en sculptant. On le sent en équilibre dans sa vie. Le lecteur voit les paysages, ressent les atmosphères, pressent un manque, une quête. La langue est magnifique, travaillée, lumineuse. A la moitié du livre un indice, enfin, sur ce qui pourrait lier Virgile et Laura. Ce livre s’adresse au lecteur amoureux de la langue, prêt à se laisser emporter à suivre les deux protagonistes sans comprendre pendant 80 pages… C’est aussi une réflexion sur la langue maternelle, le lieu d’où l’on vient.
Saconie, Maïca. - Zo. - Quidam 176 p. - 20 €

Dans une cathédrale, Zoé découvre l’art en contemplant le Triptyque du maître de Moulins. Pour l’enfant, c’est une révélation. Elle rêve de l’image et décide qu’elle étudiera l’Histoire de l’Art !
Zoé se passionne pour ses études, avant de constater que cet enseignement, trop sec, risque d’étouffer sa passion. Elle opte alors pour une carrière dans la comptabilité, afin d’être indépendante et développe une passion addictive et cachée pour la collection d’estampes. Déjà un peu asociale, Zoé se referme sur elle-même. Elle n’a pas vraiment d’amis et ses liens avec sa famille se distendent. Sa passion pour les estampes la submerge, au point qu’elle passe tout son temps libre à parcourir les galeries d’art. Un jour, elle rencontre Julien qui l’invite à découvrir la collection privée et labyrinthique du comte de Soleinne. Emerveillée, Zoé reçoit à la fin de la visite une estampe intitulée : La maison enchantée. Les rêves de Zoé reprennent au point de la plonger chaque nuit dans l’image. La maison enchantée est un petit OVNI littéraire. Roman initiatique, il se démarque tant par sa richesse sur le plan artistique, qu’onirique, voir ésotérique. Il est agréable à lire, même si l’action est à peu près inexistante. En suivant Zoé, Agathe Sanjuan guide le lecteur dans le monde des galeries d’art.
C’est un roman à conseiller aux lecteurs avertis. Je l’ai lu en me disant que je n’avais pas toutes les clefs pour l’apprécier à sa juste valeur.
Sanjuan, Agathe. - La maison enchantée. - Aux Forges de Vulcain. - 338 p. - 20 €

Hannah va voir sa grand-mère tous les mardis dans une maison de retraite à Berlin. Même si elle n’est guère chaleureuse, Evelyn attend ses visites. Elle a reçu une lettre d’un cabinet d’avocats de Tel-Aviv pour lui restituer des biens confisqués par les nazis dont elle hérite. Evelyn serait la dernière survivante d’une famille juive disparue, qui aurait possédé le tableau de Vermeer auquel le titre fait référence, mais elle refuse de confier son passé à Hannah qui s’interroge. Les deux femmes découvrent l’histoire familiale qu’elles ignoraient. En 1922, Ulrich, pilote, courtise Senta, et doit l’épouser car elle est enceinte. Puis en 1926, Senta a accouché d’Evelyn, mais ne lui témoigne guère d’amour, au contraire de sa belle-sœur Trude. Le couple divorce, mais Ulrich veut la garde de sa fille. Senta part à Berlin et s’installe chez Lotte, abandonnant sa fille qui sera élevée par sa tante. Les deux époques alternent et nous plongent dans le passé d’une famille allemande. Même si le sujet n’a rien d’original, cette histoire se lit bien. Bonnes critiques de presse (Le Monde)
Schröder, Alena - Jeune fille en bleu, à la fenêtre, au crépuscule - J. Chambon. - Traduit de l’allemand - 290 p. - 23 €