Commission Petits éditeurs du 4 octobre 2018

Commission Petits éditeurs BiB92 – Sélection Septembre 2018

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Vienne, 1932 : Almah est la fille d’un chirurgien juif, riche et respecté, est chirurgien-dentiste. Wilhelm, lui, n’a pas voulu reprendre les rênes de l’imprimerie familiale, il débute dans le journalisme. Le coup de foudre est immédiat.
Ils sont jeunes, beaux, talentueux et tellement insouciants. Tout leur réussit, que peut-il leur arriver ? Ils assistent, impuissants et médusés, à la montée du nazisme, subissent les premières vexations. Puis, les menaces se précisent. Il faut partir et se résoudre à laisser sur place leurs parents, trop âgés pour envisager l’exil.
La route sera longue, dans des conditions parfois terribles, avec des lendemains toujours incertains, pour arriver enfin en République dominicaine où il leur faudra apprendre à réinventer leur vie.
Dans ce premier roman, Catherine Bardon aborde un pan méconnu de l'Histoire : durant la Seconde Guerre mondiale, après un accord conclu avec le dictateur de l'île, Trujillo, et les autorités américaines, 100 000 visas sont accordés à de jeunes réfugiés juifs. En fait, Trujillo souhaite faire « blanchir » sa population et relancer l’économie de son pays. Peu de Juifs firent cependant le choix de la République dominicaine.
Catherine Bardon est l’auteur de guides de voyages et d’un livre de photographies sur la République dominicaine où elle a passé de nombreuses années.
Elle signe, avec ce premier roman (très romanesque !), une fresque historique très documentée, agréable à lire. L’écriture est fluide, le récit bien rythmé en courts chapitres.
On s’attache à ce couple aimant, courageux et lumineux.
Bardon, Catherine. - Les déracinés. - Les Escales. - 607p. - 22€

48 nouvelles qui mêlent ordinaire et extraordinaire, humour et satire. Crimes, disparitions, énigmes, mystères, enquêtes, ces récits en forme de paraboles dissèquent la vérité et jouent avec la capacité à juger.
Écriture classique très belle, facile à lire, avec des personnages et des univers très variés avec de belles rencontres.
« Pour le grand public international, Čapek (1890-1938) a été un fantaisiste brillant qui a su rendre parlant le monde des robots et des gadgets, le prophète de l'ère atomique. Pour ses concitoyens, il reste le conteur direct et drôle qui sait parler au petit bourgeois moyen, au « petit homme tchèque » qui dort en chacun d'eux [et de nous aussi ?...]. N'oublions pas le journaliste, le jardinier, le voyageur, le photographe, l'ami de T. G. Masaryk... Chaque image est vraie, aucune n'est exclusive, à elles toutes elles ne restituent pas la personnalité de Čapek. « Karel Čapek, cet inconnu ? » C'est vrai, il n'est pas facile de faire le tour d'un homme énigmatique, d'une œuvre multiforme. » (Source : Encyclopédie Universalis).
Capek, Karel. - Contes d’une poche et d’une autre poche. - Les éditions du Sonneur. - Traduit du tchèque. - 502p. - 24,50€

Roman très original qui fait alterner deux narrations : à la fois une histoire scientifique de l’humanité (avec l’apparition des toutes premières cellules sur Terre, les dinosaures, et tout ce qui s’ensuit) et des scènes de la vie d’aujourd’hui (qui donnent un aperçu actualisé de ce qu’est l’humanité).
Texte intéressant pour les informations scientifiques qui y sont distillées : on apprend des petites choses « facilement ».
Réflexion tragi-comique sur l’édition aujourd’hui : vendre le plus de livres possibles, à n’importe quel prix, quitte à transformer une biographie sur Maupassant en une série de romans policiers, qui nous vaut des passages savoureux !
Vraiment beaucoup d’humour, parfois un peu « limite » quand même, par exemple quand il oppose les Néandertal « genre rugbymen en after » aux Homo Sapiens « genre danseurs d’étoiles de l’opéra d’Athènes », quelques préjugés qui ne dérangeront pas forcément tous les lecteurs, surtout si on place le texte vraiment du côté de l’humour et de l’irrévérence.
Carrese, Philippe. - Une histoire de l’humanité (Tome 1 et fin). - L’Aube. - 212p. - 17€

Ariane, française, femme de diplomate et Gabriel, exilé argentin, se rencontrent autour d’une exposition de tableaux sud-américains, au Muma au Havre. Ariane a adopté, vingt ans auparavant une petite fille, Clara, à Buenos Aires.
Suite à leur conversation, Ariane, se sentant très attirée par cet homme qui lui ouvre les yeux sur le pays où elle a longtemps vécu, s’interroge sur l’adoption de Clara et, en fouillant, découvre des papiers qui suggèrent bien que sa fille a été une enfant arrachée à sa famille et que son mari a acheté aux généraux.
Complètement bouleversée, elle veut en savoir plus et retrouver la famille de sa fille. Elle part en Argentine avec Gabriel. Celui-ci veut retracer l’histoire de Véronique, sa fiancée, qui était enceinte et dont on a retrouvé les ossements. Qu’est devenu l’enfant ? Il a aussi des comptes à régler avec son passé et des membres de l’OAS, qui, après, l’Algérie se sont mis au service de la junte. C’est une page d’histoire à ne pas oublier, même s’il y a eu, en 1998, amnistie.
On plonge dans les horreurs commises par la dictature, on croise des personnages liés avec l’Algérie et les nazis. Une relation est-elle possible entre Ariane, qui a quitté son mari, s’est installée à Buenos Aires et a trouvé un poste au lycée français, et Gabriel, dont les cicatrices ne sont pas atténuées, qui n’a trouvé aucune trace de l’enfant qui a été arraché à Véronique avant de la balancer d’avion dans la mer (pratique habituelle) ?
Nous restons dans l’interrogation. C’est un roman intéressant, assez dur par moments, l’histoire d’amour est un peu légère au début, mais l’éloignement d’Ariane et Gabriel, pas forcément définitif, donne de la véracité au récit.
Couderc, Frédéric. - Aucune pierre ne brise la nuit. - H. d’Ormesson. - 315p. - 19€

Liam a quitté l’Irlande pour s’installer au Cap Vert. Il devient moniteur de kitesurf et apprend à des enfants à nager. Il s’attache particulièrement à Elea, jeune adolescente volontaire et déterminée. Jusqu’au jour où lors d’une compétition sportive Elea disparaît…
Commence alors pour Liam, les recherches, l’attente et le regard accusateur des habitants.
Lapidaire et sensible, ce texte évoque les questions liées à l’intégration, mais aussi la vie sur une île et l’amour que Liam rencontre.
Je n’ai pas lâché ce livre à l’écriture exigeante et à la sensibilité à fleur de peau.
Desnuelles, Pauline. - 200 mètres nage libre. - E. Collas. - 146p. - 14€

La journée commence mal pour Sophie Ponchartrain, commissaire divisionnaire : le violeur des parkings lui a échappé et elle apprend la sortie de prison de Nicolas Thomas. L’homme est en liberté conditionnelle, après 30 ans passés en prison, pour avoir assassiné sauvagement quatre femmes, ce qu’il a toujours nié. Mais à peine sorti, des meurtres identiques recommencent !
Sophie Pontchartrain, surnommée "Pompon", est plutôt antipathique. Grâce à son caractère autoritaire, manipulateur et sa volonté de fer, elle a réussi à se faire une place au Quai des orfèvres. La divisionnaire est réputée pour son flair infaillible et son habileté à exhorter des aveux. Elle a deux affaires à résoudre : en plus de la recherche du violeur, la traque de Thomas recommence.
Malgré le fait que Thomas n'a cessé de clamer son innocence dans ses lettres, Sophie Ponchartrain est persuadée que sa sortie de prison est une erreur. Il est coupable et ne changera jamais ! La nouvelle lettre ne comporte que deux mots : « Sauvez-moi », mais la commissaire est sans pitié. Avec son équipe, elle s'affaire à prouver de nouveau sa culpabilité. En 1990, enquêtrice fraîchement émoulue, Sophie Ponchartrain s'était acharnée à obtenir des aveux.
Nicolas Thomas est-il coupable ou innocent ? Pourquoi a-t-il toujours dit être innocent au fil des ans ? Est-ce une erreur judiciaire ? Quel est le lien entre Thomas et Chambaraud ? Que cachent les sorties nocturnes de la commissaire ? La police parviendra-t-elle à arrêter le tueur en série ?
Rachel, la fidèle assistante de la commissaire, l’admire et essaie de participer à l’enquête. Elle fouille dans les dossiers pour voir ce qu'il en est vraiment...
Le récit se déroule sur trois époques : en 1960, 1990 et 2018, mais on ne s'y perd pas. Tout le long du roman, le lecteur se demande qui est coupable, qui manipule les autres. Les personnages ont tous une part de mystère. Jacques Expert dresse le portrait d'une commissaire divisionnaire ambitieuse, au comportement trouble, qui est prête à tout pour réussir...
Un polar bien écrit, aux chapitres courts pour une lecture addictive et la résolution de l’énigme à la dernière page.
Expert, Jacques. - Sauvez-moi. - Sonatine. - 396p. - 21€

Tallin, 1432 : le jeune Melchior, officiellement apprenti-apothicaire et officieusement apprenti-assassin, surprend une conversation dans une taverne de Lubeck. Le démon de Gotland doit se rendre à Tallin pour une mission sacrée. Si Melchior l’apothicaire, connu pour sa capacité à démasquer les meurtriers, se met en travers de sa route, il devra être éliminé. Melchior écrit aussitôt une lettre à son père pour le mettre en garde. Les routes maritimes étant coupées par l’hiver, le jeune Melchior tremble que son courrier ne parvienne pas à temps.
Le démon de Gotland est le sixième tome des aventures de Melchior l’apothicaire. C’est un polar médiéval qui peut se lire indépendamment des précédents opus. L’auteur connaît parfaitement son sujet : Tallin, son histoire, les us et coutumes de l’époque, le métier d’apothicaire, le fonctionnement judiciaire de la ville. Le lecteur marchera dans les pas de Melchior l’apothicaire, visitant le Tallin médiéval, enquêtant sur plusieurs meurtres, déterrant des secrets enfouis, s’interrogeant sur la véritable identité du démon de Gotland. En parallèle, il suivra les pérégrinations de son fils à Lubeck, ses amours contrariées, son avenir incertain dans la guilde des Assassins. Suspense, péripéties, intrigues, retournements de situation jalonnent ce livre. On a envie de lire les précédents tomes pour mieux connaître Melchior l’apothicaire !
Hargla, Indrek. - Le démon de Gotland. - Gaïa, Polar. - Traduit de l’estonien. - 506p. - 23€

Dans un autre monde qui pourrait être le nôtre, se trouve l’île de Sélébie. Le jeune Dmyrn et sa sœur Ilnah habitent dans le sud. Le jeune homme a décidé de vivre en ermite dans la montagne, uniquement ravitaillé par sa sœur. Mais un jour, on le retrouve assassiné. C’est alors que débarque Eraink, jeune ingénieur en hydraulique venu pour irriguer les terres semi-désertiques de l’île. Eraink décide de mener l’enquête.
Les premières pages sont un peu difficiles à aborder : beaucoup de noms inventés et un style assez travaillé. Cependant, on finit par rentrer dans l’histoire et la lecture est agréable.
Ce texte, qui tient à la fois de la fantasy et de la fable, est assez littéraire. Il peut plaire à un public assez ciblé : amateur d’imaginaire et de style travaillé.
Lepape, Marc. - Seules les montagnes dessinent des nuages. - E. Colas. - 339p. - 18€

Alfréd porte le même prénom que son « vénérable » grand-père, enfin presque puisqu’un accent a été ajouté par sa mère au moment de la déclaration de naissance (elle boit un peu, voire beaucoup). Les deux Alfred sont très proches (ils vivent dans le même tout petit village breton) et partagent de nombreux moments de complicité.
Alfrèd aimerait devenir quelqu’un de bien avant ses dix ans : il décide de réaliser dix vœux avant son anniversaire, « rencontrer un vrai cow-boy », « boire de la trouspignôle »… Il compte aussi écrire un dictionnaire du Camboudin (son village) et de ses environs, avec des expressions spécifiques.
Roman sur l’enfance, plein de tendresse et de moments drôles.
Pas de la grande littérature mais bien écrit, très attachant, se lit très facilement.
Mihami, Maude. - Les dix vœux d’Alfréd. - Nil. - 239p. 18€

Circé est la fille du dieu Hélios et de la nymphe Persé. C’est elle qui raconte sa vie, son enfance avec ses frères et sœurs dans les palais des dieux. En grandissant, Circé subit les moqueries de sa famille qui la considère comme une divinité mineure (sa voix ressemble à celle des mortels, elle n’a pas de pouvoir), jusqu’à ce qu’elle rencontre Glaucos, un humain dont elle tombe amoureuse. Comprenant qu’elle ne pourra le garder éternellement à ses côtés, du fait de sa mortalité, elle utilise des plantes magiques pour en faire un dieu. Ebloui par son nouveau statut divin, Glaucos va se désintéresser de Circé et s’éprendre de Scylla, une belle nymphe. De jalousie, Circé va transformer Scylla en un hideux monstre à douze têtes. Circé est en effet une sorcière. Ce qu’une divinité a créé, aucune autre ne peut le défaire. Pour avoir porté atteinte à l’une des leurs, Circé est envoyée en exil sur une île déserte. C’est durant cette période de sa vie qu’elle rencontrera de nombreux héros de la mythologie grecque : Jason, Médée, Ulysse, Télémaque, Pénélope, mais aussi Hermès, Athéna, Minos, Dédale et le Minotaure.
C’est un très beau roman, écrit avec une plume immersive, qui se lit d’une traite. En racontant la vie et les mésaventures de Circé, Madeline Miller dévoile la psychologie de cette nymphe, tout en donnant une touche de modernité à son récit. Elle ressuscite un monde oublié et magique, peuplé de dieux capricieux, de héros et de créatures monstrueuses. Un livre à lire et à relire. Un écrivain à suivre !
Miller, Madeline. - Circé. - Rue Fromentin. - Traduit de l’anglais. - 437p. - 23€

Extrêmement efficace, ce premier roman témoigne du savoir-faire de son auteur. Enième avatar inspiré par l’affaire Kampusch et autres séquestrations du même type : une jeune ado, un pervers, un lieu clos, ici une cabane et pour corser le tout, une petite fille, née des viols à répétition subies par Lily Riser personnage central de ce roman. Baby Doll a tout pour faire le buzz : sujet sordide et psychologie à gros traits. Ses qualités : pas de voyeurisme ni de complaisance, la violence est évoquée mais les sévices jamais décrits, une certaine originalité : le thriller commence là où beaucoup se terminent, après la fuite de l’héroïne et son sujet est plus la reconstruction que les horreurs endurées. Des personnages plus complexes qu’il n’y paraît (les femmes) grâce à l’inclusion des thèmes de la gémellité et de la maternité.
Ses faiblesses : le ravisseur, beau prof de lettres, caricature du pervers, les invraisemblances multiples, entre autres, le happy end -c’est plus de la résilience, c’est super woman- d’autant plus gênantes que le sujet tragique est réel et contemporain. Que pensent les victimes de ce genre de fiction ?
Ni roman noir ni témoignage, juste une mécanique trop bien huilée à mon goût et manquant un peu d’âme.
2eme avis :
Une jeune fille est enlevée par son professeur, apparemment au-dessus de tout soupçon, battue, violée et séquestrée pendant huit ans. Lily parvient enfin à s'enfuir de la cabane avec sa petite fille Sky qu'elle a eu de son ravisseur. L'affaire fait grand bruit dans les médias. Lily retrouve sa mère et sa sœur. Malgré leur rivalité, les deux sœurs regagnent leur complicité, elles doivent réapprendre à vivre normalement. Abby a sombré dans la dépression, l'alcool et la violence, elle veut faire payer Rick.
Roman à trois voix, celles des deux filles et de la mère. Rien de vraiment original dans cette histoire de rapt, mais on est scotchés. Premier roman et page turner implacable. On en redemande !
Overton, Hollie. - Baby Doll. - Mazarine. - Traduit de l’américain. - 361p. - 22€

Louis et Suzanne décident, pour le 15 août, d’aller pique-niquer en forêt. Ils s’endorment alors qu’un mégot de cigarette commence à enflammer les épines de pin et les buissons secs. Est-ce leur mégot ? Ils se réveillent juste à temps et entament leur fuite : il faut échapper aux flammes et surtout éviter qu’on les accuse de l’incendie. Mais la marche devient de plus en plus périlleuse, les tensions entre eux se ravivent. Sauveront-ils leur vie et leur couple ?
Maurice Raphaël est l’un des pseudonymes de Victor Le Page, aussi connu dans la série noire sous le nom d’Ange Bastiani. Cette petite histoire, écrite dans les années 50 et rééditée cette année, est pourtant d’une modernité admirable. On croirait lire une œuvre contemporaine. L’ambiance et la tension sont présentes dès le départ.
Voilà une bonne occasion de découvrir un auteur méconnu.
Raphaël, Maurice. - Feu et flammes. - Finitude. - 184p. - 17€

Quels points communs entre un ancien joueur de foot qui eut son heure de gloire, un ex-chef de la voierie ouvertement anarchiste reconverti dans la réparation de pneus, deux jumeaux pas très finauds, un chef de gare, le propriétaire d’une entreprise de transports et un patriarche vivant dans un taudis ? Tout ce beau monde habite O’connor, petite ville argentine qui connut la prospérité au début du XXe siècle, puis déclina irrémédiablement.
Afin de sauver le village de la misère, ils décident de racheter des silos et de créer une coopérative. Tous cotisent, l’argent est mis à la banque, las c’est juste avant le Corralito de 2002. Leur argent est bloqué, puis utilisé frauduleusement par le banquier véreux et un comparse non moins malhonnête.
Les personnages de cette tragi-comédie douce-amère sur fond de détresse sociale sont infiniment attachants. Solidaires et libertaires, jamais ils ne renoncent.
Un roman savoureux à la plume alerte plein d’espoir et de fraternité.
Sacheri, Eduardo. - La nuit de l’usine. - H. d’Ormesson. - Traduit de l'espagnol (Argentine). - 438p. - 22€

Le journaliste et écrivain Claude Sérillon prend la plume pour évoquer un événement méconnu de l’histoire : le 8 juin 1970, le général De Gaulle déjeune à Madrid avec Franco, le dictateur espagnol. Tout les oppose : leur façon d’exercer le pouvoir, leurs idéaux, l’un était l’allié des nazis, tandis que l’autre appelait les Français à résister, Franco est encore au pouvoir, tandis que De Gaulle, humilié par le désaveu des Français à son égard lors du référendum de 1969, s’est retiré de la vie politique à la Boisserie, où il voit très peu de gens, même parmi ses fidèles.
Aucun terrain d’entente… et pourtant, suite à cette entrevue, le général de Gaulle adresse au général Franco une lettre dans laquelle il lui exprime sa gratitude, son admiration et l’assure de « sa très haute et amicale considération, concluant par « Que Dieu vous aide mon général ». Que s’est-il passé ?
De Gaulle traverse toute la France incognito, sans escorte. A la frontière espagnole, Franco, très heureux d’accueillir cet hôte illustre, fait vider les Paradors, dégager les routes…
Un entretien de 45 minutes dans le petit bureau de Franco, avec un seul témoin, le traducteur et un déjeuner, avec leurs épouses, le marquis de Villaverde et l’ambassadeur de France. On ne sait rien de leurs échanges. Claude Sérillon puise dans les articles de l’époque, dans une documentation très détaillée et dans son imagination pour reconstituer ce dialogue dont presque rien n’a filtré.
L’écriture est très fluide, le récit très crédible et le résultat passionnant.
Sérillon, Claude. - Un déjeuner à Madrid. - Cherche Midi. - 153p. - 17€

Le 16 janvier 1969, pour protester contre l'envahissement de Prague par l'armée soviétique et contre la soumission du gouvernement tchèque, Jan Palach, un jeune étudiant s'immole par le feu en plein centre de la capitale, sur la place Venceslas. 49 ans plus tard, en janvier 2018, l'auteur se rend à Prague, sans parler la langue, pour recueillir les témoignages sur le héros qui lui rappelle tant Mohamed Bouazizi, le Tunisien qui a commis le même acte lors de la révolution. Il reconstitue la vie de Palach, longtemps tue et oubliée, grâce à Helena, sa petite amie de l'époque, aux articles trouvés sur Internet.
Dans cet essai très documenté et dense, l'auteur devient l'enquêteur qui aide à comprendre les raisons qui ont poussé l'étudiant à consacrer sa vie pour la patrie, tout en donnant la parole à Jan Palach, homme de conviction et d'action.
Sitruk, Anthony. - La vie brève de Jan Palach. - Le Dilettante. - 188p. - 17€

Caleb Traskman, un célèbre auteur de thrillers est décédé. Son fils découvre un manuscrit dans son grenier. Au vu de la renommée de l’écrivain, son fils et son éditeur veulent publier le roman posthume. Petit problème : il manque les dix dernières pages et, chose curieuse, Caleb Traskman a souligné certains mots de son manuscrit. Ce sont tous des palindromes. Est-ce une piste ? Après avoir mûrement réfléchi, le fils rédige les pages manquantes. Le manuscrit inachevé raconte l’histoire d’une romancière de thriller, Léane Morgan, dont la fille a été enlevée. Quatre ans plus tard, son époux est agressé. Il perd la mémoire. Au même moment, près de Grenoble, le corps d’une jeune femme est découvert dans le coffre d’une voiture accidentée. Vic Altran, un policier doté d’une mémoire mnésique, mène l’enquête. En plein divorce, il devra gérer sa vie personnelle et ce dossier hors-norme. Il n’est pas au bout de ses surprises. Son chemin est parsemé de cadavres, de violence et d’horreur.
Un très bon thriller. Le lecteur se retrouve embarqué dans une enquête prenante. Il ne lâchera pas le livre avant d’en connaître la fin. Ce sont plusieurs histoires qui se retrouvent imbriquées les unes dans les autres, agrémentées de références littéraires, d’indices et de fausses-pistes. Au final, on peut s’interroger : le fils de l’écrivain donne-t-il vraiment la solution de l’énigme ? Avec Franck Thilliez, le lecteur devra se glisser dans l’esprit de Sherlock Holmes. Regardez, relisez. Rien n’est anodin !
Thilliez, Franck. - Le manuscrit inachevé. - Fleuve. - 525p. - 22€

Kate, 29 ans, institutrice célibataire, vit avec son père, le Dr Battista, chercheur et sa jeune sœur adolescente. Jusqu’au jour où Pyotr, l’assistant étranger, doit repartir mettant à mal les recherches et le laboratoire. Seule solution pour avoir la carte verte : se marier. Le Dr Battista demande alors à Kate d’épouser Pyotr…
Ce roman est un condensé des quotidiennetés, des conflits familiaux et de leurs résolutions. Il touche au but, l’air de rien, sans prétention. C’est un agréable moment de lecture.
Tyler, Anne. - Vinegar girl. - Phébus. - Traduit de l’américain. - 223p. - 19€

Tout tourne autour du personnage principal : Lucia Binar, digne vieille dame, amatrice de poésie (dont le livre est truffé d’extraits), qui n'a plus qu'une aspiration dans la vie : habiter en paix jusqu'à la fin de ses jours (plus très nombreux, d'après elle) dans son appartement de la rue des Maures à Vienne, dans lequel elle a toujours vécu.
Mais c’est sans compter sur le propriétaire de l’immeuble qui, pour chasser ses vieux locataires, emploie des moyens peu orthodoxes : il invite des squatteurs, migrants et SDF à envahir progressivement les lieux. A cela s’ajoute un événement marquant (la non-livraison de ses repas à domicile) qui l’oblige, malgré sa fatigue, à partir en croisade pour se défendre.
Elle fait alors la rencontre de personnages plus loufoques les uns que les autres, qui finissent tous par se télescoper, comme par magie, dans cette histoire moqueuse et mordante.
Les lecteurs qui aiment l’excentrique, les événements improbables et les personnages étranges et déjantés, apprécieront ce livre.
Vertlib, Vladimir. - Lucia et l’âme russe. - Métailié. - Traduit de l'allemand. - 296p. - 21€

L’auteur est fascinée par les trains et les gens qu’on y côtoie. Dans le Varsovie-Prague, dans les années 60 où elle était étudiante, Janusz Nowicki vient s’asseoir dans son compartiment et lui raconte son premier amour pour Agata. Il lui avoue qu’il a fui la jeune femme qu’il aimait, par peur du mariage. Tecia Werbowski retrouve sa trace des années plus tard et reprend contact. Une jolie petite nouvelle, même si elle est triste, dégage un charme délicat, tout en révélant sa part de cruauté. Elle donne envie de découvrir d’autres livres de l’auteur.
Werbowski, Tecia. - Looking back. - Noir sur blanc, Notabilia. - Traduit du polonais. - 73p. - 9€