La relation auteur/éditeur : rencontre avec Thibault Vermot et Tibo Bérard

Compte-rendu de la matinée professionnelle du comité ado Bib92
La relation auteur/éditeur : rencontre avec Thibault Vermot et Tibo Bérard

 

Bibliographie de Thibault Vermot :
Colorado Train, Sarbacane (collection Exprim’) publié le 6 septembre 2017
Fraternidad, Sarbacane (collection Exprim’) publié le 21 aout 2019
La Route Froide, Sarbacane (Hors collection) publié le 23 octobre 2019


Déroulement :
9h30 : petit-déjeuner d’accueil et visite de l’escape-game prévu l’après-midi et tout au long du week-end.
10h-11h30 : rencontre avec Thibault Vermot et Tibo Bérard, directeur de collection chez Sarbacane pour Exprim’ et Pépix.
11h30 : séance de dédicaces.

Compte rendu de la rencontre : animation & questions : Sophie Caillieux

Comment s’est passée votre rencontre avec Tibo Bérard ? Envoi d’un manuscrit ? A-t-il « chassé votre tête » pour vous faire entrer chez Sarbacane ?
Tibo Bérard explique qu’il a une assistante qui lit pour lui les manuscrits qu’on lui envoie, elle lui soumet ensuite ceux qui pourraient l’intéresser et il refait un tri des manuscrits qu’il garde et de ceux qu’il ne garde pas. Pour Colorado Train, il se souvient d’un univers fort et foudroyant et c’est pour ça qu’il a décidé de le garder mais il savait qu’il y aurait encore beaucoup de travail à faire avant la publication (1 an et demi !).
Thibault Vermot explique ensuite que Colorado Train faisait d’abord partie d’un recueil de nouvelles qu’il a écrit entre 2014 et 2015 et qu’il a essayé de faire publier ce recueil. Il s’est ensuite rendu compte qu’il y avait moyen de faire quelque chose de plus avec Colorado Train et il a décidé de le transformer en roman avant de le soumettre à plusieurs éditeurs. Il évoque des refus assez durs de certains d’entre eux et Tibo Bérard critique ces éditeurs qui rejettent les auteurs et leurs manuscrits : s’ils n’aiment pas le manuscrit, il y d’autres moyens de signaler un refus que d’être gratuitement méchant. Tibo Bérard a accepté le manuscrit de Colorado Train car il savait que ce roman pourrait faire bouger le catalogue Sarbacane, il décrit le roman comme étant un « thriller horrifique avec une écriture percutante. »
Thibault Vermot et Tibo Bérard ont travaillé pendant un an et demi sur Colorado Train. Le roman a été réécrit deux fois car les premières versions étaient trop noires (la noirceur est un moteur facile mais qui rend difficile la progression des personnages), ce qui a créé des moments de découragement pour l’auteur, si bien que Tibo Bérard a fini par suggérer d’autres éditeurs qui pourraient le publier plus facilement. Thibault Vermot a refusé et a décidé de réécrire le roman une dernière fois qui a été la bonne. Ce gros travail a permis une progression en termes de narration et a aussi créé un lien puissant entre l’auteur et l’éditeur. Tibo Bérard parle de sa culpabilité vis-à-vis de Thibault Vermot : il ne voulait pas lui demander de réécrire son texte plusieurs fois si ça n’allait aboutir à rien, c’est pour ça qu’il a proposé d’autres éditeurs. Finalement, tout ce travail a été bénéfique pour Thibault Vermot car cela lui a permis d’apprendre à écrire un roman (le travail sur les deux suivants a été beaucoup plus simple).
Thibault Vermot ajoute que « l’écriture est un combat, c’est une implication à 100% » d’où la difficulté de devoir le réécrire tant de fois surtout quand on a une vie professionnelle et une vie familiale à côté. Il ajoute aussi que ce travail pendant un an et demi, peu d’éditeurs l’auraient fait.
Tibo Bérard explique qu’on ne lance pas un auteur de premier roman n’importe comment, il faut évidemment prendre le potentiel commercial du livre en compte et être attentif au planning des sorties (on ne place pas la sortie d’un premier roman juste après une grosse sortie). Finalement Colorado Train s’en est très bien sorti pour un premier roman (5000 exemplaires).

Gérer 2 sorties de livres à deux mois d’intervalle : comment cela se passe-t-il pour vous deux ?
Tibo Bérard nous parle un peu de l’organisation de ses sorties (il publie une vingtaine de titres par an) :
- en début d’année, les livres publiés sont plus susceptibles d’avoir un prix
- au printemps et en été, il sort plutôt des comédies
- en automne, ce sont surtout les poids lourds qui sont publiés.
Il remarque qu’en littérature jeunesse, les éditeurs sont moins contraints par les rentrées de janvier et septembre.
Thibault Vermot explique que La Route Froide (paru en octobre) a été écrit avant Fraternidad (paru en aout). La Route Froide était au départ une traduction de Construire un feu de Jack London qu’il avait écrit pour ses élèves. Finalement, il y a ajouté des détails puis des modifications et a proposé le texte à son éditeur pour lui faire une blague. Tibo Bérard l’a d’abord accepté avant de se rendre compte que c’était très proche de la nouvelle de London. Finalement, Thibault Vermot a décidé de s’approprier complétement le texte et Construire un feu n’est plus devenu qu’un clin d’œil dans l’œuvre finale. L’écriture, la réécriture et les corrections ne lui ont pas pris plus de trois mois.
Fraternidad est un livre de la solitude : l’auteur a commencé l’écriture en avril 2018 peu avant un deuil, (suite à la mort accidentelle de son meilleur ami) et l’écriture est alors devenue un refuge, une façon de ne pas penser au reste. Pendant cette période Tibo Bérard a été le seul interlocuteur de Thibault Vermot concernant l’écriture de ce roman. Cela a renforcé leur relation déjà forte car l’écriture est quelque chose d’intime et on n’en parle pas avec n’importe qui. C’est là, la singularité de la relation auteur/éditeur : l’éditeur a accès à des pans entiers de la personnalité de l’auteur auxquels personne d’autre n’a accès. Dans ce sens, Tibo Bérard aime tous ses auteurs même s’ils n’ont pas/plus de liens de sympathie. Ironiquement, Thibault Vermot n’était pas à l’aise avec l’idée d’écrire un roman de cape et d’épée au 21ème siècle et trouve que la longueur du roman est embarrassante.

Comment construisez-vous vos romans ? Savez-vous à l’avance comment vos personnages vont évoluer ? Savez-vous dès le départ comment l’histoire va se terminer ?
Thibault Vermot ne fait pas de plan, il a juste un horizon et les personnages se développent au fil de l’histoire. Il explique qu’il y a 40% d’inconscient dans l’écriture.

Ce texte fait écho à l’actualité anglaise et française de 2019, avec une incursion dans une Europe au bord de l’effondrement (attaques terroristes, fermeture des frontières) : quel message voulez-vous faire passer à vos lecteurs ?
Tout ce qui se passe dans Colorado Train peut symboliquement faire écho à l’actualité d’aujourd’hui. C’est moins vrai pour Fraternidad où il y a quand même un passage au début qui est un clin d’œil à 1984 et qui montre que ce qui est décrit dans ce roman reste d’actualité. De plus dans Fraternidad, les lieux sont bizarres (c’est le cas dans tous ses romans en fait) : ce sont des lieux réels : Exeter, Paris, etc. mais qui sont largement fantasmés et « fantasmagorés ». Finalement, même si le livre aborde beaucoup de thématiques d’actualité, Thibault Vermot écrit des livres pour raconter des histoires avant tout et pas pour parler d’actualité.

Fraternidad : quelle traduction choisissez-vous ? Confrérie ? Fraternité ? Ou les deux ?
Plutôt fraternité, même s’il n’a pas vraiment réfléchi à la question.

Vous avez fait un énorme travail sur la langue du texte : choix particulier de mots souvent désuets, aimez-vous jouer avec les mots ? La langue et le style apportent énormément à l’atmosphère de ce roman, qui peut passer du poétique à l’argot issu du XVIIe siècle mais aussi emprunter au langage du 21e siècle : pouvez-vous nous en dire plus sur cette démarche d’écriture ?
L’écriture en alexandrins n’a pas été particulièrement difficile, même si elle n’a pas été naturelle non plus : Thibault Vermot a surtout essayé de travailler sur le rythme et la musicalité. Il y a aussi beaucoup de vers blancs que ce soit dans Fraternidad mais aussi dans Colorado Train. Thibault Vermot a aussi pris beaucoup de plaisir à écrire dans un style dix-septième siècle et a fait un travail intéressant sur le lexique de cette période (le travail de l’éditeur ici était surtout de rendre le texte plus digeste en supprimant les points virgules et en ajoutant des points).

Il vous a fallu moins d’un an (de mars 2018 à février 2019) pour écrire ce texte. Comment avez-vous procédé ? Vous vous mettiez « des astreintes » du genre tant de pages par jour ou votre plume est-elle plus libre ou Tibo attendait-il un nombre de pages précis ?
Fraternidad a été écrit en 9 mois et le dernier mois a été le plus intense parce que Thibault Vermot voulait ajouter une dernière péripétie à laquelle il n’avait pas pensé avant. Il écrivait la nuit, même s’il était fatigué, et s’était fixé un nombre de mots minimum à écrire chaque jour (il y avait parfois des mauvais jours où il n’écrivait presque pas et d’autres où il écrivait 2000 mots en un coup). La date de rendu était indiqué dans le contrat, mais c’était plus une approximation : Tibo Bérard voulait juste avoir suffisamment de temps pour retravailler le texte avant de le publier.


Rédaction : Agathe HOUSSIN
Relecture : Bogumila SZAST-MOREAU et Camille VIEL