2010-11-25-2_Precisions de Thierry Giappiconi sur la bibliothèque comme lieu de vie

 

Permettez-moi de préciser quelques aspects de mon point de vue à propos du compte-rendu d’Administrator. Je n’ai jamais défendu le point de vue que la bibliothèque ne devait pas être un lieu de vie, pour la simple raison que je conviens volontiers que tout milieu fréquenté par des êtres vivants étant indéniablement un lieu de vie, la bibliothèque n’échappe pas à la règle. Le débat est bien entendu ailleurs et je propose, pour l’éclaircir, de dissiper d’abord tout malentendu.

 

Je ne suis nullement opposé à faire des bibliothèques des lieux accueillants, bien au contraire et j’en fais juge ceux qui connaissent la bibliothèque de Fresnes. Il ne m’est jamais venu à l’idée de refuser l’idée que les usagers puissent bénéficier, de sièges confortables, d’une cafétéria ou de services de restauration, et que les bibliothèques puissent être insérées dans un ensemble de services. Tout est question d’environnement et de moyens et l’on ne saurait par conséquent proposer un « modèle » reproductible en toutes circonstances. C’est en ce sens que je trouve particulièrement consternant le dernier avatar du prêt-à-penser bibliothéconomique prétendant faire de la bibliothèque le troisième lieu de vie de la population, comme s’il n’y avait que trois lieux de vie envisageables et comme si la bibliothèque devait nécessairement se situer en troisième position. Il ne faut pas être grand clerc pour prévoir que la référence à ce modèle ne fera que reproduire quelques aspects formels d’expériences conçues dans des contextes politiques et sociaux fort différents quand leurs initiateurs en auront depuis longtemps révisé ou abandonné le principe.

 

Je ne vois pas non plus en quoi mon propos pourrait s’opposer à celui de Patrick Bazin lorsque celui-ci déclare qu’il convient d’adapter le service aux besoins. C’est là, la finalité de tout service public. La question est de savoir à quels besoins la collectivité doit répondre, et ceux qui pourraient être satisfaits par la bibliothèque. La première partie de la question est d’ordre politique et relève avant tout de la responsabilité des exécutifs des collectivités locales. La seconde relève plus spécifiquement du rôle d’expertise et de conseil des bibliothécaires et donc de celui de la mise à disposition de ressources documentaires, d’installations et de fonctions de médiation. Or en matière de documentation le besoin dominant n’est plus désormais celui de l’accès, de plus en plus illimité, mais celui du tri de l’information, d’où le besoin de sélection et de médiation. La nécessité de la mise en œuvre de cette fonction sociale que l’on pourrait résumer en termes de pertinence de l’information et d’action culturelle ne s’oppose pas nécessairement à « des abonnements systématiques à des collections et des flux », mais appelle une stratégie et des mesures cohérentes. On peut penser, par exemple, que l’accès illimité à la musique, n’est pas contradictoire avec une politique volontariste de promotion. On peut encore espérer que si, par une simple connexion sur Internet, l’information est aussi illimitée à la bibliothèque qu’elle pourrait être ailleurs, on est en droit d’attendre d’un service public que l’usager soit orienté par les systèmes et le personnel vers des sources fiables répondant effectivement à ses besoins, dans des domaines comme la réussite aux examens et concours, la santé, le droit, ou encore la formation d’un jugement, où toute information, qu’elle soit imprimée ou numérique, ne se vaut pas.

 

Enfin, l’idée de « coller à la demande » relève d’une autre problématique. S’il s’agit de se contenter d’épouser les pratiques de consommation, on se demande pourquoi il faudrait entretenir des bibliothèques et des bibliothécaires pour le faire. Des entreprises comme la FNAC et Virgin font cela très bien, et constituent elles aussi des services appréciés. Or, comme, à ma connaissance, la tendance n’est pas à la nationalisation de l’ensemble des moyens de production et de distribution, il serait plus approprié de diffuser des bons d’achat indexés sur les revenus pour permettre une meilleure égalité d’accès à la consommation, sans encourir ainsi le reproche de priver auteurs, libraires et éditeurs d’une partie de leurs marges bénéficiaires. Le développement de points de desserte de ces entreprises pourrait être intégré dans des « lieux de vie » commerciaux  et urbains, publics ou semi-publics, encourageant le développement du commerce local. Cette logique sociale ne serait pas pour déplaire aux démagogues, mais qu’en pensent les autres ?

 

 

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