Commission Petits éditeurs de mars 2024

Commission Petits éditeurs BiB92 - Sélection mars 2024

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Roman bref, mais intense. L’intrigue se déroule lors d’un week-end chez les grands-parents de Quentin, adolescent de 14 ans, mal dans sa peau. Dès le trajet en voiture une ambiance pesante règne dans l’habitacle entre lui, sa mère et sa cousine de 11 ans, Chloé. Nous apprendrons par la suite qu’il a été exclu de son collège pour violence envers un de ses camarades. Il ne se passe pas grand-chose et pourtant la tension est palpable entre la mère et ce fils qu’elle ne peut plus supporter, entre Quentin perturbé par ses hormones et sa jeune cousine. L’auteur avec une écriture simple, factuelle et précise décrit une banale réalité quotidienne qui cache pourtant des non-dits et des secrets familiaux. Et c’est l’intérêt du livre : nous sommes happés par ce climat tendu et nous attendons à tout moment qu’un drame arrive. Dans ses romans dont celui-ci est le quatrième, voici le texte d’annonce de la lecture qui s’est déroulée à la Maison de la poésie : « Vincent Almendros cultive un art subtil et délicat, où les intrigues sont toujours portées par une tension sourde, palpable mais invisible. Et les situations sont souvent “ordinaires”, du moins en apparence ». C’est exactement ce que je pourrai dire de celui-ci.
Almendros, Vincent. - Sous la menace. - Minuit. - 138 p. - 17 €

Le parcours de Sonia Pierre (1963-2011), militante des droits humains. Née en 1963 en République dominicaine de parents haïtiens, elle grandit dans un batey (campement où vivent les coupeurs de canne) et développe très rapidement une conscience politique forte, témoin du traitement réservé aux siens. Devenue avocate, elle lutte toute sa vie pour défendre les enfants dominicains d'origine haïtienne, privés d'existence légale. Véritable plaidoyer pour la défense des apatrides de la République dominicaine et dans le monde en général, Catherine Bardon, dans un élan romanesque, nous raconte l’histoire méconnue et exemplaire de cette grande dame, Sonia Pierre. J’ai découvert avec intérêt et curiosité cette héroïne courageuse décédée trop tôt d’un malaise cardiaque. Elle dévoua sa vie à ces combats qui hélas, sont aujourd’hui toujours d’actualité (200 000 personnes, descendants de migrants haïtiens nés dans le pays depuis 1929 sont toujours apatrides) …
Bardon, Catherine. - Une femme debout. - Les Escales. - 288 p. - 21 €

POUR
Histoire d'une famille québécoise dans les années 60, confrontée à la maladie de la mère. On suit l'évolution du cancer jusqu'à la fin et le cheminement du père et des six enfants face à ce drame. Mais c’est vers la lumière que nous entraîne l'auteur, dans une évocation de chaque instant de la vie, même dans ses moments les plus graves. JF Beauchemin parvient à insuffler l’espoir malgré un tel sujet. Chaque chapitre apporte avec poésie une réflexion sur l'entraide, la vie, la mort, la douleur ou la beauté. Ce roman délicat et très juste nous apprend à être sensible à la beauté de la nature et savoir s’émerveiller. Livre tellement léger malgré un récit qui aurait pu être "plombant", à l'image de la couverture splendide et parfaitement bien choisie, car dans cette lecture, on retient son souffle comme devant les pissenlits. Il y a des phrases qu'on relit pour les savourer comme un marron glacé tellement elles sont belles. Avec ces petits "chapitres-page" on est triste de l'avoir déjà fini et en attente du dernier triptyque.

2eme avis
« Rien n’est précaire comme vivre / Rien comme être n’est passager / C’est un peu fondre pour le givre / Et pour le vent être léger. » Ces vers d’Aragon en épigraphe esquissent magnifiquement l’ambiance de ce poétique roman, qui narre, dans la bouche de Léonard, 15 ans en 1971, la vie de la famille Cresson, cinq frères, une sœur, un père amateur de Nietzsche, de poésie et de chorale, une mère, dont l’âme est « disséminée, comme on le dit de certaines graines transportées par le vent léger » (p. 46), qui se meurt d’un cancer à 40 ans, sans oublier le bouc chevelu Ringo, ni la « présence fantomatique » du grand-père maternel. Et pourtant, malgré la mort qui plane, ce court roman n’a rien de déprimant : le bonheur est là. Infiniment. Dans la nature, les petits gestes du quotidien, les échanges exaltés et philosophiques entre enfants et adultes, le silence aussi comme « moyen de vivre les uns au plus près des autres » (p. 55), la curiosité pour tout et leur façon de se serrer les coudes et de vivre ensemble. « Ce que je voudrais, mais sans forcer personne, c’est qu’on retienne surtout ceci : il faut aimer, aimer de toutes ses forces, à tort et à travers » (p. 48) On ne peut que joyeusement se plonger dans cette délicieuse chronique familiale, aussi limpide que fringante, aussi banale que merveilleuse. Car « même si les gens meurent, ça n’est pas une raison pour ne pas aimer vivre », dixit Zénon, le benjamin (p. 78). Et si, en effet, ce n’est « pas un récit palpitant et très de son temps, sarcastique ou nihiliste » (épilogue p. 183), on en redemande, rien que pour les métaphores, entre « le ciel [qui pivote] sur lui-même dans un petit bruit d’essieu » (p.13) et « le bruit de la mort qui, à l’étage, déplaçait ses gros meubles » (p.46)

CONTRE
Le roitelet, roman de Jean-François Beauchemin publié en 2023 était un bijou de délicatesse et de poésie. Le vent léger est apparemment inspiré par la propre enfance de l’auteur, en 1970. Deuxième d’une famille de six enfants, les Cresson, il relate l’arrivée du cancer dans la famille : sa mère en est atteinte et décline progressivement. L’écriture est reconnaissable, belle, poétique, lumineuse, parsemée de métaphores et comme dotée d’une hypersensibilité aux beautés du quotidien. Les enfants s’émerveillent face aux chants d’oiseaux ou aux lueurs des étoiles. Le père cite Nietzsche en permanence, chante à l’église et écrit des vers. Ils vivent dans une campagne idyllique, au milieu de la nature et des animaux. Ils semblent nés pour le bonheur et pour un « usage poétique de la vie ». Ce livre est dépositaire d’une certaine théorie du bonheur. Le lecteur a l’impression de lire un manifeste poétique ou un manuel d’émerveillement face au quotidien. Mais de nombreuses connotations religieuses émaillent le texte. Le ciel devient presque un personnage à part entière, en mouvement constant. Les enfants font l’apprentissage de la mort, mais comme enveloppés dans une douceur mystique. Le monde extérieur semble pratiquement absent, hormis le fermier Bertin, davantage philosophe que fermier. L’auteur ajoute de très brèves allusions à l’actualité politique et historique, qui paraissent déconnectées et sans impact sur le cocon familial. Dieu est toujours présent en sous texte. Le mot « bonheur », répété continuellement à chaque page finit par lasser et faire penser davantage à un livre de développement personnel qu’à un roman. Quand les âmes sortent des corps pour se promener, et que le fantôme du grand-père apparait au narrateur dans la cuisine, le lecteur se demande si l’auteur n’est pas simplement illuminé. JF Beauchemin laisse toujours à la fin de ses livres son adresse mail personnelle afin que le lecteur puisse le contacter, laissant penser à un gourou dispensant ses conseils à l’humanité. A lire pour le style mais pas pour son contenu !
Beauchemin, Jean-François. - Le vent léger. - Québec Amérique. - 184 p. - 18 €

Basses terres se déroule en 1976, alors que le volcan de la Soufrière menace d’entrer en éruption. Se font face le volcanologue Haroun Tazieff et le directeur de l’institut physique du globe, Claude Allègre. La population est invitée à quitter la région. Le lecteur suit l’histoire de deux familles en parallèle. Ce roman est l’occasion pour l’auteur de mettre en lumière les inégalités de vie criantes entre les habitants de l’île et ceux de la métropole. Les Guadeloupéens semblent oubliés de la République et les suites de la colonisation font persister un système injuste et raciste. Ils connaissent la misère et peinent à gagner leur vie pour nourrir leur famille. L’auteur dépeint les malheurs subis par les personnages. Anastasie s’est fait écraser le pied par un cheval appartenant à Monsieur Vincent, le patron blanc qui possède les entreprises du coin. Son père est un homme brutal qui refuse de la reconnaitre et maltraite sa nouvelle femme et ses enfants. Daniel a perdu sa mère très jeune, alors qu’elle cherchait de quoi manger pendant le couvre-feu et qu’elle s’est fait tuer lors d’un règlement de compte. Son frère est devenu fou suite à cette mort et vit enfermé en hôpital psychiatrique… Tous finiront par converger vers la case d’Elias, le patriarche. L’exil, le rejet de ceux qui sont partis vivre en métropole, le danger du chlordécone utilisé dans les bananeraies, l’attachement à sa terre que l’on ne veut pas quitter malgré le danger sont les nombreux thèmes évoqués dans ce roman qui montre l’envers du décor de l’image d’Épinal d’une station balnéaire pour touristes blancs. Ce livre dépayse ; l’auteur parsème son texte de phrases en créole. Mais on peut être déçu par le style, trop conventionnel et peu travaillé.
Bulle, Estelle-Sarah. - Basses terres. - L. Levi. - 195 p. - 20 €

Le livre débute avec la sortie de prison de Karen. Elle a été condamnée cinq ans pour rébellion et appartenance à un groupe armé illégal, en l’occurrence les FARC. Une fois dehors, elle se retrouve seule dans les rues de Bogota. Elle décide de contacter Sacha, un poète venu donner des ateliers d’écriture à la prison. Sacha l’invite à dîner chez lui ; c’est auprès de lui que Karen se confie. La vie de Karen est marquée par la violence et la domination masculine. Après avoir été violée par son cousin, Karen s’enfuit avec un jeune homme, ils vont rejoindre les paramilitaires ; ensuite, ce sera les FARC et finalement la prison. Sur les chemins perdus est un roman sans chapitres, une succession de paragraphes. Le récit de Karen est écrit comme une logorrhée, et fait acte de résilience. Et cela sonne avec justesse.

2eme avis
En Colombie, une femme qui sort de prison se raconte et veut se relever. Elle a vécu la violence de la société, de la guerre et la corruption. On découvre ses espoirs, ses peurs, ses désillusions, pourquoi elle s'est engagée dans la guérilla. Après des années d'emprisonnement, Karen se livre avec des mots coups de poing. Elle narre sa vie en prison, l'avant, l'après. Comment se reconstruire ? Elle veut se relever de ce qu’elle a subi, et Karen possède cette fougue et se bat pour revivre. Elle veut s'en sortir malgré les obstacles et sa volonté lui a permis de surmonter les injustices, les FARC, la violence de la guérilla, les paramilitaires, les viols, l'avortement. Elle veut triompher de ses traumatismes. L'auteur a su se glisser dans la peau d'une femme, et lui donne la parole à travers un style puissant. Roman plein d’espoir et de résilience. Texte très fort, prenant, percutant, qui reste en mémoire.
Chaumet, Stéphane. - Sur les chemins perdus. - Globe. - 135 p. - 17 €

Dans le sud des États-Unis, un ancien agent du FBI est élu premier shérif noir et n’est pas bien vu de tous. Il intervient dans une fusillade au lycée où un adolescent noir tue un professeur adoré. Ce qui est découvert sur le tueur et sa victime, le gentil professeur que tout le monde semble apprécier, bouscule toute la population. Cet événement révélera la mort de plusieurs enfants noirs par des psychopathes dont l'un d'eux court toujours... Comme le tueur n'est pas interpellé, certains crient à la bavure ! Pourtant, l’enseignant est en réalité bien peu recommandable… Débute alors une enquête classique, mais passionnante. Titus Crown essaie de rester neutre pour apaiser les tensions, tout en voulant trouver le coupable. Roman noir, social, sur les fractures de l'Amérique rurale. Polar qui se lit facilement, mêlant action et réflexion (autour du passé confédéré et esclavagiste, du racisme toujours latent, des petites villes « tranquilles » de campagne, de la famille, des secrets et drames subis qui nous rongent). Même si les crimes sont sanglants, la lecture ne l’est pas : aucune esthétisation des violences commises, quasiment rien n’est décrit, tout est seulement suggéré et cela suffit. Le personnage du shérif est attachant, charismatique, tourmenté par un passé douloureux et dépeint avec justesse et précision. Si les personnages qui gravitent autour de lui ont trop tendance à voir les choses sous le prisme de la couleur (blanche ou noire) de la peau, SA Cosby ne signe pas un roman où les choses sont si tranchées. Outre la traque d'un mémorable tueur en série, ce livre sombre et intense dénonce la persistance du racisme sudiste et le fanatisme religieux.
Cosby, S. A. - Le sang des innocents. - Sonatine. - Traduit de l’américain. - 396 p. - 23 €

Un jeune homme arrive dans un village perdu : on l’a appelé pour délivrer quelqu’un d’un mal profond. Il doit être discret : rencontrer, soigner et repartir aussi vite. Comme sa mère avant lui, il peut entendre la langue des choses cachées : en d’autres termes, la douleur persistante des violences subies. Mais, alors qu’il réalise cette première intervention en totale autonomie, un imprévu bouscule les événements, compromet sa mission et sa santé. En choisissant de mettre en scène des personnages sans nom dans un cadre pastoral, Cécile Coulon insuffle de l’onirisme dans un récit autrement difficile. C’est un conte sombre, qui inscrit la barbarie des hommes comme un fléau éternel. C’est peut-être cet effacement qui m’a empêché de rentrer pleinement dans le récit, à la différence de ses précédents romans. Par contre, lorsque les cicatrices des femmes et des enfants sont ouvertes, l’écrivaine sait briser le calme et laisse déferler les émotions. Dans ces rixes psychologiques, les visages se déforment et les cris sont assourdissants. Un livre tendu qui se lit d’une traite : beaucoup d’émotions puis, une fois refermé, le vide.
Coulon, Cécile. - La langue des choses cachées. - L’iconoclaste. - 134 p. - 18 €

Des tranchées, des barbelés et des mines transpercent la Côte d'Azur. La plage de Hyères a été libérée des soldats allemands par le débarquement des alliés de Provence en août 1944. Une jeune femme qui revient des camps a perdu sa famille et découvre sa maison occupée. Vincent, ancien prisonnier évadé des camps allemands, revient par amour en 1945. Se cachant sous une fausse identité, il n'a qu'une obsession : retrouver Ariane, la femme dont le souvenir lui a donné la force de résister. Il est prêt à tout, même à risquer sa vie en intégrant une équipe de démineurs chargés de sécuriser les plages rendues mortelles par des milliers d'explosifs. Dans ce groupe où les volontaires sont peu nombreux, des prisonniers allemands sont enrôlés et c'est grâce à l'un d'eux que Vincent espère retrouver la trace de sa bien-aimée. Ariane est le fil ténu qui tient la vie du jeune démineur mais celle-ci a fait dire qu'elle veut qu'on l'oublie... L'ombre d'Ariane plane sur ces pages : Ariane est-elle vivante ? A-t-elle disparu de son plein gré ? Vincent la retrouvera-t-il ? On suit l’équipe de démineurs nettoyant la plage au péril de leur vie et l’auteur s’est documentée sur ces démineurs oubliés, qui livrent un corps à corps à mains nues avec les différents explosifs, sans autre moyen que leur vigilance de tous les instants et leur courage. Les femmes mènent aussi leur combat comme Saskia, seule rescapée de sa famille à revenir des camps, et qui devra affronter l'indifférence ou l'impunité des collabos responsables de sa déportation. Ces âmes brisées doivent faire face à leur passé pour affronter l'avenir. Livre très intéressant car il y a peu de choses sur ce moment. Premier roman très réussi, facile à lire et prenant.
PRIX RTL LIRE
Deya, Claire. - Un monde à refaire. - L’Observatoire. - 334 p. - 22 €

Emma Doude van Troostwijk n’a que 25 ans et signe un premier roman tout en délicatesse. Ce roman semble ne tenir qu’à un fil, expression qui, en néerlandais, se dit « appartenir au jour ». L’auteur brode sur la mémoire familiale. La narratrice revient après une longue absence. Elle est issue d’une famille de pasteurs néerlandais installés en Alsace. L’action se déroule entre le presbytère, c’est-à-dire la maison, et la paroisse. Le frère est sur le point de passer son ordination. La narratrice semble vouloir figer le temps. Elle décrit des fragments de vie entre son grand-père qui perd la mémoire, son père en proie à un burn-out, sa grand-mère et son déambulateur, sa mère «Mama», et son frère, hanté par le doute. Ce dernier hésite à suivre la vocation de pasteur, un métier qui semble appartenir à une autre époque. Ce livre résonne ainsi des échos d’un temps ancien. La croyance en Dieu vacille. L’horloge s’est arrêtée et le grand-père ne se souvient plus comment la remonter. Y brille une lumière qui rappelle les silencieux clairs obscurs des films de Dreyer. Mais une lumière souvent rieuse, celle des souvenirs de l’enfance : la narratrice repasse les films sur VHS immortalisant ce temps perdu et retrouvé. Les repas ont le goût de ceux d’antan : corn flakes sucrés, Flamby, coquillettes au jambon avec du ketchup… Des expressions en néerlandais se glissent dans le texte et plongent le lecteur dans la musicalité de la langue maternelle. La narratrice dévoile peu d’informations sur elle ; elle observe ses proches. Avec un regard tendre, elle les voit vieillir, se fragiliser, douter. Elle décrit par de courtes phrases leurs mouvements, leurs paroles. Un roman entre éclats de souvenirs et nuit de la mémoire. Invitée à LGL et par notre libraire.
Doude van Troostwijk, Emma. - Ceux qui appartiennent au jour. - Minuit. - 174 p. - 17 €

Dès la première scène de ce roman, nous faisons la connaissance de Barnabé, qui sort juste d’une institution psychiatrique où il a été enfermé pour harcèlement. Il se dirige vers le manoir familial… Ce personnage étrange, voire inquiétant, souffrant d’érotomanie va de nouveau se retrouver au centre d’une intrigue criminelle. Rosalie vient d’être retrouvée morte au pied du Belvédère de cette petite ville côtière, tout comme Clarisse quelques années auparavant… Nous sommes plongés dans une enquête un peu loufoque, façon «Murder Party » puisque les personnages découverts au fil de l’intrigue, tous plus ou moins extravagants, vont tour à tour, s’exprimer ou être interrogés :
-Barnabé, persuadé que toutes les femmes sont folles de lui.
-Sa mère Marie-Eliane, qui le traite comme un enfant.
-Son père Randolf, psychiatre qui ne fait pas qu’écouter ses patientes !
-Célia, la copine de Rosalie dont le seul but est de faire accuser le mari de celle-ci.
-Thomas, un policier qui passe son temps libre à lire des polars gores et Joanne, sa coéquipière un peu collante… Tous ces individus vont nous embrouiller et nous mener en bateau. On comprend enfin le lien entre cette enquête policière, le titre et cette couverture un peu « sucrée ». Un roman savoureux où l’on s’amuse beaucoup qui déconcerte et nous balade jusqu’à la fin vers un dénouement tout à fait surprenant…
Michelis, Denis. - Amour fou. - Noir sur blanc, Notabilia. - 404 p. - 23 €


L’auteure construit son roman autour d'une œuvre de Klimt, une jeune femme dont on ignore tout, repeint en 1910, volé en 1997 et réapparu mystérieusement en 2019. Elle imagine l'histoire de cette femme et de ses descendants, entre Vienne, New-York et Milan, une fresque aux multiples personnages : Isidore, Martha, Franz, Michelle, Pearl... Chaque personnage participe à résoudre le mystère de cette inconnue du portrait. Le roman démarre à New York à la fin des années 20, où un jeune cireur de chaussures se lance dans la spéculation boursière. Puis nous faisons la connaissance de Martha, 17 ans, lorsqu'elle quitte Vienne avec son bébé et tente de survivre en travaillant dans une usine de plumes. Dans les années 60, Michelle reconnait dans un magazine l'homme avec qui elle a eu une fille. Elle consulte un avocat texan pour savoir si le père de Pearl peut être confondu par un test ADN. Enfin, Franz Brombeere, un Viennois fortuné, vient voir Klimt avec une toile représentant une jeune femme aux atours de prostituée. Il a reconnu le modèle, une femme au service de sa famille et souhaite que l'artiste corrige le portrait de son premier amour ! Le roman se compose de quatre parties, chacune centrée sur un personnage, alternant entre présent et passé. Tous ces personnages s'entrecroisent et le puzzle s'assemble. On découvre les liens qui les unissent ou les séparent. Ce sont des personnages attachants, complexes et nuancés, qui évoluent. L'intrigue est centrée sur Isidore et sa descendance. Le tableau sert de fil rouge qui relie ces destins. Ce foisonnement de personnages et d'univers, ainsi que les changements réguliers de lieux et d'époques en font une lecture exigeante. La construction non chronologique peut paraître compliquée, mais l'autrice explique qu’elle a fait de nombreuses recherches et la documentation apporte de la profondeur. Roman historique et familial qui s’étale sur trois générations, deux continents, et mêle fiction et réalité, art et histoire, amours et suspense.
Peretti, Camille de. - L’inconnue au portrait. - Calmann Levy. - 357 p. - 21 €

En Provence en 1998, à la mort de sa mère au château de La Martinières, Emilie se retrouve la dernière descendante du domaine familial viticole et de 20 millions de dettes !!! Elle décide finalement de restaurer le château et d'en apprendre plus sur l'histoire de sa famille. Un jeune Anglais, Sebastian Carruthers, possédant une galerie d'art à Londres lui offre son aide pour inventorier les collections du domaine. Elle en tombe rapidement amoureuse et ils se marient. Emilie découvre des poèmes de sa tante Sophia, dont personne ne parlait, qui a vécu une passion avec un nazi et l'histoire de Constance, la grand-mère de Sebastian, qui a connu son père, enrôlée dans le SOE, correspondante secrète pour sauver le pays des nazis. Cette jeune femme au grand cœur, indépendante et volontaire a joué un rôle important lors de la Seconde guerre mondiale. Quand Émilie se rend dans le manoir de son époux, elle est face à une demeure sombre et délabrée et découvre aussi l’existence d’un frère handicapé. De plus, Sebastian change brusquement de comportement et la jeune femme commence à s'interroger sur cet inconnu : l'antiquaire est-il le prince charmant qu'il s'efforce de paraître ? Que s'est-il passé pendant la guerre entre Édouard, son père, et la grand-mère de Sebastian infiltrée par les forces spéciales anglaises ? Emilie saura-t-elle résister au charme d’Alex ? Le lecteur suit les péripéties de ce mariage et de cet homme manipulateur, parallèlement à la formation de Constance à l'espionnage des Allemands. Les personnages évoluent et ne sont pas épargnés par le sort. Les femmes sont attachantes, fortes et courageuses. Le roman nous entraîne à la découverte de la vérité à travers de nombreux rebondissements. Les descriptions des paysages lumineux et enchanteurs de Provence s'opposent à celles du manoir anglais lugubre. Un bon moment de lecture pour cette saga familiale historique qui évolue des années 1940 à nos jours, où se mêlent secrets de famille et espionnage. On est happé par ce récit à la fois dépaysant, instructif et émouvant.
Riley, Lucinda. - Le domaine de l’héritière. - Traduit de l’anglais (Irlande). - Charleston, Poche. - 650 p. - 11 €

Ce premier roman s’ouvre avec le récit des étés que la narratrice, âgée de 9 ans, passe chez sa grand-mère « Jida » (qui veut dire « grand-mère » en kabyle). Figure impressionnante pour la jeune narratrice et qui représente le pont entre la France et la Kabylie. On comprend vite dans le récit que lors de ces réunions de famille estivales, l’oncle de la jeune fille, Ziri, fils ainé de Jida la viole tous les jours. La jeune protagoniste grandit et décide de porter plainte contre son oncle qui sera condamné à une peine de prison. Malgré la réparation obtenue par la voie judiciaire, l’omerta présente au sein de sa famille restera inébranlable, dans un but de protection de l’image de l’homme et de réduction au silence des victimes. Un livre qui laisse un goût amer et qui montre la nature structurelle de la culture du viol dans sa déclinaison incestuelle. Un récit spéculaire à celui de Camille Kouchner dans La familia grande, mais dans le contexte d’une famille de harkis.
Sene, Lolita. - Un été chez Jida. - Le Cherche midi. - 176 p. - 18,50 €

Avec une infinie délicatesse et d’une écriture ciselée, Marie Sizun nous narre son enfance. Le personnage principal de ce récit intime est l’appartement où elle vécut jusqu’à ses 16 ans. “C’est mon écorce, ma coquille, mon nid. Je ne sais rien de lui, mais sa lumière, ses couleurs, son odeur sont à moi autant que la présence de ma mère”. Il est le témoin de l’amour fusionnel qui lie la petite fille rebelle à sa mère si peu conventionnelle. Dans la France de l’immédiate après-guerre, être une femme divorcée, mère de trois enfants dont un “illégitime” n’est pas facile tous les jours. La jeune narratrice qui déteste son prénom est l’aînée. Mature tôt, elle bénéficie d’une éducation bienveillante, très en avance sur l’époque. Elle souffre malgré tout du déclassement et des fins de mois difficiles. Marie Sizun ne s’appesantit pas sur l’histoire familiale douloureuse préférant égrener des souvenirs doux amers. Le quinzième récit de cette autrice singulière est tendre, juste, profondément émouvant de la première à la dernière ligne.
Sizun, Marie. - 10, villa Gagliardini. - Arléa, 1er/mille. - 234 p. - 20 €

Tom, trentenaire un peu perdu, accepte la proposition d’emploi d’un certain Monsieur Stotz, un homme très influent en fin de vie. Il doit faire le tri dans la vie de son patron : étouffer les controverses, ne garder que les meilleurs jours. Mais une ombre subsiste dans la vaste demeure dans certains documents et dans la vaste et belle demeure où il est logé : celle de Melody, autrefois l’amante du vieil homme. Immortalisée par différents tableaux accrochés dans les pièces de la maison., sa présence se fait ressentir. Se liant petit à petit d’amitié avec son employeur, le voile se lève lentement sur ce destin perdu. Pourquoi Peter Stotz interrompt-il sans cesse le récit de cet amour perdu ? Pourquoi n’a-t-il de cesse de mettre en garde le jeune homme ? Il lui répète que « la différence est si mince entre poésie et vérité ». Difficile de lâcher ce roman jusqu’au dénouement ! C’est une intrigue menée tambour battant, qui n’est pas sans rappeler Gatsby le Magnifique. Martin Suter nous maltraite un peu, en pratiquant une rétention presque insolente. La conclusion est tout de même satisfaisante. Un mystère à l’enrobage gourmand, car tout se discute autour d’un verre d’armagnac et de délicieux mets aux saveurs d’Italie.
Suter, Martin. - Melody. - Phébus. - Traduit de l’allemand. - 361 p. - 23 €

Portrait d’une jeune femme enfermée dans une relation toxique, sous l'emprise d'un homme manipulateur, violent et alcoolique. Alice est en couple avec un homme qu’elle aime passionnément, mais complètement dominée par celui qui l'a coupée du monde. Il a besoin de connaitre tous ses faits et gestes, la surveille, l'appelle sans cesse. Alice accepte tout, lui trouvant des excuses, car il prétend l'aimer. Son compagnon a beaucoup souffert dans son enfance et il n'y a qu'elle qui peut l'aider à se débarrasser de ses démons. Elle veut l’aider à se réparer, jusqu’à s'en oublier. Comme il a besoin d'argent, il pousse Alice à chercher du travail. Sans grandes compétences, comme un miracle, Alice trouve un emploi dans une association religieuse, elle qui est athée. Elle doit constituer et classer les dossiers des futurs saints sans rien y connaitre et se sent encore plus minable. Mais cette mission lui permet de s’évader, de s'occuper, de gagner en confiance et de peu à peu se libérer. Dans ce diocèse, elle reçoit enfin de la chaleur humaine, personne ne croit qu'elle va bien. Son entourage essaie de lui ouvrir les yeux. Elle ne comprend même pas qu'elle est enceinte et fait une troisième fausse couche. Trouvera-t-elle la rédemption et parvenir à se dégager de l'emprise de cet homme ? Son cheminement jusqu'à la prise de conscience et la reprise en main de sa vie sera long. Le quotidien d'Alice nous tient en haleine. Ce roman troublant, aux accents mystiques, est entrecoupé de monologues de cette femme totalement perdue et de passages sur les saints. Les personnages semblent étrangers à eux-mêmes. Le sujet a déjà été abordé maintes fois, mais l'histoire est bien construite et le style original.
Tavernier, Tiffany. - En vérité, Alice. - S.Wespieser. - 288 p. - 22 €

La première partie du roman met en scène Adélaïde, une jeune femme qui a renoncé à son rêve de devenir artiste peintre après avoir échoué deux fois au concours d’entrée de l’Ecole des Beaux-arts de Paris. Rachid, son meilleur ami, lui trouve un job de graphiste à New York, dans une agence spécialisée dans la création de cartes de vœux. Frustrée de ne plus s’adonner à sa passion, expatriée et esseulée, Adélaïde sombre dans l’ennui. Jusqu’au jour où, par un matin pluvieux, en descendant de chez elle, elle aperçoit une étrange jeune femme aux yeux vairons qui se tient sous le porche d’un immeuble. Adélaïde est très vite fascinée par ce personnage charismatique. Le hasard fait que cette jeune femme qui s’appelle Hiba travaille dans la même agence et habite dans le même immeuble qu’elle. Elles vont devenir très proches, à tel point que, pour Adélaïde, la vie sans Hiba devient inconcevable. Adélaïde veut devenir Hiba… La deuxième partie annonce l’arrivée d’Andréa, un ami d’Hiba. À partir de ce moment, tout bascule. Adélaïde se sent rejetée, on voit peu à peu la folie l’envahir et un rapport de force s’installer… Un roman intense qui nous plonge au sein d’une relation addictive, où l’emprise et la dépendance se dessinent au fil des pages. Le récit, écrit du point de vue d’Adélaïde, ne révèle pas ou peu le personnage ambivalent d’Hiba, qui, jusqu’au bout, restera énigmatique.
Teke, Mehtap. - Au hasard heureux. - V. Hamy. - 213 p. - 19,50 €

Livre illustré des cartes dessinées à la main du parcours du voilier dans les mers celtiques, en passant par Crozon et St Malo, en partant de Gijon. L’auteur ne croit pas aux fées, mais désigne ainsi la « qualité du réel révélée par une disposition du regard. Il y a une façon d’attraper le monde et d’y déceler le miracle » (p. 11) Comme dirait JF Beauchemin, il faut savoir s’extasier devant les merveilles de la nature ! S. Tesson part en voilier des Asturies jusqu'au nord de l'Ecosse, avec deux amis. Il sillonne ainsi une partie de l’Espagne, Bretagne, Angleterre, Irlande et Ecosse. Mais ce récit de voyage voie maritime est tout autant réalisé à pied, comme il en a l’habitude, ou à vélo. Au fil du parcours, ses pensées vagabondent et il nous parle de l’Histoire de ces côtes que la littérature a souvent célébrées et cite des écrivains comme V. Hugo. Ces lieux découpés et sauvages sont le théâtre de l'imaginaire et les mythologies celtiques s'en sont souvent inspirées. L'écrivain veut saisir le merveilleux. Il décrit une exploration poétique en même temps qu'une quête initiatique et cherche dans la nature ce qu'elle a d'éternel. Il souligne l'intemporalité des paysages. Un récit tout en poésie et en finesse qui pousse au questionnement d'un paysage, d'un instant. Ces moments magiques donnent l'impression d'être "avec les fées".
Tesson, Sylvain. - Avec les fées. - Equateurs. - 216 p. - 21 €