Commission Petits éditeurs d'octobre 2025

Commission Petits éditeurs BiB92 - Sélection octobre 2025

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Malu a 12 ans, âge charnière entre l'enfance et l'adolescence. Elle grandit entourée de son père, agriculteur taiseux et fatigué par son travail et sa grand-mère, qui l'a élevée et qui soigne son potager comme un peintre son tableau. Ce trio de personnages, comme un microcosme, vit entouré par trois collines dans un hameau en pleine campagne, en compagnie de la chienne Sola. L'autrice ancre ce récit d'enfance dans un milieu, l'Aveyron, auquel ses personnages sont indéfectiblement liés. Elle parsème son texte d'expressions en occitan. Elle inscrit le rapport à la terre dans le corps même de ses protagonistes, qui résistent face aux éléments et au passage du temps. Malu grave dans sa peau ses angoisses, comme elle creuse la terre, comme pour enterrer son enfance qui se fane. Ce roman décrit l'effondrement et la fragilité d'une famille, à l'image de nature dont le climat se dérègle avec le changement climatique. Nous ne sommes que de simples passagers sur terre. Un premier roman extrêmement mature et prometteur !
Angles Sabin, Clarence. - Malu à contre-vent. - Le Nouvel Attila. - 185 p. - 19 €

Harry Yuan, élevé dans la Chine communiste, quitte son pays à 20 ans pour s’installer aux États-Unis. Brillant, il devient professeur de mathématiques à l’université avant de fonder sa propre entreprise. Très vite, il s’intéresse au numérique, à son évolution et aux bouleversements qu’il annonce. Dans les années 90, il fait fortune et devient milliardaire, mais ce succès attire aussi de nombreux ennemis. Sa chute sera aussi fulgurante que son ascension ; ruiné, emprisonné, il disparaît ensuite sans laisser de trace. Vingt ans plus tard, le narrateur, toujours fasciné par le destin hors norme de cet homme, reçoit une mystérieuse invitation pour le rencontrer, en toute discrétion, sur une île grecque. Harry Yuan lui livre enfin le récit de son incroyable épopée. Jean-Pierre Arbon, qui est aussi le narrateur de cette histoire, a été directeur de Flammarion pendant une dizaine d’années. Il a lui-même créé, il y a trente ans, une entreprise pionnière dans l’édition numérique en ligne. S’inspirant de sa propre expérience, il a choisi de se mettre en scène dans ce roman et d'y greffer le personnage d’Harry Yuan qu'il a réellement connu, un personnage qui l'a fasciné. Cette enquête extrêmement bien ficelée, entre fiction et réalité, mêle argent, pouvoir, espionnage et technologie, avec en parallèle la réussite, la chute et la vengeance. Il faut se plonger dans le vocabulaire propre au monde de la finance et de ses codes.
Coup de cœur de Brice, libraire à Boulogne : « Préparez-vous à un tour de force littéraire: la ligne de démarcation entre réel et fiction est ici si fine que l'on en vient à mener l'enquête par nous-mêmes en même temps que l'on dévore ce livre génial et addictif ! »
Arbon. - Les derniers jours de Harry Yuan. - Au diable Vauvert. - 320 p. -22 €

Nour et Adam ont grandi ensemble et ont fui le Soudan pour rejoindre l’Angleterre. Alors que Nour décide de rester en France, Adam reste dans la jungle de Calais dans l’espoir de traverser la Manche. Ils ne gardent pas contact. Lorsque Nour croise par hasard Adam en Autriche en train de mendier, il ne le reconnaît pas. Il n’est plus lui-même, et peine à reconnaître Adam. Sous l’emprise de la drogue, il semble être atteint de folie. Un portrait de Nour se dessine, à travers les yeux de plusieurs protagonistes qui l’ont connu à différentes étapes de son parcours ; un portrait à rebours de cette première impression, d’un homme d’une grande culture et intelligence, sensible, qui va peu à peu perdre pied, renoncer et sombrer.
Baraka Sakin, Abdelaziz. - Le corbeau qui m’aimait. - Zulma. - Traduit de l’arabe. - 192 p. - 18 €

Après quinze ans d’absence, le narrateur rend visite à sa sœur, hospitalisée dans une clinique spécialisée. Quelques mots prononcés par elle éveillent sa curiosité pour Hedy Lamarr, actrice et inventrice oubliée. À travers cette découverte, il établit un parallèle entre ces deux femmes d’exception, liées par le génie et la solitude. Entre biographie et fiction, L’invention d’Eva mêle deux récits : celui du narrateur et de sa sœur, pianiste prodige dont la vie a basculé après un mystérieux accident, et celui d’Hedy Lamarr, actrice et inventrice, longtemps présentée comme « la plus belle femme du monde » et créatrice des bases du Wi-Fi, très vite oubliée par Hollywood. À travers ces deux destins, Alessandro Barbaglia brosse le portrait de deux femmes d’exception : l’une guidée par sa passion du piano, l’autre par son envie constante d’inventer et de jouer au cinéma. En suivant la vie d’Hedy Lamarr, le narrateur ravive le souvenir de sa sœur, qu’il aime autant qu’il déteste pour ses actes passés. Peu à peu, les deux récits se répondent, et le lecteur comprend la douleur du narrateur, traumatisé par l’accident de sa sœur. Si le texte d’Alessandro Barbaglia peut dérouter par sa lenteur, celle-ci se révèle nécessaire. Il faut le lire avec patience, afin de laisser aux émotions et aux sentiments le temps de se révéler. Lorsqu’ils surgissent, tout finit par s’éclairer : la douleur du frère, la tendresse pour sa sœur et la profondeur de leur lien. L’invention d’Eva est un roman sensible et subtil, qui nous touche profondément. Pour prolonger la découverte, on peut lire Ecstasy and me : la folle autobiographie d’Hedy Lamarr, un récit fascinant pour mieux connaître cette femme à la fois libre et incomprise.
2 coups de cœur !
Barbaglia, Alessandro. - L’invention d’Eva. - L. Levi. - Traduit de l’italien. - 224 p. - 20 €

Barbara, 38 ans, journaliste et Edwige, 28 ans, sa sœur très fragile psychologiquement, s'installent dans les Hautes-Alpes pour laisser le passé derrière elles. Edwige a subi un grave traumatisme étant enfant : elle a disparu et a été retrouvée indemne, mais amnésique. Elle ne s'en est jamais remise, malgré un suivi psychiatrique. Depuis, Barbara a dû prendre en charge sa petite sœur. Elle a mis sa vie entre parenthèses pour s'occuper de sa sœur qui a besoin d'une attention constante. Les deux femmes veulent retrouver une certaine sérénité dans ce village. Mais le meurtre du maire vient tout anéantir. L’assassinat ressemble étrangement à ce qu'Edwige a décrit dans une nouvelle, transformant les deux sœurs en suspectes idéales... Heureusement, un jeune policier fera tout pour découvrir la vérité. Ce roman explore les relations entre sœurs inséparables, d'autant plus difficiles que l'aînée se sent coupable de ne pas avoir protégé sa sœur. Il nous offre une double enquête : celle sur l'enlèvement d'Edwige et celle actuelle sur le meurtre survenu. L'alternance des points de vue, le duo de sœurs attachant, la tension monte, les personnages ont une profondeur psychologique intéressante. Mensonges, trahisons, fausses pistes et rebondissements rythment cette intrigue criminelle. Un suspens habilement maintenu, à l'écriture vivante, une lecture difficile à lâcher. Roman réussi, mais beaucoup plus sombre que Où la vie nous conduira, qui était un feel good book.
Bonidan, Catherine. - Les deux sœurs. - La Martinière. - 312 p. - 20 €

L’Albanie vécut sous le joug de la dictature communiste d’Enver Hoxha pendant 40 ans. C’est dans ce climat oppressant, marqué par l’absence de liberté, la délation, la peur permanente de se faire arrêter et le gavage d’une propagande indigeste, que l’autrice met en scène des personnages forts, notamment des femmes. «Propriétés de la famille », condamnées à vivre sous ce régime répressif qui les cantonne aux tâches ménagères. Elles sont de plus victimes, tout comme les hommes, de la loi du Kanun qui règne sur les familles : la vengeance par le sang impose que l’on tue en cas de déshonneur. Les femmes se retrouvent ainsi souvent seules face à la violence des vendettas. Ce roman, dont la construction repose sur trois périodes, les années 1970, 1990 et 2023, lie le destin de jeunes gens, en particulier Elora et Sarah, qui prennent leur vie en main. Il nous emmène aussi dans la montagne, en compagnie de bergers résistants, qui brandissent la poésie contre les slogans du Parti. Un roman qui mêle petite et grande Histoire, aux accents féministes et trans, à travers le mythe de la Burnesha, vierge qui a choisi de vivre comme un homme. J’ai dû attendre pour que les personnages prennent de l’épaisseur et réellement accrocher à ce roman, finalement palpitant.
Charrel, Marie. - Nous sommes faits d'orage. - Les Léonides. - 396 p. – 22€

Ce second roman prend aux tripes : dès les premières pages, le lecteur est emporté par le rythme effréné du quotidien de Kora, mère solo et éducatrice spécialisée à Paris, qui se bat avec férocité pour surmonter les épreuves. Et quelles épreuves ! Après la violence de son ex-conjoint et la perte d'un enfant, Kora doit faire face, seule, à l'autodestruction de son fils Sol, souffrant de troubles psychiques et d'addictions. Nulle place au pathos. Nadège Erika livre un roman percutant nourri d'expériences personnelles. A travers les errances médicales de ses personnages, l'autrice pointe avec justesse les dysfonctionnements dans la prise en charge des maladies mentales en France : le manque de financement, le manque d'humanité de certains soignants, les lenteurs administratives, ... Kora, cette mère battante et proche aidante qui aime, donne sans compter, fait des erreurs. Une héroïne profondément humaine, que j'ai eu envie d'épauler. Sol, l'enfant de Kora, que j'ai eu envie de sauver. Sauver de lui. Sauver de cette société maltraitante. Nul doute que cette histoire résonnera encore longtemps en moi. Un roman coup de poing, intense, nécessaire et d'actualité.
Erika, Nadège. - Ce refrain qui te plaît. - Harper Collins. - 280 p. - 20 €

Maxine est la fille cadette de Térence, célèbre violoncelliste, qui s’est séparé de sa mère alors qu’elle était une toute petite fille. Elle a grandi élevée par sa mère et un beau-père bienveillant et à l’écoute. Mais elle a toujours couru après l’amour de ce père mystérieux, aimant mais distant. Adulte, devenue vidéaste, elle est amenée à vider la cabane qu’il habitait en bord de mer. Elle menace d’être engloutie à la prochaine tempête et son père est hospitalisé suite à un grave AVC. Maxine découvre dans un carton stocké dans la cabane une série de polaroïds pris sur une période de plus de 50 ans qui a fait l’objet d’une correspondance intrigante. Elle mènera Maxine à enquêter sur une île écossaise où elle exhumera le secret douloureux de ce père chéri et méconnu. De multiples thèmes sont abordés dans ce roman qui renouvelle avec bonheur le cliché de la maison à vider. La construction est habile et le ton juste.
Fargetton, Manon. - Ce que prend la mer. - H. d’Ormesson. - 309 p. - 21€

A travers cette nouvelle collection « Animales », l’autrice tisse un lien entre la cause animale et féministe. Cette convergence des luttes contre une même oppression est incarnée par l’amour de la narratrice pour cette chienne-louve, Sequoia, qu’elle a recueillie et qui l’a suivie de ville en ville, année après année, et de chapitre en chapitre. Une vie nomade, souvent en milieu hostile, parsemée d’épreuves et d’accidents, qui renforce le lien de sororité qu’elle entretient avec sa chienne et sa fille Fleur. La métaphore du loup et de la tanière reflète à la fois le danger représenté par les hommes et le cocon familial où elle trouve refuge auprès des siennes. Un texte sauvage et éco-féministe, un tombeau littéraire « au féminin pluriel », qui réveille la part animale que l’on a en soi, qui incite à habiter la nature autrement et qui invite à accepter l’autre par-delà ses différences.
2 coups de cœur !
Filteau-Chiba, Gabrielle. - Louve en juillet. - Dépaysage. - 98 p. - 14 €

Premier roman.
Le roman s'ouvre sur la mort de Tom, élève de CM2, saisissant le lecteur, qui s’interroge sur ce qui s'est passé.
J. est investi dans son métier d’instituteur, sensible aux élèves en difficulté. Il voit arriver dans sa classe, Brayan, déjà renvoyé de plusieurs écoles. Cet élève ingérable est violent envers élèves et enseignants. Mais J. décide de lui donner une chance, en lui consacrant du temps. Il essaie de l'intégrer, même quand celui-ci dépasse les limites. Son engagement auprès de Brayan se heurte aux provocations de l'enfant. Mais quand le corps de Tom, apprécié de tous, est découvert dans la cour, tout explose. L'enquête n'est qu'un prétexte, l’auteur veut décrire le monde de l’Education nationale face à la perte de motivation de certains enseignants, à la difficulté de gérer les élèves les plus difficiles... Alternent deux temporalités (avant et après le drame). Que cache Tom cet enfant hypersensible qui est attentif aux autres et n'hésite pas à leur venir en aide ? L'auteur est professeur des écoles et le personnage portant son initiale est inspiré de son expérience. Ce roman décrit l'effondrement de J., qui était heureux et reconnu comme enseignant, mais dont l'arrivée de Brayan va révéler les failles. Il est préoccupé par les problèmes des enfants tout comme ceux qui lui sont plus personnels : sa fille Lola est malade et son couple va mal... Entre roman policier et mal-être en milieu scolaire, on est happé par ce premier roman poignant décrit avec justesse. La psychologie des personnages, l'analyse fine des rouages du monde scolaire, les rapports de force entre enseignants, élèves, parents, tout est bien observé. Le rythme est vivant, mais des questions restent en suspens et on aurait attendu une histoire plus percutante.
Fyot, Julien. - Décrochages. - V. Hamy. - 275 p. - 22 €

Rome, années 1980. Barbara a des fins de mois difficiles, jusqu'au jour où elle est embauchée dans la boutique de vêtements de Marie-France. Lorsque cette dernière lance une collection dédiée aux adolescentes, le succès est immédiat. Mais bientôt, une terrible rumeur sur la propriétaire du magasin se répand. Un texte original dont l’intrigue me tentait énormément. C’est bien mais, le cœur de l’histoire et la rumeur sur la disparition d’adolescentes commencent réellement au milieu du roman, donc le suspense se fait attendre ! Ecriture fluide et agréable qui nous décrit avec beaucoup de détails le milieu de la mode et les « accros du shopping » à Rome dans les années 80 avec beaucoup d’humour. La propriétaire du magasin, Marie-France et sa fine équipe (trois vendeuses et un vendeur) sont vraiment attachants, chacun avec sa personnalité, ses blessures… Leurs réactions face à cet engrenage (inéluctable !) autour de la fameuse rumeur sont surprenantes. Ce n’est pas un coup de cœur, néanmoins c’est une lecture divertissante.
Gaspari, Ilaria. - Une rumeur dans le vent. - Le bruit du monde. - Traduit de l’italien. - 360 p. - 23 €

Ce premier roman a reçu en 2023 le Prix Bungakukai pour jeunes auteurs, ainsi que le prestigieux Prix Akutagawa. Le livre commence par un récit érotique, au Japon, dans une boîte d’échangisme. Un récit cru. Son autrice est Shaka, une femme atteinte d’une myopathie congénitale qui la rend dépendante d’un respirateur qui évacue ses sécrétions et d’un fauteuil roulant car une scoliose écrase ses organes. Elle vit dans un foyer. Elle publie sur Internet ses récits érotiques et balance sur Twitter ses pensées les plus crues, parmi lesquelles, l’envie de passer de « monstresse bossue » à « femme ». Son fantasme pour y parvenir : tomber enceinte et avorter. L’autrice est elle-même handicapée. Elle utilise la littérature comme arme contre l’invisibilité sociale. Elle provoque le lecteur en ne lui épargnant rien de la maladie ni de ses fantasmes. Un roman qui bouscule.
Ichikawa, Sao. - La bossue. - Globe. - Traduit du japonais. - 96 p. - 14 €

1818, Albi dans le département du Tarn : un crime a été commis dans la vallée du Viaur. Cécile Soulié, une jeune servante, enceinte de surcroît, a été assassinée. Un homme est accusé du meurtre. Il s’agit de Louis Balssa, dit Le Prince. Et il risque d’y laisser sa tête ! Son neveu, Honoré de Balzac, un jeune homme de 19 ans, croit en son innocence. Le futur auteur de la Comédie humaine, secondé par son serviteur, le narrateur âgé de 25 ans, se rendent sur les terres ancestrales de la famille Balzac. Leur objectif : enquêter et faire reculer l’ombre de la guillotine en débusquant le véritable coupable. Avec L’affaire Balzac, plongez dans la France rurale du XIXe siècle, en compagnie de deux enquêteurs en herbe, déterminés à faire éclater la vérité. Hervé Hubert signe un bon polar historique. Si les clins d’œil à l’écriture balzacienne sont nombreux, le style est fluide et agréable. Ce roman, efficace et dépaysant, pourrait bien vous donner envie de re-découvrir la vie du grand écrivain !
Jubert, Hervé. - L’affaire Balzac. - La Manufacture de livres. - 221p. - 20€

Ce roman est centré sur 3 femmes : Someko, 88 ans, et Io, 92 ans, anciennes plongeuses en apnée (ama, qui est également le titre d’une belle BD), et la fille de Io. Umiko, partie vivre à la montagne, revient sur l’île de son enfance avec l’idée de ramener sa mère avec elle. Someko et Io sont les dernières habitantes d’une petite île japonaise, dépendant des navettes pour leur ravitaillement. Les deux femmes vivent simplement, en toute quiétude, et sont bien décidées à passer leurs derniers jours ici. L’autrice traduit bien l’isolement, les conditions de vie rudes, en harmonie avec les éléments naturels et les animaux. Elle aborde aussi la question des territoires qui se vident de leur population, l’immigration. Un roman agréable à lire, même si le rythme est assez lent.
Murata, Kiyoko. - Quand dansent les oiseaux. - Piquier. - Traduit du japonais. - 224 p. - 19 €

Vincent, âgé d’une trentaine d’années, décide de participer à la Transcontinental Race, une course d’ultracyclisme en autonomie, qui traverse l’Europe, de la Bulgarie à la France. Ce défi physique devient rapidement une épreuve existentielle. À travers les paysages brûlés de l’Est et les montées alpines, il affronte ses propres limites -physiques et mentales. Sa motivation dépassant la compétition, il cherche plutôt à comprendre ce qui l’anime, ce qu’il fuit ou espère retrouver. Parallèlement, à Paris, Pauline, son amie d’enfance, le suit virtuellement, bien qu’en cachette, via son GPS ; elle aussi traverse une crise silencieuse, en quête de sens après une année de surmenage -le travail ! Le roman alterne entre leurs deux voix, révélant une amitié ancienne, ambiguë, empreinte de souvenirs et de non-dits. Le voyage devient ainsi prétexte à une introspection profonde sur l'engagement et le dépassement de soi. Lola Nicolle, co-fondatrice des éditions Les avrils, décrit avec sensibilité les transformations intérieures qu’un exercice physique peut engendrer ; c’est ce que j’ai apprécié tout particulièrement. Le tout dans une écriture sobre et poétique.
Coup de cœur de Noémie, libraire à Boulogne : « Un récit fort d’amitié et d’aventure. La jeune Pauline suit à distance un de ses anciens amis qui s’est lancé le défi de traverser l’Europe à vélo. Ils sont plusieurs centaines sur cette course d’ultra distance, filant dans les paysages de l’ex-URSS. Arriveront-ils à leur but ? »
Nicolle, Lola. - Le grand horizon. - Phébus. - 208 p. - 20,50 €

En 1917, dans le Roussillon, un soir d'orage, un jeune homme demande un abri au château. Même si Isaure le connaît, scandalisée, elle congédie Théodore, au mépris de toute charité chrétienne : il lui est impossible de recueillir un déserteur. Sa fille Rosalie a pitié et le cache secrètement au grenier. Elle lui apporte ses repas, et le trouve séduisant et mystérieux. La jeune fille découvre que Théodore était peintre et lui apporte le matériel pour s’occuper. Mais Marthe, la petite bonne, rusée et ambitieuse, ne tarde pas à découvrir ce secret... Commence alors un huis clos tendu, avec quatre personnages, tous à un tournant de leur vie, à la recherche de la liberté, donnant quatre points de vue très différents. Alors que le propriétaire du domaine viticole est à la guerre ainsi que son fils, Isaure, son épouse mondaine, doit diriger le domaine. La mère a beau aller à la messe et faire de bonnes œuvres auprès des blessés, elle n'a aucune pitié face à un soldat qui a fui le front, donc un traitre. Derrière le déserteur se cache un peintre prometteur, qui a fréquenté Matisse et Derain et fait le portrait d’Isaure. Faut-il dénoncer ou cacher un déserteur ? Le roman interroge sans juger : peut-on en vouloir à un homme d'avoir déserté l'enfer du front ? Où commence la lâcheté, où s'arrête le courage ? Gaëlle Nohant rend hommage à ces figures féminines, contraintes d'assumer des rôles nouveaux, de s'émanciper dans un monde corseté par les convenances. L’autrice aborde la guerre dans ce qu'elle a de plus terrifiant, le poids des choix moraux, la liberté, l'amour qui peut surgir même dans les périodes les plus sombres de l'Histoire, mais aussi le rôle de l'art (permet-il de survivre à la guerre ?), le conformisme de la bourgeoisie à l'égard des femmes. Une plume fluide qui raconte la guerre, les blessés, les malades et l'amour. C'est ce contraste qui donne au roman sa force. Le livre est inspiré par le château aujourd’hui abandonné situé sur un domaine viticole qui appartenait à l’arrière-grand-mère de l’autrice. Il contenait un tableau de famille peint par un peintre roumain hébergé pendant la grande guerre. Gaëlle Nohant a fait de nombreuses recherches sur la guerre et la peinture. Elle nous entraîne dans une fresque lumineuse, à la fois intime et historique. Porté par une écriture sensible, ce roman est à la fois une ode aux femmes et un questionnement sur le courage. Un livre profondément humain.
https://www.youtube.com/watch?v=_n6qMdKXm0I
Coup de cœur de Yaëlle, libraire à Boulogne : « 1ère guerre mondiale, histoire d'amour impossible, dilemme moral, secret... Tout y est pour ne plus lâcher ce roman et se laisser prendre au jeu toujours un brin surprenant de Gaëlle Nohant ! »
Nohant, Gaëlle. - L’homme sous l’orage. - L’iconoclaste. - 345 p. - 22 €

Orso et Marie forment un couple uni, dont la vie bascule après un deuil soudain et douloureux. Pour échapper à cette douleur, ils décident de partir sur les routes, suivant ce qu’Orso appelle « la théorie de la grande diversion » : voyager pour ne pas sombrer. Sans itinéraire précis, leur road-trip les mène de Lourdes à Saint-Tropez, en passant par des lieux décalés et insolites : musées improbables (amiante, gendarmerie, pigeons, etc.) et villages perdus. Derrière l’humour et la fantaisie du trajet, se cache une profonde mélancolie : celle de la perte, du silence et de l’amour mis à l’épreuve. J’ai aimé cette relation de deux amoureux tristes en « voyage voyage » ; la tension entre fuite et reconstruction ; l’évasion comme une fragile tentative de réparation. C’est par ailleurs un hommage à la beauté des choses simples et à la France des marges. Prix Maison rouge (Créé en 2019 à Biarritz, ce prix littéraire récompense des auteurs sans restriction de genre littéraire, mettant en avant audace, originalité et créativité.)
Coup de cœur de Noémie, libraire à Boulogne : « Récit d'amour, de deuil, de solidarité. Orso et Marie font face ensemble à un deuil et d'une manière peu banale. Ils se lancent dans un grand tour des musées tous plus absurdes les uns que les autres. C'est un retour au rire et à la légèreté pour deux âmes bien lourdes : on aime beaucoup ! »
Pouchet, Victor. - Voyage voyage. - Gallimard, L’arbalète. - 208 p. - 20 €

Ce récit intimiste est celui d'une démarche administrative consistant pour l’autrice à obtenir la nationalité espagnole, suite à l'adoption de la loi sur la mémoire démocratique de 2022, qui permet aux descendants d’immigrés républicains espagnols de le faire. Pour formuler cette demande, l'autrice doit justifier que sa famille paternelle a quitté le pays basque espagnol pendant de la guerre civile. Mais quelles preuves fournir quand on est parti sans rien ? Ce processus plonge Léonor au cœur du traumatisme de l'exil imposé à sa famille déchirée. L’autrice va « marcher dans ses pas », d'abord à Irun, puis sur le pont qui traverse la Bidassoa pour rejoindre le Pays basque français. Elle redécouvre ses origines espagnoles, renoue avec son identité, et ce sentiment de perte lié à l’exil. Le lecteur partage les émotions qui traversent la jeune femme à la recherche de ses racines, d’une famille victime de la guerre et séparée par la langue. Ne pas parler la langue de ses ancêtres la fait se sentir étrangère. L'autrice cherche souvenirs et photos, en prenant pour figure centrale sa grand-mère qu'elle n’a rencontré qu’une fois. En s'adressant à la mère de son propre père, elle tente de retracer les contours de cette famille dont la vie a basculé en 1936 en dix minutes (jamais vu l'exode décrit comme çà), le temps de fuir sa maison sans se retourner et de traverser le pont, frontière entre deux nations, mais reliant les deux parties du pays basque. On suit son père et sa grand-mère, fuyant le franquisme, contraints de se réfugier en France, devenant apatrides.
On retrouve encore une fois la plume poétique, sensible de Léonor de Récondo dans ce roman politique. Un livre magnifique, sensible et touchant sur l'identité, l'héritage, la mémoire, la filiation. « Poignant et lumineux» a conclu avec justesse Jérôme Garcin.
Coup de cœur de Brice, libraire à Boulogne : « Livre profond écrit d'une plume assurée, Marcher dans tes pas vous emportera dans le tourbillon de la grande histoire et vous amènera à réfléchir sur ce qui façonne notre identité à l'heure où il est si simple d'oublier... Un très beau texte »
Récondo, Léonor de. - Marcher dans tes pas. - L’iconoclaste. - 225 p. - 21€

Un soir d’été, en 1994, en Espagne : Catalina, 16 ans, est très pressée de rentrer chez elle. Elle a passé du temps chez une de ses meilleures amies, Silvia, mais il est maintenant urgent pour elle de partir. En effet, il commence à se faire tard et elle redoute les réprimandes de ses parents, mais aussi, le père de Silvia a eu un comportement inacceptable vis-à-vis d’elle. Les 248 pages du roman racontent ce qui se passe dans la tête de Catalina pendant les quelques heures que durent le retour à la maison. Et d’ailleurs, parviendra-t-elle à rentrer chez elle ?... Une horloge régulièrement imprimée matérialise les minutes qui passent, au fil desquelles s’égrènent les pensées de la jeune femme, une succession de flashs ou de souvenirs des moments de sa vie liés à son corps, à la perception de son corps par les autres et par elle-même, à l’évolution des regards en fonction des changements de son corps. Un roman percutant sur l’adolescence, sur les peurs, les questions et les enjeux de ce moment si particulier de la vie. Une sorte de témoignage sociologique sur le corps des jeunes filles d’aujourd’hui. Un vrai suspense car on ne sait qu’à la fin du roman ce qui s’est vraiment passé avec le père de Silvia (et si elle rentre bien). Ce roman a reçu le prestigieux prix Biblioteca Breve en Espagne et a été finaliste du prix Strega étranger en Italie.
Villajos, Rosario. - L’éducation physique. - Métailié. - Traduit de l’espagnol. - 248 p. - 22 €

Cette biographie romancée très fidèle et très bien documentée de Mel Bonis (1858-1937), compositrice, musicienne et l’une des premières femmes acceptées en classe de composition, dresse le portrait d’une femme passionnée. Au Conservatoire, elle rencontre le chanteur Amédé-Louis Hettich dont elle tombe follement amoureuse. Ses parents s’opposant à cette union, elle se résigne à épouser le riche industriel que ses parents ont choisi pour elle. Accaparée par la gestion d’une grande maison, ainsi que par ses trois enfants, elle ne renoue avec la musique et avec son aimé que des années plus tard. Secrètement, ils auront une fille ensemble hors mariage qu’ils seront obligés de laisser en nourrice. Cela restera pour elle une blessure à jamais ouverte.
Outre l’intérêt de prendre connaissance de la vie et de l’œuvre de cette femme, contemporaine de Debussy et de Satie, ce livre nous éclaire également sur la place des femmes à cette époque, dépendantes complétement du rôle que leur imposaient l'Église et la société. L’écriture est à la fois simple et poétique, ainsi que l’emploi du « tu » pour la narration qui donne une grande force au récit. Alissa Wenz est elle-même autrice, compositrice, interprète, ce qui explique peut-être la réussite de ce livre. Un vrai plaisir de lecture qui se lit d’une traite !
2 coups de cœur !
Wenz, Alissa. - Le désir dans la cage. - Les Avrils. - 280 p. - 22 €